Chapitre 9 (Retour dans l'antre du Loup)

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La nuit accepte tes enfants


D'après les indications de Granela pour trouver les ingrédients obligatoires à la création des fioles d'accipit et de conscientia, Annatar dut retourner à Rive-Sang. C'était la dernière cité desservie en transport maritime pour se rendre à son objectif. Le reste, il devrait le faire à pied et la plupart du temps dans une forêt immense et de réputation dangereuse. Beaucoup d'histoires narraient la mort de voyageurs s'étant perdus dans ce labyrinthe d'arbres. Ne connaissant aucunement la région, même avec la carte remise par Granela, Annatar devait trouver un guide, et un guide non officiel. Car en tant que sybillin, il devait passer le plus inaperçu possible, à chaque instant.

Faute de temps pour trouver un guide par ses propres moyens, il dut se résoudre à recruter celui de ses contacts de l'ombre. Il lui avait été chaudement recommandé car, natif de la région où il souhaitait se rendre, il connaissait la forêt comme sa poche.

Il n'aurait jamais cru revenir dans l'antre du loup aussi rapidement... Il entra discrètement dans le 238 et aperçut Grant. Le seul œil de ce dernier s'écarquilla de stupeur lorsqu'il vit qui se présentait à la porte d'entrée. Par réflexe, sa main aux doigts coupés se dirigea vers ses hachettes sous le comptoir. Au geste de Grant, Annatar lui fit signe de ne plus bouger et lui intima de faire silence. Le patron du bar obéit sans broncher.

L'ancien soldat ne commettrait pas une seconde fois l'erreur de s'opposer à l'apostel. Il se débarrassa du poivrot accoudé au comptoir en lui balançant une pièce d'or pour qu'il aille s'asseoir à une table plus loin, avec sa pinte remplie de fond de cuve.

Annatar s'approcha lentement de Grant au comptoir :

-Tu sais pourquoi je suis là ?

Le terrifié acquiesça lentement. Son front dégoulinait de sueur. Tout transi de peur qu'il était, cela n'empêchait pas son esprit de se venger de mille façons. Annatar continua :

-Où est-il ?


La porte de la chambre sept s'ouvrit en grinçant. Grant montra l'ivrogne endormi profondément et ronflant à tout va. Il s'apprêtait à redescendre s'occuper de ses affaires lorsque l'apostel le retint :

-Non, non. Tu rentres avec moi, ordonna l'étranger aux cicatrices.

Le patron s'exécuta sans un mot. Il remarqua que, comparé à lui, l'assassin paraissait n'avoir gardé aucune séquelle de leur récente altercation, ni de la hache qu'il avait reçue dans le dos. Cela renforça sa conviction qu'Annatar était bien un sorcier, ce qui finit de le convaincre de ne rien tenter et d'attendre patiemment qu'il s'en aille. Le dominant ordonna :

-Réveille-le.

Grant se dirigea vers Raven et donna un coup de pied dans le lit déjà peu solide. Un deuxième coup, cette fois-ci sur la jambe de l'alcoolisé, parvint à le réveiller en sursaut. Les yeux injectés de sang et coléreux envers celui qui osait perturber sa cuite, Raven grommela. Lorsque sa vision se réajusta, il reconnut le borgne et le second personnage à ses côtés. L'invité avait la dextre sur son poignard, prêt à dégainer au moindre geste belliqueux des deux caïds. Persuadé d'être victime d'une hallucination, Raven se frotta les yeux et s'assit sur le lit. Mais ce retour à la réalité ne fit que confirmer ce qu'il avait vu, à son grand désarroi :

-Et merde...

-Comme tu le dis. Toi, à genoux face au mur. Les mains derrière la tête, ordonna-t-il à Grant pour éviter la moindre entourloupe. Quant à toi, je suis venu réclamer le service que tu me dois.

-Bien, bien... qu'on en finisse. Qu'est-ce que tu veux, sale emmerdeur ? grogna-t-il en remettant en place son chapeau fedora et en ravalant avec une grimace une remontée de vomi qui envahit sa bouche d'ivrogne.

-Je cherche un guide pour m'emmener en comté de Massilian, sur les hautes collines.

-Je ne vois pas pourquoi on t'a amené à moi, je ne connais pas...

-Il ment ! Il est natif de cette région et la connaît par cœur, ainsi que ses putains de villageois ! Maintenant, emmène-le avec toi et sors de mon établissement, coupa sèchement Grant, dont les genoux commençaient à souffrir sous son poids.

-Petit bâtard de fils de... Bon OK. De toute façon, je ne peux plus me débiner. Donc, ce que je te propose, c'est que je trouve le gars qu'il te faut et tu me fous la paix, une bonne fois pour toutes. C'est OK pour toi ?

-Non.

-Non ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui ne va pas, encore ? Le connard derrière toi vient de te dire que je te...

-Tu vas m'accompagner, toi. Comme ça, pas d'entourloupe.

-Tu plaisantes, c'est ça ?

-Pas d'entourloupe. Sois un bon petit brigand. J'ordonnes et tu exécutes.

Et tandis que Raven digérait les nombreuses informations que son cerveau endolori peinait à filtrer, Annatar ajouta :

-Inutile de réfléchir à ta décision, tu n'as pas le choix.

-OK... OK... Bien, nous partirons dès dem..

-Maintenant. Inutile de prendre tes armes et tes affaires, tu n'en auras pas besoin.

-Non, mais t'es sérieux là, mec ?

-Quant à toi, Grant, si je vois ne serait-ce qu'un seul de tes putains de gars qui nous suit, j'égorge ton petit copain que tu viens de vendre. Et ensuite, je reviendrai bouillir ce qu'il reste de ta tête.

-Inutile de me le dire deux fois. Maintenant, barre-toi et ne reviens plus jamais ici, répondit l'aubergiste hargneux.

-Debout. On y va.

Les deux compagnons de fortune quittèrent les lieux immédiatement après. Grant redescendit dans la salle principale juste après qu'ils aient claqué la porte de l'auberge derrière eux. Il s'adressa alors à Berni, qui le regardait d'un oeil interrogateur :

-Va le prévenir. Il est revenu...


Ils atteignirent la bordure nord de la ville en milieu de matinée. Ils pénétrèrent alors dans l'immense forêt et marchèrent jusqu'au soir sans s'arrêter, sans le moindre égard pour le contrebandier encore saoul de la veille et qui peinait à se remettre de sa nuit de plaisir.

Malgré sa vigilance et ses regards répétés pour vérifier qu'aucun sbire de Grant ne les suive, Annatar n'aperçut pas cette ombre qui les observait, les gardant à bonne distance. Quelqu'un les avait pris en filature peu de temps avant leur entrée dans le sous-bois et les gardait depuis sous surveillance, parfaitement embusqué derrière les nombreux arbres de l'immense forêt.



Apostel NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant