Chapitre 36 (Le carrefour)

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                     Au bout de plusieurs semaines de marches et de voies maritimes, depuis le meurtre du gouvernor, Raven sombrait toujours davantage dans la monstruosité.

Quant au tableau corporel d'Annatar, il s'était offert de nouveaux coups de pinceau. Sa peau devenait rosie et peu ferme, mais les douleurs avaient disparu. Au moins pour celles de son dernier combat contre les monstres de chair et d'os. Car les dernières blessures imprimées à Paradis demeuraient bien présentes dans l'aspect et le ressenti. Notamment son nez cassé qui peinait à se ressouder. Au moins, l'apostel possédait encore le sien, à l'inverse de son ennemi le protector Octopus.

Mais un autre mal martyrisait cet habitué des tribulations qu'était Annatar. Intérieurement, il n'en pouvait plus. Depuis un moment, il ne fermait les yeux que quelques dizaines de minutes par nuit. Au mieux, quelques heures, malgré les semaines d'épuisement et son rythme de vie particulièrement chaotique. Surtout ces jours-ci. Il s'en était rendu compte au retour de la grotte des kanzels. Cela empira grandement au château de Paradis. Ses organes et son esprit avaient beau sonner l'alarme sur son état de santé, rien n'y faisait. Les boules de pus noires qui se formaient au niveau du ventre, de la cuisse gauche et de la clavicule, devenaient inquiétantes, même pour un homme comme lui, spécialisé dans l'anatomie humaine. Ces infections grossissaient et se multipliaient ici et là sous ses vêtements. À cela s'ajoutait son réseau de veines devenues ostensiblement sombres, violacées et d'autant plus visibles sous cette peau de plus en plus pâle et maladive. De plus, les veines gonflaient et ressortaient comme si le vingtenaire ténébreux exécutait constamment un intense effort physique. Ces veinosités devenues démesurées se propageaient désormais sur tout son corps. Elles commençaient à progresser nonchalamment vers son visage, telle une racine endémique s'infiltrant lentement dans tout l'organisme. Même la texture de son sang, chargé de carbone, et manifestement noir dans le système veineux, devenait granuleuse et épaisse au toucher. Comme si le liquide vital n'arrivait pas à circuler librement et s'épaississait de jour en jour.

Là-dedans stagnait un mal qu'Annatar ne comprenait pas.

Il fut contraint de cacher en permanence son cou et ses bras, en plus de son œil greffé, lorsque le duo rencontrait d'autres personnes durant leurs courtes pauses vers leur destination. Mais même s'ils fussent considérés comme des pesteux ou des contaminés, l'obscur, lui, réussissait encore à cacher la progression de ses veines malades. Par conséquent, il se permettait encore d'apparaître en public.

À l'inverse, la situation se déroulait tout autrement pour Raven. La peau de l'humanoïde fondant davantage de jour en jour, il attendait à la lisière des villages. Condamné à ne plus pouvoir fouler le monde des hommes au grand jour dans son apparence dérangeante et avec ses envies carnassières qu'il contrôlait de plus en plus difficilement. Même le corps désagrégé de l'apostel l'attirait comme un aimant. Depuis maintenant plus de deux mois qu'il s'était transformé massivement en un kanzel hybride, il n'avait réellement mangé que de la viande animale. Manifestement, le gibier standard paraissait livide face à l'odeur humaine. Le contrebandier repensait sans cesse à ce repas qu'avait été son homologue pédophile du clan Gorgo.

Dorénavant, le goût humain paraissait si divin aux papilles par rapport à du bétail ou du gibier. Mais il fallait lutter.

Le contrebandier fut une exception, car Raven résistait tant bien que mal au kanzel en lui. Et une exception plus que justifiée, car en l'honneur de cette pauvre âme souillée par Gaulas, le dépecé avait pris plaisir à dévorer chaque morceau du pédophile. Il considéra même avoir fait une bonne action en supprimant une raclure de plus en ce bas monde.

Raven était donc condamné à errer dans les bois, aux portes de la civilisation. Attendant sagement que l'obscur ramène des victuailles des villages se trouvant sur leur chemin. Ils avaient assez de problèmes comme ça pour en plus alerter toutes les forces militaires à chaque rencontre. Problèmes qui se poseraient automatiquement dès que quelqu'un regarderait de trop près le partiellement dépecé, au dos saillant et de la taille d'une armoire.

Apostel NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant