Chapitre 56 (Chambre Treize)

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Un an plus tard...


            Gabriel finissait de nettoyer les écuries. Il s'était habitué à cette existence de servitude que lui imposaient ses nouveaux « amis ». Mais malgré la difficulté de la tâche et la fatigue journalière, il aimait cela. Car il avait un rythme de vie dorénavant. Il ne réfléchissait plus à ses soucis et ses actes d'antan. Pas le temps ni la force. Il ne pensait que ponctuellement à sa douce Héléna, son père, ou son frère qu'il laissa en ce monde lorsqu'il ne bossait pas, justement. Ça se concluait le pire moment de la journée, d'ailleurs. En ce sens, le travail lui permettait de ne pas souffrir mentalement. Et mieux valait souffrir du corps que de l'esprit. En cela, il commençait à le comprendre et il trouva donc dans les basses besognes, une voie de secours et un apaisement de ses remords. Son deuil et sa culpabilité se vivaient plus aisément avec cette existence de domestique. Laver, nourrir, nettoyer, frotter, etc. Pour ne plus penser. Loin de tout. Loin des hommes. Loin de l'empire. Et loin de la vie qu'il avait abandonnée pour sauver Héléna.

Un jour, peut-être.

Le soleil pénétrait difficilement les épais nuages qui occupaient ces forêts sinistres. La région imposait donc une température glaciale, comparée à la capitale impériale. Car même au mois d'août, mieux valait ne pas trop se dévêtir dans cette forêt dutrichienne. Il ne faisait guère plus chaud en été qu'en hiver, avait remarqué le cadet De Justinier. C'était probablement pour cela qu'Herumor avait choisi de vivre en ces lieux peu agréables pour l'humain moyen. Seuls les plus robustes, les criminels, mais aussi les plus pauvres tentaient de vivre dans cette région froide, animale et dangereuse. Un idéal pour des parias recherchant la solitude. Un bouclier naturel pour n'importe quel fugitif voulant se faire oublier de l'empire, par exemple.

Durant les longues nuits des frimas, le disciple avait tenté de faire un feu. Mais il s'était fait sévèrement réprimander d'une façon violente et déshonorante par son hôte. À ce que Gabriel avait compris, le dominant refusait tout confort pour le jeune fugitif. Pourquoi tant de cruauté envers le garçon ? L'ex-apprenti médecin n'en savait rien. Herumor, lui, ne se privait pas d'un feu réconfortant devant la cheminée de son bureau, que lui faisait d'ailleurs son locataire de dix-neuf ans, tous les soirs. Mais l'amant d'Héléna n'oserait jamais faire la remarque de l'injustice.

Pouvait-il seulement penser cette protestation en présence de cette âme oppressante ? Car c'était bien le terme adéquat, « oppressant », qu'il ressentait dès qu'il rencontrait le vieil homme. L'apprenti n'était même pas sûr de pouvoir penser, ou encore moins jalouser le propriétaire du manoir Gravitz. Comment savoir ce qu'un tel être, capable d'exploser cent têtes d'un seul geste, arrivait-il à faire d'autre ?... Cela n'aurait pas surpris le cadet d'Hector que le vieux loufoque lise les pensées profondes d'une âme aussi faible que Gabriel De Justinier.

Mieux valait donc ne pas penser de mauvaises choses à l'égard du bossu.

Dorénavant, cela n'était plus important pour le fuyard tarrien, car il avait appris durant ses premiers mois à vivre comme un sans domicile. À se démunir de tout confort. Il était trop occupé à nettoyer et consolider cet édifice, d'apparence en décomposition. Ce qui lui demandait des efforts physiques continus et assez intenses. Des efforts lui faisant oublier la plupart du temps cette sensation de froid. « Décidément, ce travail sans salaire ni récompense offrait bien des avantages, à bien y réfléchir », se mit à rire le concerné en réalisant le constat de sa situation pire que catastrophique.

On ne pouvait pas creuser plus bas.

Désormais, il connaissait la propriété sur le bout des doigts. Il avait nettoyé, réparé, rangé chaque mètre carré de cette immense demeure. Mais jamais, il n'avait commencé son apprentissage qui l'avait convaincu de réaliser ce long périple jusqu'ici. Une fois, il avait perdu son sang-froid et sa patience en demandant subtilement et humblement si Herumor n'avait pas oublié pourquoi il était venu ici ? Tout ce qu'il obtint en retour fut un « Prépare le dîner », avec un ton toujours aussi froid, vide et impassible qu'avait le propriétaire du manoir. Tout autant courageux qu'un lapin, Gabriel ne s'était pas plus risqué à réitérer sa question, de peur que son hôte ne dévoile sa colère, facilement imaginable, à l'égard du jeune impatient.

Apostel NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant