Chapitre 50 (Les Sabots de Sanglier)

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Du gras... de la charcuterie... des patates...

Le gras, C'est la vie !



                     Depuis quinze jours, le fugitif d'Héméra ne se restaurait que de fruits des bois, de quelques glands et d'un peu d'eau des rosées du matin. Il avait bien essayé durant sa fuite en royaume de Dutrich de chasser quelques écureuils ou lièvres qui le firent saliver dans leurs courses. Mais aux grands désarrois de son père et son frère, jadis, il n'avait jamais voulu apprendre à chasser. Il n'aimait pas cela et trouvait cruel de tuer pour le plaisir, alors que sa condition de fils de maréchal lui offrait le couvert chaud chaque soir. Aujourd'hui, il s'en mordait les doigts. Il aurait vendu son âme, aussi peu chère valait-elle, pour un délicieux sanglier rôti, cuisiné avec quelques champignons et de la crème. Beaucoup de crème fraîche. Mélangée avec une excellente moutarde et épicée de différents mets du monde entier. Le tout avec un peu de...

STOP ! Il ne fallait plus penser à la faim. Cela empirerait un moral déjà très bas. Il avait perdu plus de quinze kilos en un mois de marche. Non seulement par les conditions de sa fuite, mais également en se rongeant les sangs de ce soir-là.

La culpabilité comme unique partenaire de route, elle lui avait porté tous les pires conseils pour se remémorer des souvenirs ancrés à jamais. Et elle s'affairait à sa cynique tâche, à chaque pas dans ces forêts. Chaque mètre dans ces plaines. La moindre seconde à passer avec lui-même, avec pour seule vision dans son esprit, le visage cadavérique de sa famille et d'Héléna. Ses fantômes tournoyaient autour de son esprit tous les soirs et murmuraient au suicide, comme un écho dans la forêt sombre. Il faillit lâcher. S'abandonner à la mort. Après tout, il aurait pu. Ça semblait facile. Il suffisait de se laisser crever de faim et d'attendre que des loups, des ours, ou tout autre charognard autant affamé que lui viennent le finir. Ou tout simplement de s'ouvrir la gorge. Il manqua d'abandonner à mi-trajet, dans un vallon rocailleux aux portes du royaume dutrichien. Mais les dernières paroles de Siraffon Gelt l'avaient sorti de ses sinistres projets. L'infime espoir d'une repentance s'extirpa de la bouche de son vieil ami et sauveur. Ce fut le carburant nécessaire afin que le fugitif, sûrement connu dans tout l'empire depuis le temps, puise arriver à destination.

Caché dans les bois, il scrutait depuis maintenant un jour et une nuit, l'auberge « Les Sabots de Sanglier ». Un nom bien trouvé en ce village perdu au milieu de rien. Animal phare de la région, envahissant les forêts et si bon au goût... Avec un peu de sauce, des haricots à l'ail et de...

STOP ! Il devait se concentrer coûte que coûte. Ne plus penser à la nourriture ni au sommeil ni à la fatigue. Juste attendre le signal. Mais quel signal ? Frig, l'homme de main de Siraffon, ne lui en avait pas indiqué davantage. Il lui avait répété sous les indications de Gelt :

- Tu sauras, quand tu le verras.

Alors, Gabriel patienta. Encore une journée supplémentaire blotti dans un buisson de fortune aussi accueillant qu'une prison. Mais le poste de guet végétal se tenait assez bien en retrait du petit village pour ne pas être repéré, tout en permettant de scruter les environs.

D'ailleurs, de ce que constata le fugitif, le patelin affichait en ce jour de marché tout ce dont Gabriel rêvait. Et comme une mauvaise blague de la part des Trois Saints, de la bouffe. Les dieux se concluaient vraiment ignobles avec lui, se plaignait-il.

Pourtant, s'il le désirait, il achèterait tout l'étalage, vu la quantité phénoménale d'argent que lui avait laissé Siraffon dans son paquetage de fuite. Mais comment dépenser et satisfaire sa faim avec des gens qui pourraient le reconnaître ? Aurait-il le courage de tenter sa chance et de risquer de tout gâcher pour assouvir son instinct primaire ? Non, il devait résister. Les baies de la forêt représenteraient son unique atout pour l'instant. Même avec tout cet or tarrien en poche. Ce n'était même pas de la monnaie dévalorisée dutrichienne, mais bien de l'or tarrien. Néanmoins, en ce cas présent, cela s'avérait bien inutile d'être riche si on était recherché. Il savait parfaitement que l'assassinat d'Hector fut un pied dans la fourmilière.

Apostel NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant