Annatar se réveilla de sa courte pause. Courbaturé, couvert de sang et d'hématomes. Les yeux cachés sous des boursouflures bleuâtres. Son nez cassé, à nouveau, pendant la vengeance des gardes, après avoir arraché l'oreille d'Uk. Il pensait même avoir perdu quelques dents entre deux raclées. Il reconnaissait le goût ferreux dans sa bouche qui symbolisait la présence d'hémoglobine, si délicieuse à son palet. Doux et raffiné nectar que représentait son essence, pensa-t-il en se délectant.
Les militaires prirent soin d'enlever sa veste épaisse qu'ils avaient jetée près de la cellule, avant d'enfermer le cannibale. Le vêtement atterrit sur une flaque d'eau boueuse, mélange de pisses et d'excréments des anciens locataires. Bien entendu, les geôles n'étaient pas le genre d'endroit qu'on nettoyait souvent.
Annatar tenta de se relever mais les côtes brisées et ses hématomes fraîchement naissants ne lui facilitèrent pas la tâche. Il était épuisé, mais il fallait se presser. Les maigres rayons de lumière pénétrant par l'unique fente de ces oubliettes indiquaient un début de matinée sans nuages. Approximativement quatre ou cinq heures avaient dû s'écouler après avoir bouffé l'oreille d'Uk. S'il voulait procéder à son sort, il ne lui restait qu'une heure, voire deux, selon la vitesse de son transit. En effet, la digestion humaine prenait environ sept heures, avait-il appris dans sa vie d'antan. Le bout d'oreille du fourrier devait déjà être bien entamé dans son estomac, alors il fallait agir vite.
Il chercha autour de lui un objet coupant. Il aperçut un morceau de fer rouillé sur l'un des barreaux. Parfait. Il réunit tout son courage et concentra son esprit pour ignorer, comme il l'avait appris, la douleur de ses côtes et autres parties fissurées. Puis il rampa lentement en direction des barreaux. Une fois arrivé, il agrippa un barreau et tira de toutes ses forces pour s'adosser contre celui-ci. Il était en sueur, essoufflé par l'effort. La souffrance restant son amante et amour de toujours, elle n'en demeurait pas moins, comme tout amour, difficile à supporter par moment.
Avant de procéder au rituel, il enleva son pantalon et son caleçon blanc. En effet, cette prouesse magique issue des ombres allait nécessiter souffrance, concentration, mais aussi honte et inconfort. Une fois le postérieur dévêtu, le prisonnier entama son rituel.
Joignant ses mains et y posant son front, ilferma les yeux et se concentra de longues minutes, en silence. Unefois prêt, il se mit à psalmodier dans le langage interdit, avecune tonalité de voix qu'un être humain ne saurait pas créer. Sagorge cicatrisée vibrait étrangement et sa voix sonnait plussombrement que l'oreille humaine ne pouvait l'interpréter.Faisant vibrer les quelques cailloux dans la petite pièce, ainsi quela poussière autour de lui.
Très peu parlée, voire même oubliée, incompréhensible et très irritante à l'ouïe, cette langue utilisait beaucoup de consonnes et de mots sifflants. Ce qui la rendait davantage effroyable et insupportable, à défaut de ne pas faire saigner quelques oreilles. Cette langue sortie d'outre-tombe, et jamais entendue par quiconque d'encore vivant jusqu'à présent seulement à l'oral. D'apostel en apostel. D'hérétique en hérétique. Savoir très complexe et éprouvant, il demandait une attention particulière à son apprentissage et certaines conditions à sa mise en application. Après tout et d'après la légende, c'était la langue que parlaient les démons äthériques qui, transmise aux hommes, procurait la puissance des ombres aux élus capables de la parler.
Fallait-il encore y arriver...
Annatar représentait cette élite.
Après plusieurs mots chaotiques ressemblant à une vipère à la voix rauque et éreintante, une douleur à l'estomac commença à se ressentir à crescendo chez l'apostel. Plus Annatar parlait vite pour le rituel, à hauteur de plusieurs mots à la seconde, plus la douleur s'intensifiait. L'opération manqua de le sortir de sa concentration, mais il tint le cap. Le bout de chair du fourrier commençait à se carboniser dans l'estomac même du sorcier psalmodiant. De la fumée sortaitde sa bouche. Il brûlait de l'intérieur. Il fallait en terminer vite, car le morceau d'oreille s'estompait rapidement.
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Apostel Noir
FantasyLa porte révèle les doutes. L'äther préserve la foi... Annatar patiente dans une auberge infecte de la pègre pour récupérer sa cargaison... particulière, et ce pour le compte de son organisation, la Sybille. Lorsque son contrebandier arrive enfin...