Ils quittèrent le confort relatif de l'auberge après leur dernière nuit de sommeil réparateur avant longtemps ! Ils abandonnèrent la ville minière derrière eux, jusqu'à s'éloigner de toute trace de civilisation. Ils passèrent devant les mines où résonnaient le bruit des pioches contre la pierre, le grincement des roues des chariots sur les rails métalliques. Rien ne s'étendait au-delà, à part une caillasse grisâtre.
Des buissons rachitiques poussaient ici et là entre les plaques rocheuses. En dehors de mouettes et d'insectes, ils ne rencontrèrent pas le moindre animal. Le bétail arrivait par bateau, pour que les habitants les saignent et obtiennent de la viande fraîche. Certains élevaient quelques poulets dans des enclos à côté de chez eux, plus pour les œufs que pour la chair.
Les dragons se transformèrent au milieu de cette désolation. Ils montèrent sans selle, accompagnés par les explorateurs peu rassurés. Le ciel gris sombre grondait au-dessus de leurs têtes, signe de l'orage qui se préparait. Aymeric pria sa mère de ne pas les foudroyer en plein vol. Ils volèrent à peine une heure ou deux avant que les falaises déchiquetées de la plus grande des îles inconnues se profilent face à eux.
Les vagues frappaient sans relâche les hauts bords escarpés. Le vent mugissait à leurs oreilles et éraflait la surface pierreuse et sèche. Ils planèrent au-dessus d'un détroit avant d'amorcer leur descente. Une fine pluie accueillit leur arrivée sur un plateau rocheux dépourvu de végétation.
- Je hais cet endroit, soupira Byron en glissant du dos de Firenza. C'est pire que dans le pire des cauchemars.
Il tira un épais manteau huilé et pourvu d'une capuche de son sac de voyage pour se draper dedans. Aymeric l'imita car le jeune explorateur avait déjà brièvement exploré ces îles quelques années plus tôt et connaissait mieux que lui comment préserver sa santé mentale et physique sur ces morceaux de désolation. La bruine se changea rapidement en déluge.
L'eau serpentait entre les creux dans la roche et rendait le terrain glissant. L'humidité les glaça en moins d'une heure en dépit de leurs manteaux. Hydronoé et Mirzal utilisèrent leur pouvoir pour repousser l'eau autour de leur expédition et les garder relativement au sec. Gédéon, sélectionné par le roi pour cette mission périlleuse, cria pour couvrir le fracas assourdissant de la pluie :
- Nous avons un camp de fortune à deux heures de marche ! Nous serons relativement à l'abri si une tempête ne l'a pas soufflé depuis notre dernière visite !
Il prit la tête du groupe et Aymeric le suivit en veillant à ne pas glisser sur les roches humides. Alaman tomba le premier. Il ripa, s'écrasa sur un genou et lâcha une montagne de grossièretés. Lisbeth l'aida à se redresser puis vérifia les jambes de son amant. Son genou saignait et il le banda sommairement avec l'aide de Zacharie qui transportait avec lui un sac plein à craquer de médicaments, onguents et bandages, assez pour soigner un village. Vint ensuite le tour de Kardia.
Son pied se coinça dans une petite crevasse et elle bascula vers l'avant en agitant les bras. Elle se rattrapa sur les coudes avec un grognement de douleur. Taha la redressa à l'aide de son aile puis lui proposa son dos pour qu'elle poursuive le voyage sans encombre. Un jeune explorateur s'affala à son tour alors qu'ils arrivaient en vue du camp de fortune. Ses amis le remirent sur pied et il assura qu'il allait bien en dépit de ses paumes égratignées.
Le camp, à moitié détruit par les intempéries, se dressait misérablement au milieu de la roche, triste assemblage de cailloux, de branches et de vieille toile.
- Je croyais qu'il y avait une forêt à deux heures de route d'ici, signala Aymeric à Gédéon. Pourquoi ne pas avoir dressé le camp là-bas ?
Ce dernier ricana sombrement.
- On voit bien que vous ne savez rien des îles inconnues. Poser un pied dans la forêt, c'est presque signer son arrêt de mort. Nous ne sommes pas seuls ici mais les plateaux rocheux sont les coins les moins dangereux. Les bêtes qui vivent sous le couvert des arbres sont redoutables, mieux vaut s'en éloigner. Nous n'inspecterons cette zone qu'en dernier recours, après avoir effectué le tour de toutes les îles. Je ne veux pas sacrifier mes camarades inutilement.
Aymeric n'argumenta pas. L'explorateur côtoyait les îles inconnues depuis bien plus longtemps que lui, il évoluait en terrain connu où la nature régnait en maîtresse absolue ! Des murets en pierre entouraient le camp, haut comme deux hommes et garnis de piques au sommet.
Aymeric se souvint que les rapports décrivaient des prédateurs rapides et véloces qui chassaient la nuit, en meute. Ils ressemblaient à des tigres gigantesques, les rayures en moins. Le plus gros spécimen faisait facilement la taille d'un cheval. Ils possédaient aussi une dentition bien plus proéminente que les autres prédateurs, notamment deux longues canines supérieures au tranchant mortel.
L'intérieur du camp était assez sommaire et trop étroit pour accueillir une troupe aussi conséquente. Des tentes en toile prenaient la pluie en compagnie de petites cabanes en pierre autour d'un abri de bois qui couvrait un grand brasero, entouré de bancs, éteint.
- Bienvenue sur le seul coin de paradis de cet enfer, soupira Gédéon. Il va falloir se serrer dans les tentes, j'espère que le manque d'intimité ne vous gêne pas.
Aerine, toujours sous sa forme de dragon et en dehors du camp en compagnie de ses frères et sœurs pour ne rien piétiner, proposa :
- Nous pouvons dormir hors du campement. Nous ne craignons pas la pluie pour la plupart d'entre nous et notre taille imposante repoussera les prédateurs.
Gédéon haussa les épaules avec fatalisme.
- Je vous trouve optimiste. Ces bêtes-là chassent en grand nombre. Elles pourraient profiter de votre sommeil pour attaquer.
- Alors nous monterons la garde, répliqua la dragonne. Nous avons les moyens de nous défendre.
Pendant que les dragons se répartissaient les tours de garde pour la nuit à venir, le reste du groupe s'efforça de mettre de l'ordre dans le campement. L'intérieur des tentes sentait l'humidité et le moisi. Elles étaient à peine assez grandes pour accueillir trois personnes serrées les unes contre les autres. Les cabanons en pierre servaient à entreposer le matériel et la nourriture.
Ils rangèrent tandis que Byron s'acharnait pour embraser du bois humide tiré d'une des cabanes. Firenza lui facilita la tâche en envoyant une étincelle embraser les branchages. Un feu réconfortant ronfla aussitôt, dévorant le bois malgré son humidité.
- Merci mon amour, soupira le jeune homme en rangeant son briquet à amadou.
- De rien. N'oublie pas que tu peux venir dormir contre moi ce soir si tu as froid.
L'explorateur rougit à cette remarque bien que le ton de Firenza ne sous-entendait rien. Gédéon déroula une carte sur un des bancs et appela le groupe. Aymeric sentit le lien avec Hydronoé frémir lorsque le dragon glissa dans son esprit pour voir par ses yeux et suivre la réunion.
- Voici le plan le plus détaillé que nous ayons des îles inconnues. Il est encore incomplet mais contient des informations capitales pour notre survie. Les zones blanches sont celles où le danger est moindre. Les grises sont des terrains neutres, tout dépend des jours. Et les endroits en rouge sont ceux où les chances de mourir sont élevées. Pour être efficace, je propose que nous commencions par les zones blanches, puis grises. Avec de la chance le prince et sa femme n'ont pas été assez bêtes pour s'aventurer dans les zones rouges.
- Nous pouvons effectuer un survol de cette île dès à présent, proposa Sandor. Nous pourrons ainsi vous prévenir si nous percevons une quelconque activité humaine.
Ils votèrent et une majorité accepta la décision de Sandor, à condition que tous les dragons ne partent pas en repérage. Les dragons de feu et de terre restèrent en leur compagnie. Ceux d'air et d'eau, accompagné par Taha, l'unique fille de Libraca, s'élancèrent vers les cieux.
Suite au départ d'Hydronoé et Mirzal, la pluie tomba plus intensément. Sandor et Gébald se roulèrent en boule sous leurs ailes pour se protéger tandis que Firenza et Brazidas subissaient la pluie qui s'évaporaient en grésillant au contact de leur écailles.
Les chevaliers dragons et les explorateurs établirent la liste des zones qui exploreraient dans les jours à venir. La nuit tombait et le repas chauffait au-dessus du feu lorsque les dragons revinrent. Ils portaient tous des carcasses dans leurs pattes avant et arrière, qu'ils laissèrent tomber au sol avec un bruit mou. Aymeric reconnut sans peine la peau lisse, blanche et grise des requins. Les éclaireurs rapportaient le dîner pour leurs frères et sœurs, ainsi que de mauvaises nouvelles.
- Aucune trace de vie humaine sur cette île, les renseigna Taha. Pas d'agitation, pas de fumée, pas de campement, rien. Soit ils ne sont pas là, soit ils se méfient assez pour se cacher sans se trahir. Les retrouver ne va pas être une partie de plaisir !
Elle ne se doutait pas à quel point elle avait raison. Ils dégustèrent une soupe qui les réchauffa à peine. Cette nuit-là, serré entre Zacharie et Alaman, Aymeric peina à fermer l'œil. Il guettait le moindre son derrière la pluie mais aucune attaque ne survint. Il se leva d'humeur ronchonne et grignota un morceau de pain vaguement spongieux.
Ils débutèrent les recherches assez tôt en essayant d'ignorer la pluie qui tombait aussi intensément que la veille, accompagnée d'éclairs. Ils ratissèrent la moitié des zones blanches de l'île dans la journée et s'occupèrent du reste le lendemain, sous une météo toujours aussi déplorable.
Heureusement les dragons se chargeaient de repousser la pluie et l'humidité durant leur progression. Les plus frileux pouvaient même se réfugier près de Brazidas et Firenza qui se chargeaient de les réchauffer. Ils pataugèrent dans l'eau et la boue, les bottes trempées et les pieds transis de froid.
Suite à leur absence de résultats dans les zones blanches, ils envoyèrent Aerine, Ourania, Mirzal, Hydronoé et Taha survoler les îles voisines, plus petites mais non moins dangereuses, à la recherche du couple royal et de leur suite. Sans résultats.
Ils passèrent aux zones neutres, bien plus étendues. Cette fois Aymeric conserva son épée en main durant les recherches. Ils s'approchèrent de la forêt à plusieurs reprises, sans pénétrer sous le couvert inquiétant des arbres.
A travers les troncs, le jeune homme ne distinguait qu'une obscurité inquiétante et un silence étouffant. Ils marchaient à quelques mètres des arbres lorsqu'ils firent la rencontre du premier spécimen local. Il ne s'agissait que d'une petite grenouille rouge avec des tâches éparses bleu électrique.
Aymeric se remémorait les croquis de ce batracien ainsi que la courte description qui l'accompagnait. Le mucus sur la peau était empoisonné et tuait les prédateurs qui tentaient de l'avaler. Si un humain la touchait à mains nues, il mourrait d'une lente paralysie en moins d'une journée et dans d'abominables tourments. Elle bondit pour se réfugier dans une large flaque, peu agressive. Ils la contournèrent soigneusement, prêts à embrocher le batracien s'ils surgissaient de leur trou d'eau en direction de leur groupe.
Les journées s'enchaînèrent, longues et éreintantes. Aymeric les comptait en empilant des petites pierres à côté de sa tente. Il en était déjà à quinze. La pluie qui ne cessait de tomber sapait le moral de leur petite troupe. Il restait peu de zones neutres à fouiller et Gédéon, Gordon et Venerika organisèrent une réunion avant le dîner pour clarifier le programme des jours à venir. Ils ne parlaient jamais de la mission en mangeant, pour se libérer l'esprit tout en se remplissant l'estomac.
- Nous changerons d'île après-demain, déclara Gordon. Nous allons en finir avec les zones neutres sur cette île et nous en profiterons pour inspecter ses voisines. Une objection ?
Tout le monde s'attendait à cette décision et personne ne la remit en question. Aucun membre du groupe, les explorateurs les premiers, ne souhaitait poser un pied dans un zone rouge. Comme prévu, aucune trace du couple royal dans ce qu'il restait des zones neutres de la plus grosse des îles. Ils levèrent rapidement le camp et prirent la voie des airs.
L'île suivante était un calvaire. Un mélange de pierre et de boue qui rendait le terrain dangereux, de buissons épineux aux baies empoissonnées et de gigantesques mille-pattes la peuplaient et arrachèrent des hurlements à Lisbeth. Des arbres rachitiques poussaient comme ils le pouvaient entre les pierres, formant parfois des petits bosquets. Ils explorèrent l'intégralité de cette île en cinq jours car elle ne comportait aucune zone rouge.
Ils ignorèrent la seconde plus grande des îles inconnues qui s'affichaient en écarlate sur la carte des explorateurs. Ils en découvrirent deux minuscules en survolant la mer, encore moins vastes que Kardigrag. Ils se posèrent sur la dernière de la carte, la plus petite des îles cartographiées.
De couleur grise sur le papier, elle inspirait relativement confiance une fois en visuel avec sa grande forêt clairsemée qui recouvrait tout. Ils se posèrent au bord de la falaise à cause des arbres. Pour la première fois depuis le début de leur mission, les dragons reprirent forme humaine pour circuler aisément au sein de la végétation.
- Méfiez-vous des plantes, leur conseilla Gédéon. Ne touchez à rien.
Ils enfilèrent des gants pour être certains de ne pas effleurer un végétal nocif par inadvertance. Le feuillage retenait un peu la pluie mais augmentait l'humidité. Aymeric pataugea au milieu des fougères et de la boue avec impatience. Voilà des jours et des jours qu'ils arpentaient ces terres de désespoir sans parvenir à dénicher le moindre indice indiquant le passage du couple royal ! Rien d'étonnant avec ces trombes d'eau mais le chevalier redoutait de plus en plus que le prince se soit enfoncé dans des espaces dangereux pour lui et sa famille.
Soudain, un cri les tira de leur progression monotone. Lisbeth s'agita en glapissant et retira sa botte en toute hâte. Une épine, qui provenait sans doute d'une des branches mortes du gigantesque épineux à deux pas d'elle, venait de traverser la semelle de sa botte pour se planter directement dans sa voûte plantaire.
Elle s'apprêtait à la retirer en râlant lorsqu'elle s'affaissa contre un tronc en tremblant. Aymeric se précipita à ses côtés tandis qu'elle s'effondrait en convulsant.
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Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasyDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...