Chapitre 10 (1/2)

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Les erreurs du passé sont les faiblesses de l'avenir.


Point de Vue Victoire — 24 octobre 2078

Je me réveillai. Une nouvelle fois dans un hôpital. Je me disais qu'il fallait que je prenne un abonnement, décidément. Avec un sourire, je me repositionnai dans mon lit et réprimai un cri.

« Couqui de diou ! » me dis-je.

Ça faisait mal ! Je regardai sous ma blouse et mes souvenirs remontèrent. Ma fuite, Paul, sa cabane, ses aveux et ensuite leurs voix. À lui et à... ? Daniel ? Son frère ? Il avait un charme lui aussi.

Si je n'avais pas eu Paul, j'aurais sûrement eu le béguin pour lui : très brun, cheveux légèrement longs, yeux bleus, mâchoire carrée et musclée, des lèvres assez...

Tu dérives ma vieille. Il était grand la première fois où je l'ai vu... Je devais avoir cinq-six ans et il en avait quatorze. En même temps, je le connaissais depuis le CE1 grâce à Paul et on avait été ami très tôt. Il avait déjà la barbe qui commençait à manger son menton et ses joues.

Il aurait pu être sportif dans toutes les disciplines, tant il aurait été parfait. Je me souviens de ses mains. Ses grandes et rugueuses mains. Il m'avait empoignée sous les bras pour me faire tourner.

J'avais ri, mais ri ! Personne ne pouvait m'arrêter. Il était très gentil avec moi. Très prévenant. Paul en avait été jaloux même. Cela m'avait excitée comme une puce. J'adorais le rendre jaloux, le voir se battre pour essayer de me conquérir, ça avait l'allure des contes de fées. J'adorais les contes de fées.

J'avais toujours rêvé de vivre dans un livre : que ma vie soit palpitante, que je connaisse les coups du sort, mais que je m'en sorte toujours avec un homme que j'aime. Je ne me rêvais pas en princesse, mais plutôt en magicienne. Aventurière et débrouillarde, elle échappait toujours à la mort.

J'avais huit ans quand je connus ma première déception.

J'avais vu mon oncle et ma tante divorcer. Je les aimais plus que tout et les voir se déchirer ainsi, je ne croyais plus au prince charmant. J'avais vu les larmes et les insultes pleuvoir dans ma famille et cela m'avait déchirée autant que la sœur de ma mère.

C'était toujours triste, un divorce. On en avait tous connu au moins un, même aujourd'hui, alors que plus personne n'avait foi en l'avenir. Peu se mariaient : on préférait s'unir à la fin de notre vie, dans nos tombes. En plus, les gouvernements adoraient ça, les purges.

Alors, on fêtait ça en grandes pompes. À soixante-huit ans, on se mariait, comme ça, on avait deux ans pour s'aimer en tant qu'époux. Et on ne pouvait pas – ou pratiquement pas – penser à la séparation.

Les anciens disaient que, avant, les noces de coton et de cuir d'un couple étaient les plus belles, c'était ainsi qu'on se liait les deux dernières années de notre vie.

Parce que, oui, à soixante-dix ans, les aïeux étaient euthanasiés. C'était décidé par les hauts placés. On travaillait jusqu'à soixante-huit ans et, peu après, on mourrait. C'était horrible, mais c'était devenu habituel.

Il y en avait bien qui avait essayé de se rebeller, mais ils avaient été ostracisés. Et d'ailleurs, comme aucune société ne voulait des plus de soixante-dix ans, on arrivait quand même à les tuer autre part.

Et puis, c'était toujours triste un mariage, désormais. On souhaitait le bonheur, mais cela servait à quoi, pour un laps de temps aussi court ? Il n'y avait plus de lune de miel ou les enfants à venir dans les conversations, c'était plutôt dans quel cimetière allait-on être enterrés ? Quelle serait la couleur de la stèle ? Quel message serait gravé ? Que des choses morbides, en somme.

Victoire Ou Comment Survivre En Milieu Hostile.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant