Chapitre 28 (Bureau Bouchard)

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                    De l'autre côté de la porte, les réguliers arrivèrent. Ils entendirent les cris de mal-être d'Eslen, malgré leurs pas assourdissants et l'épaisseur de la porte les séparant du gouvernor. Le fourrier ordonna qu'on abatte la porte à coups de hache. Ils n'avaient pas le choix, car le bélier s'était avéré trop massif pour pénétrer les couloirs et autres virages de l'aile ouest. Et pendant que sept soldats s'affairaient à dépiauter la barrière de bois, le fourrier entendit des bruits de cuirasses rayant les murs de pierres dans les escaliers en contrebas. Il sourit de savoir ses collègues les rejoindre. Il s'attendit à voir son homologue et immuable ami, venir les aider à secourir le gouvernor. Mais à la vue des nouveaux arrivants, le chef de la troupe manqua de partir en sanglots, en apercevant le premier homme.

Le cadavre du fourrier montait péniblement les marches de l'escalier, rejoint par la totalité de ses subordonnés, déchiquetés, fardés de sang, borgnes, égorgés ou dévorés. Des zombis en armures de la garde régulière se mélangeaient avec les femmes et domestiques du château, pour grossir les rangs des servants de l'apostel derrière ces murs. Ils étaient vraiment nombreux à marcher sous le voile de Dame Faucheuse. Son ami fourrier mort avait échoué dans sa quête, au niveau inférieur, et avait rejoint l'ennemi dans sa mort. Fou de colère et de chagrin, le fourrier vivant ordonna à ses soldats, terrorisés à la vue de leurs anciens camarades, de protéger ceux qui défonçaient la porte. Leur survie pour se réfugier dans la salle de réception en dépendait. Sinon, les quarante militaires seraient pris au piège et condamnés à mort comme leur camarade du niveau inférieur.


Édouard Bouchard entendait les coups de hache derrière la porte, tandis que ses gardes s'étaient retournés face à Annatar. Le possédé avançait vers lui avec la tête penchée sur le côté. Ils étaient pris au piège et la porte retiendrait les coups de hache encore longtemps.

C'en était trop pour le gouvernor. Il n'attendrait pas de mourir les bras croisés. Il ordonna à sa fille de rester près de la porte et de sortir dès que la brèche deviendrait suffisamment étendue. Mais il ne savait pas ce qui se passait de l'autre côté... Il lança un cri de charge sur Annatar à ses quatre soldats.

Jina se réveilla péniblement. L'esprit ébouriffé par la décharge électrique et le mal de crâne livré avec. Elle avait envie de vomir, son oreille interne totalement déboussolée. Et c'est ce qu'elle fit en tentant de se relever. L'odeur de la si bonne soupe aux légumes à la cantine... semblait moins appétissante en ressortant de l'estomac. S'essuyant la bouche et toujours à quatre pattes, elle remarqua enfin les cris d'affliction de son meilleur ami, martyrisé par le golem de glu qui le massacrait toujours à coups de poing noirs. Elle aperçut également le gouvernor et ses hommes se lancer à l'assaut du mage obscur. Un acte honorable, mais désespéré.

Et ça l'était.

L'impétuosité du zélateur ne fit qu'un tour et lui donna la force nécessaire pour la deuxième manche. Elle sortit péniblement de sa ceinture en tissu une petite bourse de soie bordeaux. Elle en vida le contenu dans sa paume de main. De petites perles de métal, aussi fines que de la poudre, glissaient entre ses doigts. Certaines tombaient au sol. Elle lâcha la bourse et ouvrit en grand sa main vide. Son katana à quelques mètres se déplaça seul et alla se loger dans la dextre de son possesseur. Puis elle fixa avec rage le cadavre inondé de glu sèche et prononça des paroles d'une langue très peu parlée, voire même oubliée par le commun des mortels. Les perles lévitèrent au-dessus de sa main et du sol. Ensuite elles se dispersèrent légèrement pour ressembler à une fumée noire. Fumée semblant attendre les ordres, tout en se mouvant autour de sa maîtresse. Et enfin, sur commandement mental de Jina, les perles de métal filèrent comme des balles, à toute allure vers le Bibendum mort démolissant Eslen. Elles le transpercèrent de toute part. Une fois, deux fois, mille fois. Jusqu'à ce que la marionnette de glu soit criblée de milliers de trous. Ses doigts tombaient sous les coupures et les impacts des perles métalliques. Une de ses jambes céda pareillement, ne possédant plus assez de matière pour maintenir le corps. Mais le cadavre continuait à s'acharner tant bien que mal sur Eslen.

Apostel NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant