Chapitre 13

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Chapitre 13.

Une fois sur pied, Isaac fut reconduit dans sa cellule. Les draps avaient été changés et le lit de Chaz était froid et vide. La routine carcérale pouvait reprendre son cours sans encombre.

C'est nerveux qu'il s'allongea dans son lit, comme si Chaz pouvait encore débarquer à tout instant et le prendre de force. Il en frissonnait encore. On lui avait dit que la prison serait dure ; il n'avait pas imaginé à quel point elle pouvait l'être.

Être sur cette couchette ne lui rappelait que de mauvais souvenirs. Il tenta de penser à de belles choses pour effacer les flashs de la dernière nuit dans son esprit. Puis, il recommença à avoir froid. Il grelottait, seul, dans sa cellule.

Son regard se porta sur la couverture que Chaz lui avait prêtée, une fois. Elle était sur la couchette de l'autre homme : il l'avait reprise. Isaac hésita quelques secondes, mais après tout... l'homme était dans le quartier disciplinaire, donc il ne risquait rien, n'est-ce pas ? Il récupéra donc la couverture et s'abrita avec elle. L'odeur de Chaz était collée partout sur elle, l'envahissant et l'étranglant. Il suffoquait

***

Chaz s'assit sur sa couchette, dos appuyé contre le mur. Il soupira, pensif. Cela faisait longtemps qu'il n'était plus venu en isolement. Pourtant, il en connaissait les quartiers, les cellules, les recoins comme le fond de sa poche. À son arrivée à West Island, tout comme Isaac, il avait dû se faire sa place. Et ici, ça ne se faisait pas autrement qu'en sortant les poings. Il s'était beaucoup bagarré à ses débuts, pour forger sa réputation et que l'on ne vienne plus l'embêter ensuite. Maintenant, il faisait faire le boulot par les autres. C'était plus commode, moins salissant et, surtout, ça lui évitait de passer trop de temps à l'isolement.

Cette fois, il avait merdé.

Il donna un coup de poing dans le mur – mâchoire crispée – parce que ça soulageait la tension dans ses épaules.

C'était vraiment la merde.

Il ignorait ce qu'Isaac avait pu raconter – il espérait lui avoir fait assez peur pour qu'il tienne un peu sa langue –, mais il passerait sans doute un certain temps ici. L'isolement l'empêcherait de gérer ses magouilles à l'intérieur et à l'extérieur de la prison. Et ça, ça ne lui plaisait pas du tout. Il était le caïd de la prison, il ne pouvait pas se permettre une absence prolongée. Les autres prisonniers se battraient pour prendre sa place. Autant ne voulait-il pas se soumettre trop facilement à l'autorité, autant devait-il sortir d'ici le plus vite possible pour reprendre son rôle de chef et empêcher la zizanie de s'installer dans son quartier.

S'il n'avait pas appelé les secours pour Isaac, sa peine serait sans doute pire. Il savait que le jeune homme ne serait pas mort, quoiqu'il advienne, mais même si ça avait été le cas... ce n'aurait pas été le premier cadavre qu'il aurait vu. Enfin, il s'en serait voulu s'il avait définitivement brisé son nouveau jouet, même si cet événement participerait sans doute à rendre sa réputation encore plus monstrueuse au sein de West Island. Nul doute, quand il sortirait, les gens se tiendraient à carreaux plus que jamais autour de lui. Il avait hâte de voir à quel point l'histoire aura été déformée.

***

Quand les portes des cellules s'ouvrirent au petit matin et qu'Isaac sortit pour suivre le convoi jusqu'à la douche, il pouvait entendre des murmures dans son sillon. Visiblement, son séjour à l'infirmerie n'était pas passé inaperçu.

Après l'appel, il fit de son mieux pour ignorer les commentaires désobligeants sur son passage et se déshabilla en vitesse pour prendre les cinq minutes qu'on lui allouait pour se laver chaque jour.

— Hein, comme ça, la petite chienne n'a plus de maître ?

— Hey, la pédale !

— Maintenant que Chaz ne peut plus surveiller ton cul de blanc, tu vas me le prêter ?

Le séjour de son tortionnaire à l'isolement n'était pas passé sous silence non plus. Chaz disait vrai : les nouvelles allaient vite à West Island. Isaac se boucha les oreilles et compta sur le jet d'eau pour enterrer tous ces ricanements derrière son dos. Il savait qu'il ne devait pas réagir. S'il réagissait, c'était fini pour lui. Alors, il ne dit rien, même s'il mourrait d'envie de leur hurler de se taire et qu'il n'était pas la pute de Chaz ! Qu'est-ce qu'il ne donnerait pas pour tous les envoyer se faire foutre ! Et il le ferait... s'il n'était pas persuadé que toutes ces ordures prendraient cette insulte trop à cœur...

Au déjeuner, les commentaires ne cessèrent pas, mais il eut un moment de répit quand il croisa Wayne et qu'il alla s'installer avec ce dernier à une table pour discuter et manger.

— Alors, tu te portes comment ? l'interrogea son nouvel ami. J'ai entendu dire pour... heu... l'infirmerie.

— Ça va, mais ce pourrait aller mieux, avoua-t-il. Depuis ce matin, j'ai l'impression que toute la population de West Island veut ma peau.

Ou mon cul..., pensa-t-il en frissonnant de dégoût.

— Ça leur passera, l'assura-t-il en lui donnant une petite tape sur l'épaule. C'est à cause de Chaz, tout ça ? Tu lui as fait quoi pour te ramasser à l'infirmerie ?

— Rien de bien grave..., répondit-il, absent.

Il n'avait pas envie de dévoiler de quelle façon Chaz l'avait violé sur sa couchette... De plus, Wayne avait beau être son ami, si ce genre de détail était mis au grand jour, les autres détenus se jetteraient sur lui encore plus que maintenant. Donc, il préférait ne pas confirmer les faits.

— Il ne doit pas aimer avoir un codétenu. Il s'est déjà débarrassé des autres qui t'ont précédé, tu sais, mais avec ce qui s'est passé, il ne sera sans doute pas remis dans ta cellule après son séjour au trou, soit rassuré.

Isaac s'efforça de sourire. Il peinait à croire qu'il soit enfin débarrassé de l'homme. Ça lui paraissait plutôt irréel au vu de la position de Chaz au sein du microsome carcéral. Pourtant, il y avait sans doute certaines choses que, même lui ne pouvait pas contrôler. L'administration de la prison pouvait être soudoyée et se plier à certains caprices, mais elle ne pouvait pas trop se faire rouler par les détenus, non plus, ce serait mauvais pour l'opinion public dehors.

— J'espère bien. J'aimerais vivre mon incarcération de la bonne manière et les personnes comme Chaz m'en empêcheront.

— Je te comprends, mais d'un autre côté, tu vas vite te rendre compte que ce n'est pas possible d'être à 100% honnête en prison. Tu ne manges pas ?

Wayne avait remarqué qu'Isaac ne faisait que piquer sa nourriture de sa fourchette sans réelle motivation.

— Je n'ai pas très faim.

Toute cette histoire lui avait coupé l'appétit et son cabaret de plastique blanc à petits compartiments ne lui paraissait pas des plus alléchants.

— Dans ce cas, je peux avoir ta ration de pomme de terre ?

Isaac haussa les épaules et laissa Wayne manger ses patates pilées.

Entre les barresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant