Chapitre 46 (La fuite)

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Les larmes se mélangeaient avec le sang sur les joues de Gabriel qui courrait dans la rue. Le fugitif entendait les soldats de la garde crier en tous sens dans les beaux quartiers des officiers.

Des résidences en bois blanc, comme sa propre demeure, étaient dérangées en cette nuit de remise des prix des académiciens. Les cloches d'alertes chantaient dans les différents postes de la garde régulière, non loin d'ici. Racontant à tout Héméra les crimes de Gabriel et son parasite. Le soldat et Gisèle, la nouvelle veuve, avaient sûrement alerté les secours au poste de garde le plus proche. Ainsi, tous les soldats disponibles se dispersaient, ponctués par les aboiements des chiens qui pistaient le fuyard Gabriel De Justinier, auteur d'un fratricide, d'un parricide et du meurtre de demoiselle Varguas, la fille du légat terrenum.

Gabriel courrait. Il fuyait instinctivement la garde et le lieu de tous ces crimes impardonnables. Mais son esprit se trouvait ailleurs. Oui, il était toujours resté dans la demeure De Justinier, à ressasser sans arrêt les trois meurtres qu'il avait commis. Des meurtres impardonnables, injustifiables, malgré sa double personnalité.

Gabriel... que... qu'as-tu fait ?

Il ressassait indéfiniment les dernières paroles de son père envers lui, comme un bourdonnement incessant qui pointait de son doigt accusateur, le coupable aux yeux bleu-gris. Ces cinq mots qui le hanteraient toute sa vie.

Si tant est qu'il survive à cette nuit. Cela s'avérerait difficile, mais au fond, il s'en fichait. Il méritait la potence. Pire même. Il le pensait en revivant le jugement dans le regard attristé de son défunt paternel. Il avait hésité mille fois dans le quart d'heure qui suivit sa fuite à arrêter son évasion et se rendre.

Mais ce n'était pas son sort qui le forçait à continuer. Car le fratricide ne courait pas seul, d'où sa lenteur à fuir ses traqueurs. Pour il ne savait quelles raisons, il avait embarqué sur sa frêle épaule le cadavre d'Héléna dans sa fuite. Le couteau assassin demeurait toujours planté dans le cœur de la belle qui, même dans l'au-delà, restait éclatante de beauté. Il était épuisé. Et par le combat, et par ses blessures, mais aussi par le poids qu'un corps relâché de toute vie peut infliger à son porteur. Mais comme pour sa fuite, son instinct prenait le pas et il avança, l'esprit hagard. Revivant la scène macabre mille fois. Cent-mille, peut-être ?

Après plus d'une demi-heure, alors que l'orage et la pluie couvraient ses traces pour leurrer les chiens, Gabriel dut s'arrêter. Quatre silhouettes patientaient à quelques pas de lui et son fardeau, trempés par le temps. Ils semblèrent l'avoir attendu toute la nuit ainsi. Comme si les nouveaux arrivants savaient où l'apprenti médecin, et sa défunte amante, se rendaient en ce moment tragique :

- Décidément, te voilà davantage dans de sales draps que moi, Gabriel, entama Random Corvelt qui le toisait debout.

Non plus sur un siège roulant, mais bien sur ses deux jambes, les poings frémissant d'impatience de cogner. « Impossible ! », s'étonna le fugitif en sortant de ses songes et de son chagrin. Comment ce bougre d'enfoiré se tenait-il debout ? Le cadet De Justinier ne lui avait-il pas ôté, sans le vouloir, tout espoir de remarcher un jour ? Le fuyard était étonné, et en même temps, pas autant que cela. Après tout, rien de pire ou de plus étonnant ne pouvait arriver à ce pauvre garçon en cette nuit désastreuse.

Derrière le miraculé au regard aussi fier et désinvolte qu'avant sa cuisante défaite, se positionnaient son grand-père et sa canne ornée de sculptures de chevaux. Les deux molosses de protecteurs l'escortaient tout près. Tous les trois restèrent en retrait de l'héritier dutrichien, comme pour s'assurer de ne pas intervenir, mais de se situer assez près pourvoir le combat prochain à travers cette pluie torrentielle. Et, en outre, d'influencer le déroulement du combat si jamais le petit-fils dutrichien venait à nouveau à perdre le duel qu'il s'apprêtait à lancer.

Apostel NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant