Chapitre 4 : Le palais de verre

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- Bien joué Lisbeth ! s'écria Gébald. Comment tu as su ?
- Il y a toujours un mécanisme secret pour accéder à des cachettes dans les vieilles ruines d'après les romans, expliqua la princesse.
- Tu t'es inspirée de tes romans d'aventure pour résoudre cette énigme ?! s'exclama Alaman.
- Bien entendu. La littérature contient toujours une part de vérité, c'est bien connu. Ne sois pas aussi surpris, les auteurs que je lis ont certainement puisé leur inspiration quelque part ! Peut-être dans de vieux écrits qui décrivaient des mécanismes de ce type...
- C'était très perspicace Lisbeth mais nous devons nous concentrer maintenant, déclara Aymeric. Même si Lysange n'est pas là-dessous, nous allons croiser le chemin des assassins. Il va falloir se battre, est-ce que vous êtes prêts ?
Personne ne broncha : les compagnons du jeune homme exprimaient tous une détermination sans faille. Aymeric s'engagea le premier dans l'escalier, suivi de Zolan et Hydronoé. Une lumière diffuse et claire brillait en bas des marches. Ça ne ressemble pas à la lueur émise par une torche, songea le chevalier dragon. Il tira son épée hors de son fourreau, prêt à combattre.
Il tendit l'oreille, les sens en alerte. Le malaise qui lui pesait sur les épaules ces derniers jours fut relégué au second plan et le demi-dieu oublia sa douleur, concentré à l'extrême. Le monde se réduisit à ce qu'il l'attendait en bas des escaliers.
Ils débouchèrent sur une salle titanesque aux murs de cristal marbré d'orange, polis. De la Zytalite...Aymeric leva les yeux au ciel, étonné par la clarté qui régnait dans la salle aux proportions démesurées. Un puits de lumière s'ouvrait au-dessus de leurs têtes, derrière une vitre d'une taille hallucinante. Une vitre ou alors...
- Le lac de verre, murmura le jeune homme.
Le lac de verre, une des grandes merveilles des terres brûlées et fierté de la garde des explorateurs. Ils avaient découvert cette beauté naturelle trente ans plus tôt. A l'époque la nouvelle de leur trouvaille avait fait le tour du continent et le lac de verre était devenu le lieu à visiter pour les explorateurs aguerris. Il s'étendait sur plusieurs kilomètres, tâche translucide et miroitante au milieu de ces terres autrefois mortes.
Les explorateurs d'Alembras avaient tenté de percer la surface, sans succès. Elle était trop épaisse et trop dure. D'ailleurs, après une étude plus sérieuse, il s'était avéré que le verre tenait plutôt du cristal de roche. Malheureusement, malgré l'insistance de la garde des explorateurs pour renommer le lieu le lac de cristal, son premier nom était resté.
Et à présent, Aymeric et ses compagnons se tenaient sous le lac, à des mètres sous la surface. Personne ne les attendait dans le grand hall. Il fit signe à ses compagnons de resserrer les rangs et de ne pas prononcer le moindre mot. Il leur pointa un nouvel escalier qui descendait toujours plus profondément dans les tréfonds de la terre. Cette fois ils se firent repérer en atteignant la dernière marche par deux hommes musculeux et lourdement armés.
Avant même qu'ils ouvrent la bouche pour donner l'alerte, une large entaille leur barrait déjà la gorge et le sang jaillissait. Ils gargouillèrent des mots incompréhensibles et s'écroulèrent en convulsant de plus en plus faiblement à mesure que la vie s'échappait de leur blessure mortelle. Zolan essuya la lame de son poignard sur l'un d'eux, le plus nonchalamment du monde.
- Où est-ce que tu as eu une arme ? s'offusqua Aymeric à voix basse.
- Ne me remercie surtout pas alors que je viens de préserver notre effet de surprise.
- Merci mais c'est le cadet de mes soucis ! Pourquoi est-ce que tu es armé ?
- Ton ami Zachary a été le seul assez intelligent pour songer que j'allais avoir besoin d'une lame. Je suis efficace à mains nues aussi mais j'ai une préférence pour ce qui tranche. C'est plus rapide.
Aymeric ravala sa contrariété. Zolan avait raison : mettre ses compétences d'assassin à leur service était plus productif que simplement le traîner derrière eux mais tout de même ! Zachary aurait pu le consulter avant de prendre cette décision. Ils poursuivirent leur chemin dans un couloir percé de multiples portes du côté droit. Hydronoé posa une main sur la paroi de gauche, entièrement composée de Zytalite.
- L'océan est de l'autre côté...
Aymeric hocha distraitement la tête. Il entendait du bruit dans l'escalier qu'ils s'apprêtaient à descendre. Il leva le poing et ses compagnons s'arrêtent comme un seul homme.
- Aodren et Jian ne sont pas encore revenus ? demanda une voix féminine.
- Tu les connais, ce sont des tires au flanc. Moins ils en font et mieux ils se portent, répondit une voix plus grave et incontestablement masculine.
- Tu n'as pas tort. Hier j'ai vu Aodren roupiller pendant sa garde. En plus il a toujours cet air bête sur le visage quand il se réveille...
Les voix se turent. Aymeric ordonna à ses amis d'attendre pendant qu'il allait jeter un œil en bas. Tout le monde obéit, sauf Zolan. Le demi-dieu ne perdit pas de temps à le rabrouer. Si Lysange se trouvait vraiment dans ce lieu qui correspondait sans l'ombre d'un doute à l'idée qu'il se faisait d'un palais de verre, il n'avait pas une minute à perdre. Il se pencha dans le couloir, après avoir prudemment descendu la volée de marches.
Zolan le tira vivement vers l'arrière au moment même où son instinct le prévenait d'un danger. Une lame passa à quelques centimètres de son visage. Une femme et un homme se dressèrent face à eux, plus fins et moins armés que les deux premiers gardes. Le sixième sens d'Aymeric lui souffla qu'ils n'étaient que plus dangereux.
- Je savais que nous n'étions pas seuls, déclara la femme. Tiens, tiens, ne serait-ce pas Zolan au côté d'un intrus qui porte les couleurs de la célèbre garde des chevaliers dragons ? Aux dernières nouvelles tu croupissais dans le donjon d'Ondre. Quelle coïncidence que tu en sortes et que tu viennes ici avec cet individu si peu de temps après.
Zolan haussa les épaules avec un rictus moqueur.
- Les geôles du donjon ne sont pas très confortables : je n'avais aucune envie d'y séjourner plus longtemps. Et pour ce qui est de cet imbécile qui m'accompagne, il s'agit d'un petit cadeau pour le maître des lieux.
- Un cadeau ? ricana l'homme en détaillant Aymeric. Le dragon sanglant se fiche d'un garde comme celui-là, il n'en fera qu'une bouchée !
- Il s'agit d'Aymeric Clarence. De son vrai nom, Aymeric du Dragon.
Les deux assassins se turent, stupéfaits. Quant à Aymeric, il tentait de déchiffrer les intentions de Zolan. A quoi jouait-il ? Soudain, la lame de son ancien frère siffla dans l'air. Aymeric para le coup avec un temps de retard, sous le choc. Zolan l'attaquait ?! Il repoussa l'assassin qui se rangea auprès des deux autres.
- Zolan, qu'est-ce que tu fais ?! s'exclama-t-il.
- Aymeric, Aymeric, Aymeric...Le temps passe mais tu restes toujours le même. Tu es trop naïf. Tu pensais vraiment que j'allais te mener jusqu'au dragon sanglant sans arrière-pensée ? Je t'ai utilisé, depuis le début. Grâce à toi j'ai récupéré ma liberté mais je ne pouvais décemment pas me présenter face à mon supérieur sans gage de ma bonne foi. Être libéré du donjon royal après quelques années de détention alors qu'on a les mains tâchées de sang, c'est toujours très suspect. Ça donne un côté traître et je ne tiens pas à ce que ma réputation en pâtisse. Ne me regarde pas avec cet air de chien blessé. Qu'est-ce que tu croyais ? Que j'allais me ranger et devenir sage ? Que j'allais accepter ton travail stupide au château des gardes ? Et puis quoi encore ? Nettoyer les chambres, curer vos pots de chambre et trimer en cuisine pour que vous puissiez vous remplir la panse ? Tu n'es pas un peu fou ? Jamais je ne travaillerais pour des petits nobles comme ceux qui peuplent ton maudit château. Ton air dépité est risible, tu aurais dû te méfier. On ne peut pas faire confiance à un assassin : on ne sait jamais contre qui va se tourner son poignard, ni s'il est vraiment sincère...
Zolan acheva son monologue en tranchant la gorge de l'assassin le plus proche. L'homme porta les deux mains à son cou, les sourcils froncés. La femme dégaina une lame mais Zolan lui plongeait déjà la sienne dans le cœur jusqu'à la garde. Il la retira et lui ouvrit la gorge, pour faire bonne mesure. Puis il dit avec un soupir :
- Je préfère les mercenaires sans cervelle que nous avons croisé plus tôt. Ils sont moins méfiants que ceux-ci.
- Donc...Tu mentais tout ce temps ? Même quand tu m'as attaqué ?
- Bien entendu, toute la stratégie résidait dans la tromperie. Continuons pendant que la voie est libre, au lieu de bavasser.
Le chevalier dragon reprit ses esprits et siffla tout bas pour signaler à ses compagnons que le danger était écarté. Le palais de verre se transforma rapidement en labyrinthe. Aymeric tâchait de mémoriser leur trajet quand une porte s'ouvrit à la volée devant leur groupe. Une dizaine de gardes, mercenaires et assassins mêlés, jaillirent d'une salle en riant à gorge déployée. Ils se turent en apercevant les intrus.
Aymeric comprit que leur effet de surprise prenait fin ici. Les chevaliers dragons se ruèrent sur leurs ennemis, qui donnaient l'alerte à grands renforts de hurlements. L'épée d'Aymeric perfora une poitrine. Du sang gicla sur son costume, sa victime s'écroula face contre terre. Il élimina méticuleusement ses adversaires, un à un. Zolan, Hydronoé et Ourania se frayaient un chemin sur son passage alors que le reste du groupe suivait difficilement, talonné par une horde de gardes.
- Nous allons les retenir, décida Alaman. Partez devant !
- Nous ferions mieux de ne pas nous séparer, objecta Aymeric.
- Ils pourraient déplacer Lysange pendant que nous nous battons, lança Zachary.
Ce simple argument abattit toutes les réticences du demi-dieu. Il s'élança dans les couloirs, passa devant une porte en bois à double battants, plus décorées que les autres. Il ne la détailla pas d'avantage car Ourania s'écria :
- Je sens son odeur ! Elle est passée par ici !
La petite dragonne prit la tête du groupe, déterminée. Ils courraient à en perdre haleine et s'enfoncèrent toujours plus profondément sous terre. Aymeric peinait à suivre la cadence car son malaise le reprenait, avec deux fois plus d'intensité. Soudain, un cri leur parvint depuis un énième escalier :
- Lâchez moi !
Le son de cette voix fit l'effet d'une claque à Aymeric. Il rêvait de l'entendre depuis des mois, elle le hantait dans ses cauchemars et ses rêves. Une décharge le parcourut de la tête aux pieds. Il redoubla d'ardeur et dépassa Ourania en trombe. Cette fois l'escalier débouchait sur un couloir sombre, aux murs rocheux percés de torches.
Il formait des virages traîtres et sinueux contre lesquels le demi-dieu se heurta plus d'une fois. Bientôt un courant d'air ébouriffa Aymeric, porteur d'une odeur de sel. Il vit de la lumière à quelques mètres devant lui et déboucha sur l'extérieur en plissant les yeux, éblouis.
Il jaillit sur une large esplanade rocheuse taillée dans la falaise. Elle offrait une vue imprenable sur l'océan, d'un bleu profond sous le soleil étincelant. Un éclat immaculé attira l'attention du chevalier dragon. Son cœur rata un battement avant d'accélérer brutalement. Lysange ! Sa compagne, prisonnière d'un homme qui ressemblait énormément à Brazidas et Firenza, se débattait avec énergie. Elle n'avait pas changé, même s'il la trouva fatiguée. Ses yeux limpides croisèrent ceux d'Aymeric.
Il eut envie de se précipiter sur elle et de la cueillir dans ses bras mais l'homme à ses côtés, sans doute le dragon sanglant, se plaça entre eux. Un sourire cruel étira ses lèvres et il se transforma d'humain à dragon en quelques secondes avec un concert de craquements sonores.
Aymeric sentit son estomac remonter dans sa gorge tandis que l'histoire se répétait sous ses yeux. Le dragon sanglant tenait Lysange dans l'une de ses pattes avant, comme le jour de son enlèvement à Ronto, au milieu des ruines et des flammes. Une goutte de sueur glissa le long de son front tandis que la colère se disputait à la peur dans le creux de ses entrailles.
- Félicitations pour être arrivés jusqu'ici. Zolan vous a certainement beaucoup aidé.
- Si peu que pas du tout, se moqua l'assassin.
- Moi qui te pensais loyal. Après tout ce que j'ai fait pour toi...Je suis très déçu.
Zolan haussa les épaules tout en jouant distraitement avec sa lame. Aymeric profita de leur échange pour se déplacer vers le flanc du dragon sanglant. Ce dernier, loin d'être dupe, le gardait à l'œil. Il se décala, dos au vide, pour garder ses adversaires dans son champ de vision sans s'exposer.
- Chevalier Aymeric Clarence ! Ou devrais-je dire Aymeric du Dragon ? Peu importe. On dirait que vous vous êtes bien remis de notre affrontement précédent. Prêt pour une petite revanche ?

Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'AmarisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant