Chapitre 38 (1/2)

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L'homme, depuis sa naissance, est coincé entre deux mirages : l'un qui le pousse dans le dos et qui est la mort, l'autre étant l'horizon de la vie qui recule sans cesse.

Point de Vue Victoire — 23 mai 2081

J'ouvris les yeux doucement. Maintenant, la morphine faisait de moins en moins effet sur moi, peut-être par accoutumance, car je doutais qu'on réduise les doses. Je me réveillais souvent, parlant ainsi avec Amélia durant de longues heures lorsqu'elle s'occupait de vérifier si tout allait bien, depuis près d'un mois. D'après ce que j'avais calculé, on devait être le vingt-trois mai, cela faisait donc deux mois que j'avais dix-huit ans. Bon sang, j'aurais pu être majeure dans une autre vie ! Puisque celle-ci n'en était pas vraiment une... J'aurais alors passé mon bac scientifique pour intégrer une école de médecine. J'y aurais suivi une formation de médecin légiste. Métier qui m'attirait depuis longtemps sans vraiment que je puisse me l'expliquer. La possibilité d'aider les gens sans risquer de leur faire du tort, une de mes plus grandes peurs, en était probablement la raison. Sans Dpékan, nos vies seraient devenues bien meilleures. Au moins, elles auraient été des vies. Pas seulement de la survie dans un environnement mortel. Sans cet homme, son propre pays n'aurait pas génocidé, – terme qui avait fleuri pour qualifier les massacres organisés par notre dictateur chéri –, et il n'aurait pas été reconstruit à force d'eugénisme et de xénophobie. Il est tombé bien bas, le pays des droits de l'homme !

Je serrai les poings. Sans ce monstre, je n'aurai pas de sang sur les mains, surtout pas celui de mes amis, même si ça ne restait que des histoires, ou ce qu'il tentait de me faire gober. À dire vrai, j'étais un peu perdue, je cherchais toujours un moyen de faire cesser cette machination, mais je n'avais aucune certitude de savoir comment le faire. Un bruit me tira de mes réflexions : j'étais dans une nouvelle pièce. Bleu électrique d'après la lumière qui passait sous mes paupières. Bizarre, Amélia ne m'avait pas dit que ce serait pour aujourd'hui. J'ouvris les yeux. Une tête se pencha au-dessus de moi et me scruta. Ses cheveux tombèrent en cascade autour de mon crâne, chatouillant mes joues. Je souris et tentai de me relever jusqu'à ce que je sente les deux mains de l'ancienne cheffe résistante sur mes épaules. Elle me bloquait au sol et, vu son regard, elle avait l'air très contrariée. J'avais peur. Je l'avais déjà vue pendant une de ses crises, et même si aucune louche notable n'était présente ici, rien ne l'empêchait de me faire du mal.

— Qui es-tu ? me cracha-t-elle.

D'accord, j'avais changé un peu physiquement, mais de là à ne plus me reconnaître ? Je scrutai ses iris à la recherche d'une dilatation anormale, au cas où notre ravisseur eut envie de la droguer. Néanmoins, ils semblaient normaux. Son visage était davantage amaigri, s'il pouvait l'être plus qu'il y a trois ans, ses cheveux châtains avaient subi plusieurs coupes, cela se voyait sur les différences de longueurs des mèches, plus ou moins longues. Le reste de son corps laissait place à des vestiges de la vie résistante, des cicatrices, plus ou moins profondes, marbraient ses bras, son cou et ses jambes, dénudés. Je tentai de la repousser, mais elle tint bon. OK, elle n'allait pas bouger par la force, on allait tenter la manière douce.

— Victoire, c'est moi Victoire, répondis-je, je t'en prie Thalie, enlève-toi, tu me fais mal...

Son regard changea, passant de la colère à la surprise, puis à la méfiance. Qu'avais-je fait de mal ?

— Comment ça se fait que tu connaisses mon nom ?

— Mais enfin ! Tu as perdu la tête ?! Comment tu peux ne plus te rappeler de moi ? Dpékan t'as lavé le cerveau ou quoi ? Après, ça ne m'étonnerait pas qu'il t'ait torturé...

— Dpékan ne m'a pas parlé depuis que je suis ici, tu as quelle affiliation avec lui ?

— Tu le fais exprès ? Tu ne me reconnais vraiment pas ? Tu ne te souviens pas que tu as voulu m'échanger moi et Eydan contre tes amis ?

Victoire Ou Comment Survivre En Milieu Hostile.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant