Chapitre 6 : La chaleur du foyer

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Lysange attendait le retour d'Aymeric et de ses compagnons dans la salle en dessous du lac de verre, plongée dans les méandres de son angoisse. Elle se rongeait les sangs à propos de Willow, son petit garçon. Elle n'avait même pas eu le temps de dire son prénom à Aymeric. D'ailleurs, son compagnon avait à peine regardé leur fille. Elle caressa distraitement le crâne d'Omphale pour se rassurer. La petite demeurait aussi silencieuse qu'à son habitude. Elle pleurait rarement, contrairement à son frère. Ce dernier ne se calmait qu'en présence de sa jumelle. Que ferait-il sans elle ? Il allait se sentir perdu, abandonné...
Les larmes lui montèrent aux yeux et elle lutta pour ne pas pleurer. Ce n'était pas le moment de céder, pas devant sa fille. Ourania la rejoignit après avoir aidé Zacharie à traiter les blessures de Zolan.
- Donc c'est ta fille ? s'enquit sa jumelle avec intérêt.
Lysange acquiesça tendrement en dévisageant la chair de sa chair, ce tout petit être qu'elle avait aimé dès qu'elle avait posé les yeux sur elle.
- Tu veux la tenir ?
Sa sœur accepta et attrapa maladroitement Omphale. Un sourire éclaira rapidement son visage aminci. Lysange avait constaté sa perte de poids alarmante au premier coup d'œil : sa jumelle n'avait plus que la peau sur les os. Elle était si faible qu'elle n'arrivait pas à cacher sa nature de dragonne. Omphale extirpa une main potelée de sa couverture et la tendit vers les cornes d'Ourania. Ses yeux brillaient de curiosité et la dragonne d'air pencha la tête pour que la petite tâte ses cornes.
Omphale ne s'en priva pas, de toute évidence amusée par le jeu. Elle était plus curieuse que Willow, moins farouche aussi. Songer à son fils lui serra le cœur. Elle espérait vainement qu'on le retrouverait, il fallait qu'on le retrouve. Malheureusement, elle connaissait trop bien les assassins. Ils disparaîtraient comme à leur habitude et Willow avec eux. Elle serra les dents pour retenir le cri de désespoir qui lui montait aux lèvres.
La nuit tombait quand le reste des chevaliers-dragons revint, sans son fils. Elle s'y attendait mais cette absence lui transperça le cœur. Aymeric s'assit à côté d'elle, penaud.
- Je suis désolé, chuchota-t-il.
Elle aurait aimé dire que ce n'était pas grave mais elle aurait menti. Sa gorge se noua sous le coup de la douleur, aussi vive que si une lame impalpable venait de lui transpercer le cœur. Les larmes revinrent et elle n'essaya plus de les retenir. Aymeric la prit dans ses bras dans une vaine tentative d'apaisement. Omphale remua dans sa couverture et Zacharie la récupéra pour l'emmener à l'écart de ses parents éplorés. Lysange sanglota longuement, dévastée par cette séparation brutale qu'elle refusait d'accepter. Elle s'efforçait de se calmer mais la peine revenait toujours, plus intense. Elle entendait à peine les paroles de réconfort d'Aymeric, plus éplorée qu'elle ne l'avait jamais été. Elle reprit ses esprits quand les vagissements d'Omphale lui parvinrent. Lysange se redressa, alertée.
Sa fille pleurait uniquement quand elle mourrait de faim. La honte lui brûla les joues. Elle se lamentait tellement sur le sort de Willow qu'elle en oubliait Omphale ! Elle se précipita vers le feu de camp où les chevaliers dragons se reposaient et soupira de soulagement en voyant que ses amis avaient la situation en main. Zacharie berçait Omphale tandis qu'Ourania s'efforçait de la distraire en réalisant des ombres chinoises qui fascinaient la petite. Alaman dit à Lysange en la voyant si alarmée :
- Ne t'inquiète pas, je lui prépare une purée maison tout à fait adaptée à son palais délicat !
- Comment tu sais ce qui convient à un bébé ou pas ? demanda Lisbeth qui le secondait dans l'élaboration de sa recette.
- Tu oublies par qui j'ai été élevé. Les Valseryes apprennent aux garçons comment élever les enfants et cela comprend aussi la nutrition. A défaut d'être père, que les dieux primordiaux me préservent d'un futur aussi funeste, je peux me convertir en nourrice !
Lysange sourit, rassurée. C'était si bon de retrouver les siens ! Après des mois de détention, elle avait oublié ce que ça faisait d'être épaulée et entourée. Ses amis paraissaient enchantés par Omphale, bien plus que le père de cette dernière. Lysange se mordit l'intérieur des joues. Aymeric ne voulait pas d'enfants aussi tôt. En fait, dès qu'ils parlaient d'avenir avant son enlèvement, il n'évoquait jamais le sujet des enfants. Lysange craignait qu'il n'accepte jamais ses enfants ou, pire que tout, qu'il les abandonne.
Elle se coucha avec ses inquiétudes en tête, sans avoir touché à son repas. Omphale dormait non loin d'elle, soigneusement enveloppée dans sa couette. Aymeric se glissa à ses côtés après son tour de garde.
- Tu dors ? chuchota-t-il.
- Non.
- Est-ce que ça va ?
- A ton avis ? répondit-elle d'un ton plus tranchant qu'elle ne l'aurait voulu.
Elle se traita d'idiote tandis qu'un silence s'installait entre son compagnon et elle. Puis Aymeric lâcha de but en blanc :
- Pourquoi Omphale et Willow ?
Elle s'attendait à beaucoup de questions, mais certainement pas à celle-ci.
- Tu me répétais souvent que tes parents t'auraient appelé Omphale si tu étais né fille. Quant à moi, mes parents voulaient me prénommer Willow si j'étais née garçon. Alors j'ai pensé que c'était une bonne idée de nommer les jumeaux ainsi...Mais si ça ne te plaît pas, il n'est pas trop tard pour changer ! Ils sont encore jeunes, ils ne comprennent pas très bien...
La main d'Aymeric se posa sur sa joue, chaude et réconfortante.
- J'adore ces prénoms. Ne les changeons surtout pas.
Une vague de soulagement traversa Lysange. Elle ne s'attendait pas à ce que l'approbation d'Aymeric la rassure autant. Elle roula pour se blottir timidement contre son compagnon et il passa un bras autour de sa taille. Ils poussèrent un soupir d'aise, synchrones. Dormir contre Aymeric lui avait manqué, tout comme son visage, son odeur, sa chaleur...Une partie de son appréhension face au futur s'envola. Malgré tout, elle ne parvint pas à fermer l'œil. Ses pensées voguaient vers Willow, son petit Willow. Des questions, bien trop nombreuses, embrouillaient son esprit fatigué.
Où emmenait-on son fils ? Qu'allait-on lui faire ? Le reverrait-elle un jour ? Quand ? Est-ce qu'il disparaîtrait à jamais ? Amagmalion n'avait pas évacué les jumeaux pour rien. Il était fasciné par eux depuis leur naissance. Il avait souvent rendu visite à Lysange pour les voir et elle savait qu'il appréciait particulièrement Willow. Son fils était né le premier, robuste et en bonne santé. Elle était persuadée qu'il serait aussi grand et charpenté qu'Aymeric une fois adulte. Amagmalion le savait aussi.
Elle frissonna et se pressa un peu plus contre Aymeric, qui dormait comme un bienheureux. Du moins le croyait-elle car quand Omphale se mit à pleurer au milieu de la nuit, son compagnon se redressa instantanément, en alerte. Il se dégagea doucement de Lysange et prit Omphale dans ses bras. Alaman, qui montait la garde à cette heure-ci, lui prêta main forte.
- Il faut que tu la portes comme ça, expliqua-t-il à son ami en positionnant mieux ses mains pour soutenir le petit corps d'Omphale.
- D'accord, là c'est mieux ?
- Oui, c'est important de soutenir la tête. Regarde, on dirait qu'elle est contente d'avoir un peu de compagnie, elle arrête déjà de pleurer ! C'est vraiment une petite adorable. J'ai connu des enfants qui braillaient nuit et jour chez les Valseryes. Surtout des filles d'ailleurs. Tu comprends, elles étaient trop gâtées. Elles savaient très bien qu'on accourait dès qu'elles braillaient, pour satisfaire la moindre de leurs exigences. C'est très malin un enfant, il ne faut pas les sous-estimer. Le secret, c'est la modération. Il faut veiller sur eux mais ne jamais céder face aux caprices. Sinon ils comprennent qu'ils ont de l'emprise sur nous et là, c'est trop tard.
- Euh...D'accord, approuva Aymeric. Tu sais que tu t'exprimes comme le père d'une famille nombreuse ?
- Ne parle pas de malheur ! Je veux bien être tonton mais certainement pas père !
- Très bien, oncle Alaman. Retourne monter la garde, je m'occupe d'Omphale.
Lysange se tourna discrètement et observa son compagnon bercer leur fille. Il s'y prenait un peu maladroitement mais quand un bâillement d'Omphale lui arracha un sourire, le cœur de Lysange s'attendrit. Les débuts ne seraient pas faciles mais au moins Aymeric essayait.

Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'AmarisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant