Chapitre 26 : Les jumeaux

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- Calmez-vous mes bébés, calmez-vous, dit une voix féminine alors qu'ils approchaient furtivement du crâne habité.
De toute évidence, Jiao Fang avait elle aussi survécu et Aymeric espérait que Tian Han partageait sa chance. Ils quittèrent les ombres pour entrer dans le halo de lumière orangé que dégageait le feu qui brûlait au centre du crâne. Le chevalier dragon devait admettre que le couple royal avait bien aménagé l'endroit.
Des tapis soyeux recouvraient le sol, des caisses recouvertes d'une planche formaient une table sur laquelle une bassine en bois remplie d'eau attendait, ainsi qu'une petite serviette. Un matelas de paille et des couvertures épaisses, sans doute rembourrées de plumes, constituaient le lit du couple. D'autres caisses de nourriture s'empilaient dans un coin, peu nombreuses. Un joli berceau en bois accueillait les deux bambins qui pleuraient à chaudes larmes.
Leurs vagissements couvrirent l'arrivée du groupe et Jiao Fang leur tournait le dos : toutes les conditions pour la prendre par surprise et l'empêcher de fuir avec ses enfants étaient réunies. Aymeric envisagea de l'assommer avant de se souvenir qu'elle était un membre de la famille royale d'Hangaï. Il ne pouvait pas se permettre de la malmener.
Il regretta l'absence de Lisbeth. En tant que petite fille du roi d'Hangaï, elle connaissait Jiao Fang et Han Tian. Elle aurait pu négocier avec eux. Gédéon se racla la gorge pour signaler leur présence, peu désireux de tendre une embuscade à une femme seule et de haute naissance. Jiao Fang sursauta et étouffa un hurlement en les découvrant. Elle se plaça instinctivement face au berceau et cria :
- Gardes ! A moi !
- Je suis navré ma dame mais vos gardes ne viendront pas. Ne paniquez pas, nous ne vous voulons aucun mal.
En dépit de son ton doux et de ses paroles rassurantes, l'explorateur ne parvint pas à la convaincre. Elle bondit vers le feu et en tira une branche enflammée qu'elle agita devant elle comme pour repousser des bêtes féroces. C'était une bien mauvaise idée de faire cela avec les tapis en dessous...
- Arrière ! Je sais pour quoi vous venez ! Vous voulez tuer mes bébés !
Le visage creusé de Jiao Fang et les cernes sous ses yeux signalaient des nuits d'angoisse. Elle flottait dans ses vêtements, comme si elle avait perdu beaucoup de poids. Elle tremblait comme une feuille, les yeux exorbités.
- Nous n'oserions pas porter la main sur vos enfants, ce serait un crime ! la contredit Gédéon. Nous venons simplement les chercher, conformément au décret.
- Le décret est un mensonge ! Je sais ce que vous voulez vraiment ! Vous allez les emporter sous prétexte de vous en occupez mais en réalité vous allez les égorger pour que la fin du monde n'ait pas lieu ! Je vais vous en empêcher ! Mes enfants sont de sang royal, un grand destin les attend ! Gaïara me les a donnés pour augmenter le prestige de la lignée royale ! Je vous interdis de poser la main sur eux !
Une lueur étrange passa dans le regard écarquillé de la reine : une lueur folle.
- Où est votre mari ? l'interrogea-t-il.
- Il est encore parti pour examiner ces maudits ossements ! Il se fiche bien du destin de nos enfants, ce n'est qu'un égoïste ! Je pourrais mourir, il n'en aurait rien à faire !
- Ne dis pas ça, intervint une voix ferme dans leur dos.
Ils firent volte-face et s'écartèrent pour laisser passer le prince. Il était dans un état en plus pitoyable que sa femme. La fatigue l'affectait tout autant mais il était aussi échevelé, les vêtements tâchés et troués.
- C'est terminé Jiao Fang. Ils nous ont trouvé, rentrons.
Sa voix exprimait de la lassitude à l'état pur. Il ne prenait plus la peine de se tenir droit tandis que l'épuisement l'accablait. Sa femme le menaça avec son bout de bois embrasé.
- Arrière ! Tu es comme eux ! Tu veux faire du mal à nos enfants ! A nos précieux petits...Comment peux-tu ?! Ton propre sang ! La future gloire de notre pays !
- Ma chérie, personne ne veut leur nuire. Ce n'est que dans ton esprit, nous en avons déjà parlé. Tu te souviens ?
Elle secoua la tête en étouffant un sanglot.
- Des menteurs...Vous êtes tous des menteurs et des manipulateurs ! Personne ne touchera à mes enfants ! Les miens !
- Jiao Fang, pose cette branche. Tu pourrais mettre le feu et blesser les enfants, conseilla gentiment son mari. Nos enfants.
- Qu'il en soit ainsi ! Nous partirons tous les trois dans les flammes d'Ignaïré jusqu'à une contrée où personne ne posera la main sur eux !
Elle jeta la branche à ses pieds. Le tapis s'enflamma mais le feu ne se répandit pas. Brazidas serra le poing devant lui et les flammes moururent subitement. Jiao Feng poussa un cri de désespoir et tira un fin poignard de sa botte droite. Elle tira un des enfants du berceau et posa la lame sur son cou.
- Jiao Fang, non ! hurla son époux en faisant un pas dans sa direction.
- N'approche pas ! Je vais trancher la gorge de notre fils, puis de notre fille ! Et après, je me suiciderais ! Comme ça tu pourras trouver une autre femme qui acceptera de te faire des enfants pour que tu les confies à des étrangers dans le but de les abattre !
Dans sa frénésie, le fil de la dague érafla le cou du bambin. Une goutte rouge coula sur sa peau pâle et ses pleurs redoublèrent d'intensité. Jiao Feng leva sa lame, prête à achever ce qu'elle avait commencé.
Une fléchette se planta dans son cou sans qu'elle ait le temps de réagir. Elle cligna des yeux, surprise. Elle tituba avec un air hargard, les paupières lourdes, et lâcha sa dague. Zacharie jeta sa sarbacane et se précipita sur elle alors qu'elle s'écroulait. Il saisit le bambin avant qu'il touche le sol et le serra dans ses bras avec un soupir de soulagement.
La tension qui contractait tout le corps d'Aymeric se relâcha. Il déplia ses doigts, serrés autour du manche de son couteau de chasse. Il était prêt à l'envoyer dans la gorge de Jiao Feng pour sauver l'enfant, peu importe son statut social. Le prince se précipita vers sa femme, fou d'angoisse.
- Elle va bien, le rassura Zacharie. Elle va juste dormir très longtemps.
Le prince lui adressa un regard plein de gratitude et essuya une larme qui roulait sur sa joue crasseuse, si exténué qu'il ne prenait plus la peine de camoufler sa sensibilité. Le chevalier dragon originaire du désert s'éloigna vers la table où il déposa le bambin pour examiner son cou.
- Je vous remercie du fond du cœur, dit Han Tian. Ce calvaire va prendre fin...
- Qu'est-il arrivé à votre épouse ? Est-ce que c'est cet endroit qui l'a rendu...qui l'a affecté ? s'enquit Taha.
- Non, le mal est plus profond...Et c'est à cause de lui si nous en sommes là aujourd'hui...Elle était si rayonnante lorsque la sage-femme nous a annoncé qu'elle attendait certainement deux enfants. Puis le décret est arrivé à Hangaï et elle a paniqué. Au début ce n'était que des angoisses très vagues. Puis elle se sont renforcées avant de muer en paranoïa. Je crois qu'elle a perdu la tête après l'accouchement, quand les dragons se sont glissés dans le berceau au côté des enfants. Avant ça il restait un doute, une chance qu'ils ne soient pas les jumeaux mentionnés dans les tablettes...Elle s'est mise à alterner entre des phases d'abattement et de fureur inarrêtable. Elle interdisait les visites, pour étouffer la nouvelle. Mais ça a fini par ce savoir. Alors elle m'a supplié de quitter Hangaï avec les enfants...Je n'ai pas réussi à dire non ! Elle ne ressemblait plus à ma femme, je voulais tellement qu'elle redevienne comme avant ! J'aurais tout fait pour ça, même m'exiler sur les îles inconnues. C'est ce qui s'est produit. Nous avons posé le pied ici mais elle n'était pas tranquille. Elle pensait qu'on nous poursuivait et en vous voyant ici, je comprends qu'elle n'avait pas vraiment tort...Je me suis plié en deux pour réaliser ses quatre volontés. Nous avons voyagé d'île en île, nous avons perdu des hommes braves. Enfin nous sommes descendus dans ce trou où nous croupissons depuis des mois. Elle ne va toujours pas mieux, c'est même de pire en pire !
Il caressa le visage aminci de sa femme avec tendresse du bout de ses doigts tremblants aux ongles noircis par la saleté.
Aymeric s'approcha du berceau pour vérifier si le second enfant se portait bien. Une petite fille chaudement emmitouflée dans une couverture chatoyante s'agitait vigoureusement, contrariée.
- Où sont les dragons ?
- Dans l'autre crâne, là où loge les gardes. Ils sont enfermés dans un panier pour qu'on les entende gémir moins souvent. Pourtant nous les nourrissons matin, midi et soir...
- Ce ne sont pas des animaux de compagnie ! se hérissa Firenza. Ce sont les moitiés de vos enfants ! Ils gémissent car vous les séparez, c'est barbare !
- Je sais mais Jiao Fang avait peur pour les bébés...Les dragons sont petits mais ils ont déjà des dents et des griffes tranchantes. S'ils se battaient et blessaient nos enfants ? Ou pire...
- Peu importe, vous devez les libérer ! insista la dragonne de feu.
- Mais si Jiao Fang se réveille et les voit dans le berceau...Elle va rechuter, geignit le prince.
Firenza serra les poings mais n'insista pas. Aymeric lui glissa :
- Ils seront libres une fois au château des gardes, rassure-toi.
Ils décidèrent de se reposer ici pour la nuit. Les gardes malmenés par leur altercation un peu plus tôt revinrent en se massant l'arrière du crâne ou les tempes. Les membres de l'expédition leur offrirent un bol de soupe pour s'excuser et Han Tian dissipa tout malentendu.
Aymeric dormit sur ses gardes car il craignait que Jiao Fang se réveille en dépit de la haute dose de somnifère qui circulait dans son sang. Zacharie lui avait affirmé qu'elle n'ouvrirait pas l'œil avant demain mais prudence est mère de sûreté.
Il n'arrivait toujours pas à y croire alors qu'il se reposait sur le sol, enroulé dans sa cape de voyage. Le couple royal était là, dans les tréfonds de cette crevasse, depuis des mois ! Ils étaient passés si près le jour de la découverte de cette crevasse immense !
Ils sortirent de la faille dès le lendemain et abandonnèrent tous les effets personnels du couple royal, en dehors de la nourriture, au cas où. Transporter une Jiao Fang endormie incomba à Aymeric, qui la ligota fermement sur son dos. Elle pesait plus lourd qu'un âne mort ! Il se hissa hors de la crevasse avec son chargement, les muscles chauffés par l'effort. Il soufflait comme un bœuf en se hissant à l'air libre. Les soldats hanganiens le remercièrent pour son aide et reprirent leur fardeau.
Il surveilla les deux gardes qui transportaient chacun un des jumeaux. Hydronoé se chargeait de veiller étroitement sur celui qui avait les dragons, enfermés dans un panier en osier tressé.
Ils regagnaient le campement quand Jiao Fang s'extirpa de son sommeil forcé. Elle s'agita en marmonnant des paroles vagues et le prince s'empressa de lui glisser les mots réconfortants. Elle émergea avec le regard vague et demanda :
- Vous avez tué mes bébés ?
- Non, ils sont là. Nous n'allons leur faire aucun mal, la rassura Kardia en désignant les bambins qui dormaient paisiblement. Nous ne sommes pas des assassins.
Jiao Fang étouffa un sanglot en plaquant sa main sur la bouche. Puis elle demanda d'un ton chevrotant :
- Alors nous pourrons rentrer avec eux à Hangaï ?
- Est-ce que je peux m'isoler un peu avec elle pour lui expliquer la situation ? demanda le prince.
Ils lui accordèrent unanimement ce droit. Ils préféraient que la femme d'Han Tian accepte de se séparer de ses enfants de plein gré plutôt que de les lui arracher de force. Cette situation le projetait des années en arrière, alors qu'il visitait Talenza avec Gordon.
Il se souvenait toujours de cet enfant enlevé à son père par les gardes pour rejoindre la garde d'élite du roi Lothaire. Il ne désirait pas que Jiao Fang vive le même traumatisme. Elle paraissait déjà fragile psychologiquement, cela la détruirait.
La concertation entre Han Tian et sa femme dura de longues minutes mais quand ils se plantèrent face aux soldats d'Alembras, le visage de Jiao Feng exprimait une détermination nouvelle. La folie avait déserté ses prunelles et elle déclara d'une voix qui ne tremblait pas :
- Selon le traité, vous ne prenez pas l'enfant au dragon blanc à ses parents si ces derniers désirent le garder.
- C'est vrai, concéda Venerika. Lequel de vos enfants est jumelé à ce dragon ?
- Notre fille, Meng Yi, répondit Han Tian.
Jiao Fang fit signe au garde qui tenait sa fille d'approcher et attrapa l'enfant pour la serrer dans ses bras, protectrice. Le garde qui portait le petit garçon le remit timidement entre les bras tendus de Kardia. Il remua dans son sommeil mais ne se réveilla pas.
- Comment se prénomme-t-il ? leur demanda la chevalière.
- Nous..Nous n'avons pas de nom pour lui. Nous voulions attendre de regagner Hangaï une fois que vous vous serez découragés pour demander un avis à mon père le roi. Il...Il s'agit tout de même d'un garçon, son approbation est importante.
- Nous pouvons effectuer un crochet par Lanka pour que le roi donne son avis, proposa aimablement Venerika.
Jiao Fang détourna les yeux et pinça les lèvres, en proie au chagrin. Son époux lui frotta le dos et dit :
- Ne compliquons pas les choses. Vous remettre notre héritier mâle est une décision difficile pour nous et tout particulièrement pour ma femme. Il vaut mieux abréger les séparations, ça sera moins dur pour tout le monde...Nous vous enverrons une lettre pour vous indiquer le prénom de notre choix.
Ils en restèrent là et partirent pour Kardigrad dès le lendemain. Aymeric mourrait d'envie de déboucher une bouteille de bon alcool et de la partager avec ses camarades pour fêter leur victoire. Les dragons firent deux trajets pour transporter toute la petite compagnie.
Le chevalier dragon pensait que le bateau qui les avait emmenés ne mouillerait plus dans le port depuis des lustres. Pourtant ses mâts aux voiles repliées se dressaient toujours fièrement sous le ciel gris perle. Le capitaine sauta sur le bastingage en les apercevant, fidèle au poste, et cria :
- Le retour des héros ! Mes hommes pariaient sur votre mort mais pas moi ! Vous m'avez fait gagner un beau pactole ! Dommage que je doive le dilapider pour les payer ! Je vois que vous apportez du beau monde ! Nous allons être un peu serrés mais ça rendra le voyage d'autant plus amusant !
La bonne humeur du jeune capitaine chassa la fatigue qui pesait sur les épaules d'Aymeric. Il grimpa à bord avec joie, pressé de prendre le large.
- Vous avez l'air de revenir du domaine des morts mes amis, dit le capitaine en les examinant. Qu'on leur offre quelques verres, ces hommes et femmes méritent du réconfort !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Ils trinquèrent à la réussite de leur mission avec un verre de rhum, sauf Lisbeth qui se contenta d'eau. Ils offrirent également à boire aux soldats hanganiens et même Han Tian se joignit à eux.
Ils levèrent l'ancre et voguèrent dans une ambiance détendue. Plus ils s'éloignaient de ces îles maudites et plus Aymeric retrouvait le sourire. Le soir venu, ils mangèrent une délicieuse soupe de poisson et dormirent dans un hamac, au sec.
Revoir le soleil lui donna envie de se mettre torse nu et de s'allonger sur les planches pour laisser la chaleur réconfortante des rayons caresser sa peau. Il s'abstint à cause du fond de l'air frais mais ce dernier se réchauffa à mesure qu'ils approchaient du continent.
Le couple royal, auquel le capitaine avait cédé sa cabine, s'enfermèrent avec leur fille. Kardia, Zacharie et Alaman entourèrent le petit garçon laissé pour compte d'autant d'attention que possible. Un après-midi où le trio s'amusait avec lui sur le pont, Aymeric l'observa curieusement.
Il avait un regard stupéfiant pour un enfant, qu'il ne tenait ni de sa mère, ni de son père. Ses iris mordorées fixaient son environnement avec calme. Ses cheveux noirs, lisses mais épais, coiffaient le haut de son petit crâne. Il était adorable, presque autant qu'Omphale au même âge. De plus il était entre de bonnes mains avec les trois chevaliers dragons qui l'entouraient et il manifesta rapidement une affection particulière pour Zacharie. Il tendait souvent les bras vers lui ou essayait de se mettre debout pour le rejoindre.
Après quelques jours de navigation calme, les formes familières d'Amaris se découpèrent sur la mer calme. Le cri des mouettes et l'agitation du port de Mélidos accueillirent les soldats d'Alembras sous un soleil radieux.
La vie du port stupéfia Aymeric. Après des mois sur les îles inconnues sans croiser âme qui vive, les déambulations des habitants ainsi que les scènes de la vie quotidienne avaient quelque chose de fascinant. Le brouhaha des conversations, le claquement des semelles sur le pavé, les odeurs de nourriture qui flottaient dans l'air...Tout ravissait Aymeric.
Comme ils accostaient en fin d'après-midi, le capitaine leur donna une fois encore le nom d'une fameuse auberge dans le centre de la ville. Ils débarquèrent dans un établissement familial tenu par un couple et leurs deux enfants en provoquant une vive agitation.
Ce n'est pas tous les jours qu'un détachement de soldats accompagnés de nobles et de bambins se présentait dans l'établissement. Les braves aubergistes firent de leur mieux pour combler leurs exigences mais ils n'avaient pas assez de lits ou de tables pour accueillir tout le monde.
- Ce n'est pas grave, dit Gordon tout en commandant une bière. Nous nous accommoderons très bien du plancher pour dormir ou manger, votre établissement est d'une propreté impeccable.
Gordon exagérait un peu mais c'est vrai que le sol ne colla pas à leurs vêtements quand ils s'assirent en tailleur pour se sustenter. Ils laissèrent la plus grande chambre au prince et à sa femme, calme pour le moment.
Les jumeaux passèrent une dernière nuit ensemble, sous la garde de soldats d'Hangaï comme d'Alembras. Aymeric faisait partie des malchanceux qui ne fermèrent pas l'œil de la nuit pour surveiller les précieux bambins. Ils se réveillèrent une fois au cours de la nuit, en même temps. Ils babillèrent entre eux avant de replonger dans le sommeil, dos à dos.
Au petit matin, ils les séparèrent. Han Tian et Jiao Fang partirent à cheval avec leur escorte jusqu'à Hangaï, les soldats d'Alembras regagnèrent le château des gardes à dos de dragon. Avant cela le prince déposa son fils dans les bras de Kardia sans grande cérémonie. Il extirpa aussi un dragon noir d'un panier et le tendit à Zacharie à bout de bras.
Aymeric n'avait jamais vu un dragon si petit sous sa forme originelle. Il s'agissait encore d'un bébé, frêle et à peine plus gros qu'un rat. Il se recroquevilla sur lui-même, tout tremblant. Ses yeux dorés observaient craintivement Zacharie et il tendit le cou pour renifler la main du chevalier dragon.
L'odeur dut lui plaire car il se réfugia dans ses bras avec un couinement plaintif et s'enroula dedans en se cachant derrière ses ailes. C'était cette petite boule d'écailles inoffensive et son jumeau blanc qui déclencheraient la fin de leur monde ? Aymeric peinait à y croire.
Le prince et son épouse les saluèrent brièvement avant de se mettre en selle et de galoper en direction de la ville. Le bambin et le dragon noir s'agitèrent puis se mirent à pleurer.
L'enfant remuait tellement que Kardia peinait à le tenir. Le dragon noir essaya même de mordre Zacharie. Leurs gémissements emplissaient l'air, les rares passants se retournaient sur leur passage. Le chevalier originaire du désert s'empressa de soustraire le dragon à leur vue.
Malgré les hurlements déchirants des deux petits, ils mirent le cap vers la sortie dans la ville, puis en direction de la forêt. Les dragons se transformèrent, prêts à entamer la dernière partie du voyage de retour.
Le petit garçon et son dragon cessèrent de crier uniquement lorsque leurs plaintes les eurent vidés de leur dernière once d'énergie. Ils sombrèrent dans un sommeil chaotique, ponctué de pleurs et de lamentations.
Aymeric avait de la peine pour le fils du couple royal. Ses parents l'avaient placé entre les mains d'étrangers sans lui adresser un regard, sans lui donner une caresse. Il ne possédait même pas de prénom ! A qui allait-il confier ce petit ? Qui voudrait s'occuper de lui ?
Kardia aimait les enfants mais refusait d'en élever un seul. Alaman allait bientôt être père. Quant à Zacharie...Il se tourna sur le dos d'Hydronoé car Gébald volait un peu en arrière. Son ami à la peau sombre amusait le dragon noir en agitant les doigts au-dessus de lui. Les crocs aiguisés de la petite créature ne paraissaient pas lui causer de sueurs froides alors qu'ils claquaient à quelques centimètres de sa peau. Un homme célibataire pouvait-il faire un bon père d'adoption ? Aymeric ignorait quoi répondre à cette question.

Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'AmarisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant