Chapitre 40

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Chapitre 40.

Ronaldo venait de finir une coupe et était en train de passer le balai quand Grayson entra dans le salon de coiffure. L'Italien releva la tête et s'arrêta de balayer momentanément.

— Monsieur le directeur.

Grayson leva les yeux.

— Pas de cela entre nous, Ronald.

— Vous voulez une nouvelle coupe ?

Le directeur hocha la tête et s'installa sur la chaise tournante. Ronaldo attacha la cape derrière sa nuque avec un regard triste. Grayson venait le voir au salon de coiffure au moins une fois à toutes les trois semaines. Ronaldo connaissait sa coupe par cœur, les gestes étaient familiers, presque automatiques. Pourtant, au lieu de se dépêcher, il prenait son temps.

— Depuis quand est-ce que tu me vouvoies ?

— Pourquoi est-ce que je ne le ferais pas ?

— Je pensais que nous avions dépassés ce stade.

Ronaldo soupira, puis il abdiqua. Il abdiquait toujours avec Grayson.

— C'était il y a longtemps. Tu devrais te trouver un autre coiffeur, à l'extérieur de la prison. Ce n'est ni bon pour toi ni bon pour moi que tu t'obstines à revenir ici à chaque mois.

— Je dois encourager mes détenus. Je n'ai pas le temps d'aller ailleurs ; je suis un homme occupé.

Grayson prenait à cœur son boulot au centre pénitencier. La réinsertion de prisonniers était son objectif principal et il mettait toute son énergie dans le bon fonctionnement de son établissement.

Ronaldo secoua la tête tout en inclinant celle du directeur vers l'avant pour raser la ligne de sa nuque.

— Tu pourrais perdre ton emploi. Tu sais tout comme moi pourquoi nous avons arrêté. Ça ne peut plus continuer. Tu laisses passer mes intérêts avant ceux des autres. C'est dangereux ; tu joues avec le feu. Ça a failli mal se terminer la dernière fois... imagine s'il avait porté plainte...

Grayson releva la tête et observa son reflet dans la glace. C'était parfait. À présent, le coiffeur devait prendre le rôle de barbier et raser la ligne franche de sa barbe. Ronaldo abaissa le dossier de la chaise, puis étala la crème sur ses joues.

— Je lui ai mangé dans la main, dit le directeur, tu sais qu'il n'aurait pas porté plainte. Il a eu tout ce qu'il voulait.

— Nous ne pouvons pas recommencer.

Grayson pinça les lèvres.

— Tu sors bientôt, non ?

— Dans un an et quelques mois... mais qui sait ce sera pour combien de temps.

Après tout, il en était déjà à sa deuxième incarcération, mais celle-ci avait été plus longue que la première fois. Ça avait été stupide. Il en avait eu assez de se faire traiter de « PD » par son père et avait fugué sans demander son reste. De fil en aiguille, il était tombé entre les mains de la mafia Sicilienne. C'était le seul endroit qui lui offrait une chance, alors qu'il n'avait pas un seul sou en poche. Il avait commencé à voler des sacs à mains, puis des voitures...

Depuis, il avait muri. Il n'était plus le même petit con qui avait franchi les portes de West Island la première fois. Il avait trente ans maintenant, il était temps qu'il sorte d'ici une bonne fois pour toute.

— Tu ne rechuteras pas. Il n'y aura pas de raison. Tu pourras venir t'installer chez-moi.

Ronaldo s'appliqua à raser la barbe du directeur jusqu'à ce qu'elle remonte en une ligne parfaitement droite sur sa pommette. Il essuya la crème avec un chiffon, puis orienta le menton de Grayson à droite et à gauche pour veiller à ce qu'aucun poils ne dépassent à la lumière. Raser un autre homme lui avait toujours apparu comme un geste intime. On ne laissait pas n'importe qui s'approcher de son visage avec un objet tranchant.

— Qui sait.

Il y eut un instant de silence.

— Il faudra redoubler de vigilance, finit par dire le directeur. Il y a un nouveau détenu, Wilds, c'est un agent du FBI sous couverture.

Ronaldo s'arrêta un instant, son geste suspendu dans les airs. Puis, il se raidit.

— Je ne vois pas sur quoi nous devrions redoubler de vigilance, puisqu'il ne se passe rien entre nous.

— Juste au cas. Tu pourrais changer d'avis.

Le coiffeur donna le coup de rasoir final qui corrigea les dernières imperfections de la barbe de Grayson.

— Il ne vaut mieux pas.

Il détacha la cape et Grayson se releva, s'admirant dans la glace.

— Pourquoi est-ce que je dois toujours jouer à l'adulte entre nous ? soupira Ronaldo en rangeant son matériel. Tu es le directeur.

— C'est ce que j'aime chez-toi ; toujours là pour me ramener à l'ordre.

Il était douloureux de regarder Grayson dans les yeux quand il lui disait quelque chose comme ça. Ronaldo aurait préféré avoir un cœur de pierre et être hermétique aux sentiments. Visiblement, c'était tout ce qu'il n'était pas.

— Ce ne devrait pas être mon job... Bon, tu retournes bosser ?

Grayson hocha la tête.

— Oui, mais garde-moi une place dans ton carnet de rendez-vous.

— Pour dans trois semaines ?

— Pour dans trois semaines, confirma-t-il d'un mouvement du menton.

Ronaldo nota le rendez-vous dans son livre au même jour et à la même heure qu'à l'habitude. À chaque fois, il le demandait, même s'il connaissait déjà la réponse. Comme s'il espérait que, un jour, Grayson lui dise « non, j'ai d'autres projets et j'ai trouvé un autre coiffeur » ou « non, je prend des vacances cette semaine-là », mais ça n'arrivait pas. Jamais. Grayson persistait et insistait pour qu'il soit son seul coiffeur. Personne d'autre ne touchait à ses cheveux ou à sa barbe. Il disait que seul lui parvenait à bien faire le travail. Et Grayson ne prenait jamais de congés.

Le cœur de Ronaldo se serra quand il suivit des yeux la silhouette de Grayson qui s'éloignait et passait la porte du salon de coiffure pénitencier. Si seulement les choses avaient pu être différentes... Dans une autre vie, peut-être, peut-être que leur histoire aurait pu avoir une chance... 

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