Chapitre 12 : La reine de Mycalcia

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Il descendit du nid de pie en toute hâte, gagné par une excitation présente chez le reste de l'équipage. Le capitaine déclara :
- Nous sommes encore à une bonne journée de notre destination. Nous allons nous rapprocher autant que possible avant la nuit et ralentir notre progression le soir pour arriver au petit matin.
Personne ne s'opposa à sa décision. Venerika réunit les chevaliers dragons et les explorateurs sur un coin du pont pour donner ses instructions :
- Nous avons deux objectifs : trouver le dieu endormi et protéger l'équipage de tous les dangers qui pourraient survenir. Restez sur vos gardes et n'attaquez jamais les premiers si nous rencontrons des autochtones. Nous venons en paix et je n'ai pas envie qu'une guerre éclatent entre deux continents à cause de notre impétuosité. Je sais que vous ne tenterez rien mais gardez un œil sur les marins.
Aymeric prit la parole afin d'ajouter :
- Pour les dragons, inutile de dissimuler votre vraie nature.
Ces derniers échangèrent des regards surpris et Aymeric fut obligé de préciser :
- Les habitants de Sal'Honta sont très croyants. Ils seront sans doute rassurés de découvrir un groupe d'étrangers accompagné de dragons.
- Comment est-ce que tu connais le nom du continent et les mœurs de ceux qui l'habitent ? le questionna Thaha.
- Ma mère m'a rendu visite lors de notre nuit sur l'île. Elle m'a donné quelques indications utiles à propos de cette nouvelle terre.
Personne n'osa remettre sa parole en doute. Après leur brève réunion, le temps passa très lentement. Il s'étira et le jour sembla ne jamais vouloir se coucher. Aymeric soupira de soulagement quand le crépuscule colora le ciel d'orange et d'or. Il ferma à peine l'œil durant la nuit, trop impatient d'aborder ces côtes inconnues. Après des jours en mer à ne porter qu'une fine chemise et un pantalon de toile, il appréhendait de remettre son uniforme de chevalier dragon. Il régnait dans cette partie du monde une chaleur infernale qui ne s'atténuait pas avec la nuit, presque aussi intense que celle du désert du Souan à Amaris.
Quand il monta sur le pont le lendemain, il eut un choc en découvrant la terre si proche. Il plissa les yeux et distingua la côte, depuis laquelle surgissait une montagne aux flancs couleur ocre. Il en aperçut une autre, bien plus lointaine et gigantesque, bien plus haute que la crête du Dragon. Son sommet était dissimulé dans les nuages mais il l'imagina couvert de neige à cause de l'altitude. Le bateau voguait doucement et le capitaine progressait avec prudence. Il paraissait si soucieux qu'Aymeric demanda :
- Quelque chose ne va pas ?
- Nous nous rapprochons des terres et je m'inquiète de la profondeur de l'océan. Il pourrait y avoir des récifs...Si notre coque s'endommage à cause d'eux, nous pourrions couler et être bloqués ici à jamais...
Le chevalier dragon alla chercher Mirzal et Sandor pour qu'ils guident le capitaine grâce à leurs instincts et permettre à l'équipage d'aborder la terre ferme en toute tranquillité.
- Le fond de l'océan est encore loin, vous pouvez progresser, lui assura le dragon d'eau.
- Aucun obstacle ne se présentera à nous si vous conservez ce cap, ajouta Sandor.
Le capitaine les écouta, plus serein. Alors que la rive de Sal'Honta se rapprochait, Aymeric distingua les premières installations humaines dont un port de pierre dans lequel mouillait de petites embarcations effilées, sans doute celles de pêcheurs. Il ne repéra aucun bateau aussi imposant que le leur. Ensuite, des trous dans la montagne attirèrent son attention. Des fenêtres s'ouvraient dans la roche ainsi que des balcons, des escaliers taillées dans la pierre...Une cité troglodyte ? Cela lui rappela le palais du roi de Noterrey, en partie dissimulé dans le flanc de la crête du Dragon.
En approchant du port, les premiers habitants se dévoilèrent à leurs regards curieux. Des hommes, des femmes et des enfants vivaient leur vie à l'ombre de l'imposante montagne dépourvue de végétation. Les hommes, des marins pour la plupart, travaillaient torse nu à cause de la chaleur, uniquement vêtu de pagnes colorés. Les femmes, qui portaient d'imposants paniers sur leur tête, se drapaient dans des tissus chatoyants et légers. Des anneaux dorés perçaient leurs oreilles ou leurs narines. Quant aux enfants, ils portaient de petites tuniques blanches, brodées de motifs complexes.
Ce qui frappa le plus les membres de l'expédition fût la couleur de leur peau. Quelques rares autochtones possédaient une carnation foncée comme celle des habitants du désert à Amaris mais la plupart avait une coloration sombre, identique à celle de Zacharie. Celui-ci les dévisagea avec une certaine stupeur et ses yeux noirs un peu écarquillés ressemblaient à ceux que les habitants tournaient vers eux.
Aymeric s'attendait à une réaction terrifiée de leur part. Ils l'étonnèrent en délaissant leurs activités pour se rapprocher du bateau sans manifester d'agressivité ou de crainte. Ils échangèrent des mots dans une langue inconnue aux accents chantants. Des hommes enlevèrent leurs embarcations pour ménager une place à l'imposant navire. Le capitaine largua l'ancre, l'équipage plia les voiles et le bateau cessa de bouger, immobilisé dans ce port inconnu. Les marins posèrent la passerelle entre le bateau et le quai avec une lenteur hésitante, encouragé par le capitaine que rien ne troublait plus depuis qu'il avait appris que des dragons vivaient parmi les humains. Des habitants se massèrent autour, plus curieux qu'effrayés.
Les explorateurs d'Alembras descendirent les premiers, leur attrait pour la nouveauté dépassant largement la peur de l'autre.
Ils transportaient avec eux assez de papier pour cartographier et croquer le moindre recoin de ce nouveau continent ainsi que des fioles pour prélever des échantillons de la flore. Ils s'inclinèrent face aux habitants avec de grands sourires, trop excités de leur présence à Sal'Honta pour s'inquiéter de la réaction des autochtones. Ces derniers répondirent avec des sourires tout aussi lumineux et joignirent les mains devant eux, sans doute en signe de salut.
Les chevaliers dragons gagnèrent la terre ferme à leur tour après ce premier contact positif. Cette fois, la réaction fut tout autre. Les habitants de Sal'Honta aperçurent les dragons parmi eux et se prosternèrent aussitôt face contre terre, des bambins jusqu'aux vieillards. Ils psalmodiaient des mots dans leur langue, peut-être des prières.
- Soit ils sont très croyants, soit ils ont très peur de nous, fit remarquer Gébald.
Les habitants restèrent à genoux pour les observer et leur expression trahissait de la vénération à l'état pure. Personne ne remarqua les marins qui descendaient timidement du navire pour se mêler aux explorateurs. Les chevaliers dragons hésitèrent sur la marche à suivre. Les gens autour d'eux ne se relevaient pas, éperdus d'admiration. Thaha prit les devants et demanda dans la langue commune d'Amaris :
- Bonjour, nous sommes des voyageurs venus de l'autre côté de l'océan, d'un continent qui se nomme Amaris.
La foule la dévisagea sans piper mot. Visiblement, il n'avait rien compris. Aymeric se demanda en quelle langue il pouvait s'adresser à eux quand un homme traversa l'attroupement. Il se démarquait de tous les autres par la couleur de sa peau bien plus claire. Il paraissait juste bronzé, comme un talenzien. Il portait une cape blanche qui descendait jusqu'à ses chevilles. Il enleva la capuche qui dissimulait son visage, dévoilant son crâne rasé et son regard recouvert d'une pellicule blanche.
Un frisson hérissa Aymeric de la tête aux pieds. Il dévisagea l'inconnu et celui-ci braqua son regard mort sur le chevalier dragon. L'homme ne voyait pas et pourtant le demi-dieu eut l'impression qu'il sondait son âme jusque que ses recoins les plus sombres. Il parla d'une voix grave dans une langue plus coupante et plus rude que celle des habitants plus tôt. Aymeric ne saisit pas un mot.
Il songea avec désespoir qu'ils ne parviendraient jamais à communiquer lorsque Alaman répondit dans la même langue, le plus naturellement du monde. L'homme à la cape pivota vers lui. Ils échangèrent quelques mots puis le rouquin se courba devant l'homme avec respect. Comme ses compagnons demeuraient les bras ballants, il leur lança :
- Vous n'avez pas entendu ce qu'il vient de dire ? C'est le grand prêtre du temple de Libraca. Soyez un peu respectueux sinon ils vont nous renvoyer à Amaris à grands coups de pied dans les fesses.
- Alaman...Tu comprends quand il s'exprime ? demanda Lisbeth.
- Bien évidemment ! Il ne parle pas une langue étrangère que je sache !
- Al'...Tu es le seul d'entre nous à saisir le sens de ses paroles, intervint Firenza.
Son jumeau fronça les sourcils. Alya s'écria alors :
- La langue primordiale ! Alaman et cet homme parlent la langue primordiale !
- La langue primordiale n'est pas censée être disparue ? l'interrogea Kardia.
- C'est un avantage de famille, expliqua la jeune exploratrice. Les hommes de notre famille ont une connaissance instinctive de la langue primordiale. Je pense que ça vient du fait que nous descendons de Libraca.
- Alors cette histoire est vraie ? s'étonna Alaman. Je pensais que mère l'évoquait uniquement pour donner du prestige à notre lignée...
L'homme à la cape blanche se racla la gorge pour rappeler sa présence. Il adressa quelques mots à Alaman en langue primordiale puis s'adressa à son peuple dans sa langue natale.
- Qu'est-ce qu'il vient de dire ? s'enquit Venerika.
- Il va nous mener jusqu'à la reine, là-haut.
Alaman pointa le sommet de la montagne, rendu invisible par le soleil aveuglant qui le noyait dans ses rayons dorés. Le prêtre de Libraca se mit en route, suivi par Alaman. Ils emboîtèrent le pas au duo, curieux d'en apprendre plus sur ce continent. Ils traversèrent un marché en plein air. Les odeurs d'épices qui s'en dégageaient rappelaient à Aymeric celles de Talenza ou d'Hangaï. Une odeur de viande grillé attisa son appétit tandis que des étoffes colorées attiraient son regard.
Il n'y avait aucune habitation sur le chemin qui menait à la montagne. Ils passèrent devant plusieurs gigantesques trous cernés de pierre ou des femmes et des hommes lançaient des sceaux attachés à une corde pour remonter de l'eau. Aymeric aperçut au loin des champs et des hommes qui travaillaient courbés en deux sous le soleil cuisant.
Ils devaient mourir de chaud, autant que lui dans son uniforme. Il regrettait de le porter depuis leur arrivée sur le port. Il transpirait à grosses gouttes et rêvait d'un peu de fraîcheur. Leur entrée dans la montagne exauça son vœu. Dans les entrailles de pierre, la température atteignait des hauteurs convenables. Un courant d'air tiède souffla sur la peau moite d'Aymeric. Le prêtre expliqua quelque chose en langue primordiale, qu'Alaman traduisit par :
- Tous les habitants de Cangara vivent dans Fal'Tingua. La montagne est creusée de l'intérieur par des centaines et des centaines de galeries qui conduisent aux différentes habitations. Il y a même un marché couvert au centre, là où convergent tous les chemins. Nous allons grimper les seuls escaliers, ceux qui mènent au palais.
- Ce royaume s'appelle Cangara ? s'enquit Alya.
Alaman transmit la question de sa sœur au prêtre, qui répondit par son intermédiaire :
- Cangara est le nom de la capitale. Il signifie « la couronne ». Le royaume se nomme Mycalcia, le royaume du soleil. Il occupe la moitié du continent de Sal'Honta. Il en existe un second, de l'autre côté d'une chaîne de montagnes, qui s'appelle Myfrila : le royaume de la lune. Le prêtre ajoute que la reine se fera un plaisir de nous raconter l'histoire de leur pays plus en détail lors de notre séjour.
Ils arrivèrent au pied des escaliers. Ils n'étaient pas en pierre rouge, comme le reste des galeries traversées plus tôt, mais noir et brillant. De l'obsidienne ? se questionna Aymeric. Ils grimpèrent vers le sommet de la montagne, dans une ascension sans fin. Des balcons s'ouvraient parfois à leur droite, leur offrant une vue imprenable sur l'océan. Des niches à leur gauche, creusée à intervalles réguliers, abritaient des creux remplis d'une matière grasse qu'Aymeric supposa être de l'huile.
Leur ascension se poursuivit longtemps. Ils croisèrent parfois des gens qui descendaient. Ils étaient toujours vêtus de tissus brodés d'or et de bijoux précieux. Des nobles, des marchands riches et peut-être même des membres de la royauté, se dit Aymeric. L'escalier s'acheva sur une vaste salle carrée. Le mur de pierre côté océan, plus ciselé que de la dentelle, offrait encore et toujours une vision du paysage océanique.
Deux gardes étaient postés de chaque côté d'une porte aussi noire que les escaliers, gravés de symboles dans un alphabet inconnu. Aymeric reconnut néanmoins des dragons, sculptés ici et là dans diverses postures.
Le prêtre de Libraca échangea quelques phrases avec les gardes, qui jugèrent leur groupe conséquent d'un œil suspicieux. Ils possédaient des sabres à peine plus courts qu'une épée et des vêtements amples. Seule une fine côte de maille recouvrait le haut de leur corps. Contrairement au reste des habitants qui se déplaçaient nus pieds, ils protégeaient les leurs dans des sandales à la semelle épaisse. Ils poussèrent les portes pour leur livrer le passage à l'intérieur du palais en poussant contre les battants de toutes leurs forces.
Des rires résonnaient à l'intérieur de la demeure royale, signe qu'ils arrivaient peut-être au beau milieu d'une fête. Alors que la simplicité régnait dans les étages inférieurs de la montagne, le faste s'invitait ici. Le flanc de la montagne qui donnait sur l'océan laissait entrer de la lumière dans la grande pièce au sol couvert de tapis aux motifs complexes. Une brise agitait doucement les rideaux accrochés au plafond qui se déployaient aux quatre coins de la pièce pour la décorer plutôt que pour bloquer les rayons du soleil. Une gigantesque table en cristal occupait le centre, entourée de siège en bois incrusté de pierres précieuses.
Des hommes et des femmes, dont il suffisait d'un coup d'œil pour deviner l'étendue de leur richesse et leur existence oisive, déambulaient dans la pièce, détendus. Un homme, assis dans un coin sur d'épais coussins, jouait de la flûte. Des servants, qui se distinguaient à cause de leur longue tunique immaculée, portaient des plateaux débordants de fruits dans lesquels les invités se servaient.
Le prêtre de Libraca dit au groupe :
- La famille royale donne des réceptions chaque jour que les dieux font, pour célébrer la vie. Ils mangent, boivent et font des sacrifices en l'honneur de nos créateurs. Mais nous ne trouverons pas la reine ici : elle demeure dans ses appartements la plupart du temps, pour gérer les affaires du royaume.
Ils fendirent la foule des convives qui les dévisagèrent avec étonnement avant de s'incliner. Certains versèrent le contenu de leur verre aux pieds des nouveaux venus en marmonnant des prières, sans doute pour s'attirer les bonnes grâces des dieux. Ils montèrent un nouvel escalier, en colimaçon cette fois-ci. Il menait à un long couloir dans lequel des portes perforaient le mur de droite. Le prêtre de Libraca les désigna comme les appartements des membres de la famille royale. Ils traversèrent ce couloir et montèrent une dernière volée de marches. Les marins pestèrent tout bas, à l'arrière du groupe. Ravik murmura :
- J'ai les mollets en feu.
Ils pénétrèrent dans une longue salle vide et sobre, contrairement à celle où s'amusaient les invités. Des braseros brûlaient aux quatre coins et les flammes se reflétaient sur le sol de pierre rouge qui semblait avoir été poli par de multiples passages dans ce lieu. Au fond de la salle, après une volée de trois marches, s'élevait un majestueux trône de pierre.
L'identité de la femme assise dessus ne faisait aucun doute. Elle dégageait un charisme qui habitait tout l'espace, presque palpable. Aymeric sentit ses yeux noirs se poser sur le groupe. Le prêtre s'agenouilla et baissa la tête quand il s'adressa à elle. Elle lui ordonna de se relever d'un geste de la main et lança un ordre que le servant de Libraca transmit à Alaman.
- Nous devons nous approcher, chuchota le rouquin.
Ils se placèrent tous face à la reine, hésitants sur la marche à suivre. Devaient-ils s'agenouiller eux aussi ? La souveraine de Mycalcia se leva, leur épargna la peine de choisir comme la saluer. Elle était grande, très grande. Elle dépassait peut-être même Aymeric d'un ou deux centimètres. Elle portait une robe bleu roi avec des broderies argentés et dorés complexes qui évoquèrent des fleurs, des fougères et des arabesques au demi-dieu. Une ceinture d'or de pierres précieuses ceinturait sa taille fine.
Des tatouages dorés couraient sur la peau nue de ses bras jusqu'à son cou, tout aussi complexes que les motifs sur son vêtement. Un épais collier d'or enserrait son cou fin. Son visage, très carré pour une femme, affichait une expression attentive et intriguée. Quand elle descendit de son trône, ses épais cheveux d'un noir huileux qui ondulaient comme des vaguelettes sur les galets volèrent dans son sillage. Elle examina ses visiteurs de son regard acéré, qui les clouait sur place. Puis elle dit quelque chose d'un ton léger, dans la langue primordiale.
- Elle demande d'où nous venons, traduisit Alaman.
Grâce au jeune homme, ils exposèrent leur identité à la reine ainsi que les raisons de leur venue. Plus elle écoutait attentivement leur récit, plus un sourire étirait les lèvres pleines de la souveraine.
- Alors le jour est enfin arrivé, dit-elle finalement.
- Vous saviez que nous viendrions ? s'étonna Alaman au nom du groupe.
- Oui, les signes sont formels. Nous redoutons ce moment depuis des siècles, celui de la fin de notre monde. Votre continent joue un rôle central dans la prophétie. C'est là que s'est déroulé le premier affrontement entre Noximence, Phosphoméra et leurs enfants. Et c'est là qu'il se déroulera à nouveau, dans quelques années. Je ne m'attendais pas à ce que des événements aussi funestes se déroulent sous mon règne...
- Que savez-vous sur le dieu endormi ?
- Mon peuple veille sur lui depuis des siècles, à la demande de Libraca. Vous êtes les guerriers de la prophétie, nous sommes les gardiens. Le dieu endormi est caché dans un temple, au centre de Dal'Orphi, l'île du paradis. C'est le lieu le plus sacré de Sal'Honta.
- Comment pouvons-nous nous rendre là-bas ?
La reine sourit.
- Un peu de patience. Vous avez fait un long voyage, pourquoi ne pas goûter à notre hospitalité d'abord ? Je vous mènerais au dieu endormi dès demain. Mais avant de répondre à l'appel du dieu endormi, des festivités s'imposent. Nos deux peuples ont beaucoup à partager, je le sens. Reposez-vous le temps d'une journée. Le monde sera encore là demain alors il est juste de le célébrer aujourd'hui.
Les paroles sages de la reine tuèrent leurs réticences. Leur objectif était à portée de main mais la fatigue du voyage pesait sur leurs épaules : se distraire leur ferait le plus grand bien. La souveraine frappa dans ses mains trois fois. Un homme et une femme, vêtus d'une tenue similaire vert forêt, pénétrèrent dans la salle du trône et s'agenouillèrent devant elle. Elle donna des ordres dans sa langue natale et les deux personnes repartirent sans un mot. Elle expliqua ensuite à ses invités :
- Notre prêtre, Dyphos, va vous conduire jusqu'aux chambres des invités. Nous les réservons habituellement aux visites des représentants de Myfrila, elles sont très spacieuses. J'espère que vous saurez les apprécier. Vous pouvez vous rendre où bon vous semble, dans la montagne comme à l'extérieur. Nous débuterons les festivités en fin d'après-midi, le temps d'organiser les préparatifs.
Ils prirent congé de la reine et Aymeric demeura impressionné par son sens de la générosité et du partage. Elle les accueillait avec autant d'égards que des ambassadeurs du peuple voisin alors qu'ils n'étaient rien sinon des étrangers...Ils redescendirent de quelques étages, jusqu'à une longue galerie.
- Vous trouverez une suite derrière chaque porte. Installez-vous comme vous le souhaitez. J'espère vous revoir bientôt, dit le prêtre de Libraca.
Il effectua une série de signes complexes avec ses mains, peut-être un genre de bénédiction, avant de tourner les talons tout en rabattant sa capuche sur son crâne. Alya, curieuse, ouvrit la porte de la première suite et poussa un sifflement admiratif.
- Nous sommes accueillis comme des rois !
Ils entrèrent tous dans la vaste pièce, dans laquelle ils tenaient sans marcher les uns sur les autres. Et il ne s'agissait que de la pièce de vie ! La chambre, encore plus vaste, était attenante à une salle de bain avec une baignoire creusée dans la roche et assez grande pour contenir cinq personnes. La pierre, du sol au plafond, était sculptée de mille et un détails d'une finesse époustouflante.
Aymeric examina ceux de la chambre avec une certaine surprise. Il repéra beaucoup de représentations d'hommes et de femmes en plein acte sexuel, dans des positions qu'il n'aurait jamais imaginé même dans ses rêves les plus fous. Alaman s'y intéressa aussi et lui souffla :
- C'est impossible d'être aussi souple ! Et celle-là, tu as vu ? Ce n'est plus du sexe, c'est un exploit !
Ils se désintéressèrent des fresques pour se répartir entre les suites. Elles communiquaient entre elles grâce à des portes dissimulés derrière de grands pans de tissu brodés. Aymeric en visita un certain nombre avant de jeter son dévolu sur celle dont la décoration lui évoquait énormément Praeslia. Les tissus étaient dans les tons rouge et noir, avec des broderies argentées et des scènes guerrières parcouraient les murs de la pièce de vie.
Il posa son sac et se déchaussa avec l'étrange impression d'être à sa place. Des braseros conféraient une ambiance tamisée à la pièce, presque intime. Aymeric retira son manteau avec un soupir de soulagement et troqua sa chemise trempée de sueur contre une de rechange qu'il tremperait sans doute au cours des prochaines heures.
Il effectua le tour du propriétaire et chercha des livres, sans en trouver la moindre trace. On frappa à sa porte alors qu'il se demandait quoi faire pour occuper son temps. Une frêle jeune femme entra, un plateau en équilibre sur chaque main. Ses longs cheveux de jais tressés descendaient jusqu'à ses fesses. Elle déposa ses fardeaux, dont l'un contenait des fruits exotiques et l'autre une bassine d'eau, sur la table basse. Ses yeux noirs examinèrent Aymeric avec intérêt et un sourire timide étira ses lèvres. Il le lui rendit et elle quitta la pièce avec le rouge aux joues.
Le chevalier dragon examina les fruits. Certains ressemblaient à ceux d'Amaris mais d'autres demeuraient totalement inconnus. Comment devait-il manger ce gigantesque fruit dont la peau verte couverte de petites épines molles ne lui inspirait pas confiance ? Ou encore ce fruit orange et tout bosselé ? Il ne pouvait poser la question à personne.
Il ne parlait ni la langue de Sal'Honta, ni la langue primordiale. D'ailleurs, même en supposant qu'il ait pu parler cette dernière, qui l'aurait compris ? Les élites devaient être les seuls à apprendre cette langue disparue. Il se sentit un peu démuni et décida de tuer le temps en écrivant à sa famille.
Il achevait sa lettre quand Alaman entra dans sa suite, une servante magnifiquement parée sur les talons.
- La reine veut te voir, expliqua son ami.

Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'AmarisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant