Chapitre 4.
Au beau milieu de la nuit, des claquements de dents réveillèrent Chaz. Après plusieurs semaines en solitaire dans sa cellule, il n'était pas habitué à partager son espace personnel – ces quelques 2m50 carré – avec un autre humain.
— Qu'est-ce que tu as ? rugit-il en se tournant dans son lit, réalisant que le bruit provenait de son codétenu.
Isaac releva la tête et fronça les sourcils.
— Qu'est-ce que ça peut te faire ?
— Tu m'empêches de dormir.
— J'ai froid.
La couchette de base offerte par l'établissement ne comprenait qu'un mince drap blanc. Isaac, qui venait d'un endroit où il faisait chaud toute l'année, était peu habitué aux froids. Il grelottait et son corps était parcouru de chair de poule et de frissons.
Soudainement, Isaac reçut quelque chose au visage qui le surprit. Il attrapa l'objet : il s'agissait d'une couverture – dont il ne pouvait pas distinguer la couleur à cause de la noirceur – à la texture douce. Il regarda Chaz qui lui avait déjà tourné le dos.
— Merci..., murmura-t-il, incertain de ce qu'il devait dire.
L'Afro-américain ne lui répondit pas. Isaac se blottit sous sa nouvelle couverture et il eut immédiatement moins froid.
***
Le lendemain matin, les portes s'ouvrirent à sept heures tapantes. On vint les chercher pour le dénombrement du matin et ils firent la file (avec leur savon et leur serviette) pour se rendre aux douches avant le petit-déjeuner. Isaac fit de son mieux pour cacher son malaise face aux autres détenus et aux gardiens. Il ne tenait pas à ce qu'on remarque qu'il marchait comme un canard et qu'on lui pose des questions à ce propos. Il ne se voyait pas expliquer ce qui s'était passée hier soir. Il avait honte et il avait bien compris que sa vie était en jeu s'il dénonçait quoique ce soit. Il n'avait pas envie de se mettre tout de suite à dos le caïd des prisonniers et de se faire tout de suite identifier en tant que « rat ».
Il ignora du mieux qu'il put les remarques salaces des autres prisonniers qui faisaient la queue avec lui.
— Hey, le petit nouveau, est-ce que tu t'es fait défoncer, hier soir ?
— Si je t'attrape sous la douche, mes mains pourraient être baladeuses...
— Je ne me pencherais pas pour ramasser un savon, à ta place...
Isaac se contenta de serrer les dents. S'il se battait pour la deuxième fois consécutive dès sa deuxième journée dans la communauté carcérale : ça en serait fini de lui. Alors qu'il allait tout juste entrer dans la salle de bain commune, Chaz en sortait, une serviette enroulée lâchement autour de ses hanches, et il lui attrapa le cul au passage sous le nez des autres prisonniers, mais à l'abri des gardiens. Aussitôt, les commentaires à l'égard d'Isaac ne diminuèrent pas, mais ils devinrent instantanément moins... agressifs : on n'essayait pas de baiser la pute du chef.
Néanmoins, c'est nerveux qu'Isaac se glissa dans la petite cabine de douche, alignée avec plusieurs autres. Il ne disposait que de cinq minutes chronométrées pour se laver, alors il se dépêcha. De toute manière, il n'avait aucune envie de rester nu, entouré d'hommes qui le menaçaient, plus longtemps.
Au réfectoire, les choses se passèrent un peu mieux que la veille. Il attrapa son plateau de nourriture sans encombre, puis balaya la cafétéria en se demandant où aller s'asseoir. Il pouvait déjà observer une certaine hiérarchie : les nouveaux prisonniers (en orange) semblaient être assis près des gardiens et les détenus plus âgés ou emprisonnés depuis plus longtemps se tenaient près des cuisines et loin des agents.
— Tu ne sais pas où t'asseoir ?
Surpris, Isaac se tourna et tomba nez à nez avec un jeune homme d'environ son âge aux cheveux blonds. Un caucasien.
— Il ne faut pas que tu t'assois avec les black, il faut toujours que tu t'assois à une table de blancs.
À parcourir le réfectoire du regard : ces dernières n'étaient pas très nombreuses. La population carcérale de West Island était en grande majorité ethnique noire. Les yeux d'Isaac s'arrêtèrent un instant à la table de Chaz où, le temps de quelques secondes, leur regard se croisèrent. Le jeune prisonnier détourna rapidement la tête pour reporter son attention sur le blond.
— Merci pour les conseils. Tout ça, c'est plutôt nouveau, pour moi.
— Première incarcération ?
Il hocha la tête.
— Je suis Wayne, ça fait deux ans que je suis ici. Si tu veux, tu peux manger avec moi, aujourd'hui.
Isaac accepta volontiers. Il se dirigèrent vers une table vide pour y prendre place.
— Alors, tu es là pour quoi ? demanda son nouvel ami.
— On m'a arrêté avec de la coke sur moi. Et toi ?
— J'ai fait des cambriolages... des cambriolages à mains armées.
Isaac était soulagé de ne pas partager sa table avec un meurtrier ou un violeur. Il savait qu'il allait être contraint de fréquenter ce genre de personnes, mais cela le tétanisait.
— Tu as pris combien de temps ?
— J'ai environ quinze ans à tirer. Toi ?
— Huit ans.
— Tu aurais pu prendre plus cher, tu as été chanceux.
— J'ai eu un bon avocat.
Le ventre d'Isaac gargouillait : hier, il avait un peu loupé le repas, alors il mourrait de faim. Même si la nourriture n'était pas la meilleure, il engloutit tout très rapidement.
— Tu as été placé avec qui dans ta cellule ?
Le brun baissa les yeux sur son plateau.
— Chaz, répondit-il en évitant le regard de Wayne. Tu le connais ?
Le blond demeura muet un instant, comme stupéfait.
— Oh, t'as pas de chance, mec...
Isaac fit comme si de rien n'était.
— Comment ça ? demanda-t-il en piquant sa nourriture avec sa fourchette en plastique.
On ne donnait pas de vrais ustensiles aux détenus ; ce serait trop dangereux et on pourrait les utiliser comme des armes.
— Il fait la loi, ici. Il est dangereux. Tiens-toi à carreaux avec lui.
— Il est si horrible que ça ?
— Oh, ça ne fait que deux ans que je suis ici et j'ai vu de ces choses qui font frémir. Il est là depuis longtemps et il n'a rien à perdre. Mais il se salit rarement les mains lui-même – non pas qu'il en soit incapable – ; j'ai vu un gars, une fois, qui avait essayé de lui piquer sa chaîne. Trois mecs l'ont attaqué à la sortie des douches, dans la salle de bain, et ils l'ont frappé avec un poignard artisanal : une lame de rasoir fondue dans une brosse à dent. Le gars a dû être transféré à l'hôpital en hélicoptère et il a été changé de prison après ça.
Isaac en eut des frissons qu'il tenta de masquer au maximum. Cette histoire était effrayante.

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Azione[𝑀 𝓍 𝑀] Après s'être fait arrêter avec deux kilos de cocaïne, Isaac est placé en détention à la prison de West Island. Il doit partager sa cellule avec un dénommé Chaz qui se trouve être le chef des prisonniers à l'intérieur de l'établissement ca...