Après une légère surprise à cause de cette demande inattendue, Aymeric s'enquit :
- Très bien. Qui est cette femme avec toi ?
- La servante personnelle de la reine. Elle parle la langue primordiale aussi bien que le prêtre de Libraca.
Ils retournèrent dans la salle du trône, où la souveraine donnait des ordres à une armée de domestiques qui s'éclipsaient les uns après les autres une fois les instructions reçues. Un large sourire étira les lèvres de souveraine en les avisant et elle leur fit signe d'approcher du trône. Elle parla longuement dans la langue primordiale et Alaman écarquilla les yeux au fur et à mesure de son explication. Que disait la reine ? Aymeric ravala sa frustration tant bien que mal.
- Elle dit qu'un grand événement va avoir lieu dans une arène sous la montagne, avant la tombée de la nuit. Il s'agit d'une sorte de tournoi très spectaculaire où les guerriers les plus puissants vont se mesurer les uns aux autres. Selon elle, des dragons fils et filles de Praeslia participeront. Elle demande si, en tant qu'enfant de la déesse de la guerre et invité d'honneur, tu souhaites prendre part au tournoi. Elle ajoute que le vainqueur reçoit de grandes récompenses, dont son poids en or.
Le sang d'Aymeric s'enflamma. Des fils et des filles de Praeslia ? Il s'agissait sans doute de dragons nés d'un œuf, peut-être liés à un humain. Ils devaient être forts sous leur forme humaine, aussi forts que lui, sinon plus. Que donnerait un demi-dieu tel que lui, avec du sang humain dans les veines, face à des enfants de la déesse de la guerre ? Pouvait-il pousser le vice jusqu'à les surnommer ses demi-frères et sœurs ?
La proposition était trop tentante pour qu'il la refuse même s'il craignait de se blesser dans la mêlée. Sa fierté personnelle avait été mise à mal lors de sa défaite face à Amagmalion. Il ne pouvait pas vaincre un dragon sous sa forme d'origine mais qu'en était-il des enfants de sa mère sous leur apparence humaine ?
- Combien seront-ils ?
- Trois, lui précisa la reine par le biais d'Alaman. Des adversaires redoutables et entraînés, digne d'un guerrier tel que vous. Vous ne regretterez pas de participer.
- Très bien mais la récompense ne m'intéresse pas.
La reine rit tout bas, de manière très polie, suite à sa réflexion. Elle ajouta avec un sourire malin :
- La récompense est la récompense. Vous l'obtiendrez, si vous gagnez. Le tournoi débutera avec le coucher du soleil, ne soyez pas en retard. En attendant, que la montagne soit comme votre second foyer.
Elle les congédia d'un geste plein d'élégance et ils prirent le chemin de la sortie après une révérence polie qui intrigua la reine plus que cela ne la flatta. L'annonce de ce tournoi imprévu plongea Aymeric dans une douce excitation qui ne ferait que croître d'heure en heure jusqu'à ce qu'il se confronte aux enfants de Praeslia. Pour se changer les idées jusqu'au crépuscule, il explora la montagne en compagnie d'Alaman.
Les habitants qu'ils rencontrèrent les dévisagèrent avec étonnement tout en chuchotant à leur passage. Les chevaliers dragons, bons diplomates, sourirent aux autochtones tout en arpentant les longues galeries à la recherche de la sortie. Certains répondaient avec des signes de la main alors que d'autres détournaient le regard en pressant le pas.
- Cet endroit est un vrai gruyère, déclara Alaman. En plus on meurt de chaud, pire que dans le désert du Souan !
- Tu devrais changer de vêtements : les nôtres ne sont pas adaptés au climat. On en trouvera peut-être au marché, en supposant qu'ils acceptent notre monnaie.
- J'en doute mais qui ne tente rien n'a rien ! Les gens d'ici ont l'air sympathiques, on arrivera peut-être à conclure des affaires.
- Dis-moi Alaman, ce n'est pas que ça me rebute de passer du temps en ta compagnie, mais plutôt que de rôder avec moi, tu ne devrais pas être avec Lisbeth ?
Le rouquin sursauta et épongea son front couvert de sueur pour se donner une contenance.
- Lisbeth ? Pourquoi est-ce que je devrais être avec Lisbeth ?
- Vous êtes ensemble, non ?
- Mais merde à la fin ! Toute la garde est au courant ou quoi ? s'énerva Alaman.
- Possible. Disons que les nouvelles vont vite.
Le rouquin ronchonna dans sa barbe, la mine contrariée à cause de son secret éventé. Aymeric sourit moqueusement, très amusé par l'embarra de son ami. Il tâcha de ne pas l'asticoter plus à ce sujet et se concentrant sur le chemin qu'ils suivaient dans ce dédale infini. Ils atteignirent enfin une sortie et plissèrent les yeux à cause de la forte luminosité.
L'extérieur bourdonnait de vie, en particulier en direction du marché installé à l'ombre de la montagne. Aymeric repéra Hydronoé au milieu de la foule, Alya pendue à son bras. Il utilisait ses ailes pour la ventiler et la jeune femme souriait en passant une main dans ses cheveux empoissés par la sueur. Les gens s'écartaient respectueusement à leur passage tout en s'inclinant mais Hydronoé remarquait à peine leur comportement, captivé par les explications passionnées d'Alya à propos d'un sujet quelconque.
Certains tendirent même des fruits ou du poisson grillé au dragon, qu'il goûta poliment tandis qu'Alya se régalait franchement. Alaman soupira et Aymeric lui tapota l'épaule pour réconforter ce grand frère un peu trop possessif.
- C'est de son âge : laisse-la vivre sa vie.
- La connaissant, ce n'est pas qu'une amourette. J'ai remarqué qu'elle se montrait toujours très définitives dans ses choix et qu'elle n'est pas du genre à changer d'avis...
- Tant mieux : Hydronoé a l'air attaché à elle. Ils s'accordent bien, admet le.
Alaman grommela jusqu'à ce qu'une jolie marchande brandisse des tranches de fruits devant lui, odorantes et juteuses. Un sourire plein de charme illumina le visage du rouquin et il accepta ce présent avec un air séducteur. La jeune femme baissa pudiquement la tête pour dissimuler son expression radieuse. Alaman goûta le fruit à la chair blanche et gorgée d'eau. Il poussa une exclamation ravie.
- Le goût est surprenant ! C'est très sucré avec un soupçon d'épice et ça laisse une note âpre dans la bouche ! Prend un morceau Aymeric, c'est succulent!
Aymeric enfourna une tranche dans sa bouche par curiosité et admit qu'Alaman avait raison. Face à l'enthousiasme du chevalier dragon à la chevelure de feu, qui attirait les regards presque autant que les dragons, les autres vendeurs de denrées en tout genre approchèrent pour qu'Alaman déguste leurs produits.
Cerné, le jeune homme testa tout et n'importe quoi avec un contentement absolu. Il aimait absolument tout ce qu'on lui présentait. Dès qu'il donnait son approbation par des sourires et des exclamations, les marchands se précipitaient vers Aymeric.
Leur attitude envers lui s'avérait bien différente de celle qu'ils avaient eu face à Hydronoé : ils se prosternaient presque sans oser le regarder dans les yeux, bien plus timides. En tant que fils de Praeslia, il inspirait peut-être plus de crainte. Il amorça donc des gestes doux et lents, pour témoigner de ses bonnes intentions. Il théâtralisa moins ses dégustations que son ami mais tenta de manifester son contentement au mieux, pour rassurer la petite foule tendue.
La nourriture, très épicée, lui enflamma la bouche. Il remarqua peu de plats ensauce ou de gibiers. Il y avait une abondance de fruits, de poissons mais aussi des fromages de chèvres et de drôles de champignons avec un léger goût de terre. Il but même un petit verre de liqueur forte et sucrée avec la consistance d'un sirop qui lui brûla la gorge.
Ils se frayèrent petit à petit un chemin dans la foule au fil de leur itinéraire culinaire, jusqu'à une partie du marché consacrée aux textiles où on les accosta moins. Aymeric constata alors que le marché était soigneusement organisé en secteurs et que les marchands respectaient la zone qu'on leur attribuait sans empiéter sur celle du voisin.
Ils passèrent à la frontière entre les tissus et l'artisanat et croisèrent Byron qui négociait deux pièces d'or avec un vieil homme qui vendait des bagues. Le vieillard mordit une des pièces puis afficha une expression satisfaite mêlée de surprise. Il tendit à Byron une fine bague, sertie d'un joyau rouge semblable à un rubis, et une seconde, plus simpliste et épaisse, argenté. Le jeune explorateur s'inclina au moins dix fois devant lui, surexcité, avant de filer parmi la foule à toute allure sans bousculer personne. Les autochtones le considérèrent avec étonnement, tout comme Aymeric et Alaman.
C'est en examinant la foule que le demi-dieu remarqua peu d'enfants dehors, uniquement des adolescents. Peu de vieilles personnes arpentaient les rues elles aussi. Celles qu'Aymeric rencontra étaient des vendeurs, à l'ombre, la tête entourée d'une épaisse couche de tissu, une jarre d'eau posée près d'eux. Avec la chaleur suffocante qui régnait, rien d'étonnant à ce que les autochtones se confinent dans les entrailles fraîches de la montagne, surtout les plus fragiles.
Aymeric lui-même fondait sur place.
Sans l'ombre projetée par la montagne, les rayons du soleil lui brûleraient cruellement le crâne à cause de sa tignasse sombre. Il copia la méthode de son jumeau et battit faiblement des ailes pour se ventiler, mort de chaud. Ses vêtements collaient à sa peau, ses pieds réclamaient qu'il retire ses bottes et l'eau dans sa gourde était aussi chaude comme s'il venait de la retirer du feu. Il avait déjà hâte de rejoindre l'abri de la montagne, en dépit de sa curiosité.
Un son de flûte et de tambour écarta son esprit de ses préoccupations. Plus loin, deux hommes jouaient un rythme gai et entraînant. De jeunes femmes poussèrent des cris excités et se mirent à danser face au duo de musiciens. Leurs étoffes fines virevoltèrent autour de leur corps gracile, dévoilant par moment un morceau de peau sombre. Alaman tapait des mains en rythme, en se retenant de les rejoindre pour se déhancher. Lorsque la musique cessa et que les danseuses s'immobilisèrent, le public siffla, sans doute pour saluer la performance.
Ils achevèrent leur tour du marché et se dirigèrent vers ce qui ressemblaient à des champs parfois bordés de gigantesques fosses. Aymeric se pencha au-dessus de l'une d'elle mais un homme lui barra le chemin avec un regard apeuré. Il craignait sans doute que le chevalier dragon tombe dans ce puits sombre.
- Tu crois que ça a été creusé par la main humaine ? s'enquit Alaman.
- C'est vrai que c'est extrêmement profond. Ils possèdent peut-être des technologies ou des techniques que nous n'avons pas sur Amaris.
- Ou alors ils ont ça, déclara le rouquin en pointant le ciel.
Aymeric regarda dans la direction qu'il indiquait et sa respiration se bloqua. Des silhouettes planaient haut dans l'azur sans nuages, autour du soleil ardent. Il ne s'agissait pas d'oiseaux, leur cou trop long en témoignait, ainsi que leur queue effilée. Des dragons ? En plein ciel, ici ? Personne ne s'en affolait : les paysans se concentrait sur leurs cultures, la tête enveloppée de tissus humidifiés. Ils ne se souciaient pas des ombres gigantesques projetées au sol par les reptiles en plein vol.
- On dirait que la présence des dragons ne perturbe pas les habitants, constata-t-il en arquant un sourcil.
- Effectivement...Tu penses qu'ils parviennent à vivre en harmonie sur ce continent ?
- Il faudra questionner la reine si nous avons l'occasion de lui parler à nouveau, elle ou quelqu'un qui connait la langue primordiale.
Ils détournèrent leur attention du ciel pour la porter sur la terre et plus précisément sur les cultures à cause d'un homme qui passa devant eux avec un énorme panier tressé sur les épaules. Il débordait de gros tubercules à la peau vaguement rougeâtre, couverte de terre encore fraîche. D'autres cultivaient des champs d'arbres fruitiers, sillonnés de canaux où coulait un peu d'eau. Des légumes poussaient à l'ombre des troncs, protégés des rayons cuisants. Des agriculteurs chantaient en vérifiant l'état des plantations, torse nu. Au-delà des champs s'étendaient une vaste plaine aux herbes jaunies.
Aymeric se questionna sur la géographie du reste du continent. Existait-il une bibliothèque avec des cartes du pays ? Si la montagne abritait des documents de ce genre, il ne réussirait jamais à les lire. Cela valait néanmoins le coup de jeter un œil. Comme la civilisation cessait à la fin des champs, ils rebroussèrent chemin vers le port. Leur bateau mouillait toujours dans les eaux calmes et des habitants curieux se massaient autour pour observer les marins désignés pour surveiller le navire qui arpentaient le pont pour arranger les cordages du bâtiment. Ici il faisait plus frais, grâce à la brise venue de l'océan.
- Tiens, Mirzal et Hermas sont là, dit Alaman en pointant le duo qui examinaient la pêche du jour d'un marin dans une petite barque.
Leurs deux aînés essayaient de se faire comprendre à grands renforts de gestes, ce qui s'avéra être un spectacle très distrayant. Aymeric et Alaman pouffèrent quand le pêcheur présenta un poisson cru à Hermas, que Mirzal goba avec écailles et arrêtes à sa place en le monnayant une pièce d'argent, un prix excessif pour un poisson. Les deux amis regagnèrent l'intérieur de la montagne, vaincus par la chaleur à couper au couteau. Le tatoué passa une main dans ses cheveux poisseux de sueur et expira profondément.
- Je vais rôtir. Firenza doit être heureuse avec cette chaleur de fin du monde. Tu veux qu'on explore un peu les galeries avant les combats dans l'arène ? Le soleil est encore loin de se coucher et je meurs d'en découvrir plus sur cette nouvelle terre. Pas toi ?
- Si, j'espère juste qu'on ne va pas atterrir chez quelqu'un, dit Aymeric en lui emboîtant le pas.
Les deux comparses dénichèrent surtout des ateliers au rez-de-chaussée. Des tailleurs, tisseurs, cordonniers et ainsi de suite. Cependant ils ne remarquèrent aucun forgeron ou verrier, étrangement. D'ailleurs, en dehors des gardes, personne ne portait d'armes, du moins pas de lames apparentes. Visiblement aucune insécurité ne régnait en ces lieux.
Soit ils respectaient les lois à la lettre, soit la reine appliquait de sévères sanctions à ceux qui les outrepassaient pour que personne n'ait envie de les imiter. Est-ce que ce royaume avait seulement des ennemis ? Était-il dans de bons termes avec le territoire voisin? Existait-il d'autres continents accessibles par bateau depuis cette terre ?Autant de questions auxquelles Aymeric aurait aimé répondre !
Personne ne s'opposa à leur promenade dans les galeries. Ils trouvèrent même une taverne et Alaman insista pour qu'ils entrent.
- Juste un verre Aymeric !
- Non, pas avant un combat. J'ai déjà bu une liqueur de trop tout à l'heure.
- Tu ne sais pas t'amuser, soupira Alaman.
A l'intérieur régnait une ambiance encore calme. De rares clients dégustaient une boisson ou un repas, assis sur des bancs en bois placés autour d'imposantes tables de pierre. Des tissus chatoyants pendaient du plafond et se déployaient jusqu'aux murs, attachés à des anneaux en fer plantés dans la roche pour les maintenir en place. Des braseros flambaient aux quatre coins de la pièce pour créer une ambiance douce. Une femme, sans doute la tenancière, jaillit de derrière un rideau qui dissimulait une autre salle plus petite, peut-être une cuisine ou une réserve.
Elle avisa les étrangers et tapota une table libre, pour les inviter à prendre place. Les deux amis s'installèrent sans rechigner et Alaman tira une pièce de sa bourse pour payer sa future consommation. La propriétaire du lieu refusa fermement en repoussant l'argent, disparut derrière le rideau et revint avec un verre qu'elle déposa d'autorité face au rouquin avant de croiser les bras dans une attitude de défi. Les clients se turent et dévisagèrent Alaman, intrigués de voir s'il tenterait l'exploit. Le nordique renifla le contenu de son verre en pierre.
- Aucun doute : c'est de l'alcool fort bien fruité, déclara-t-il. Souhaite-moi bonne chance Aymeric.
Alaman avala le liquide odorant cul sec. Les buveurs qui attendaient poussèrent des cris aigus en guise de victoire, un sourire plaqué sur le visage. Le chevalier secoua la tête et posa le verre sur la table avec un raclement de gorge.
- Bon sang ! Ce n'est pas pour les fillettes !
Ils s'intégrèrent à merveille parmi les habitués de la taverne suite à la petite démonstration d'Alaman. Des hommes, la plupart fortement alcoolisés à en juger par leur démarche titubante, les entourèrent et se mirent en tête de leur apprendre une chanson dans leur langue. Aymeric et Alaman répétèrent, le premier plus laborieusement que le second, les mots aux sonorités inconnues. Le duo réussit à chanter une ou deux phrases et Alaman but deux autres verres en compagnie de ses amis d'un jour.
En songeant à l'heure qui passait, Aymeric tira le rouquin hors de la taverne. Ce dernier chantait encore en cœur avec les clients, sous le regard amusé de la tenancière, alors qu'il le traînait dehors en direction de leurs chambres provisoires. Il retrouva le chemin sans mal, instinctivement, tandis que son ami répétait inlassablement les mots enseignés par ses camarades de beuverie. Des gardes les attendaient déjà, le visage neutre, accompagnés par la servante de la reine. Elle glissa quelques mots à Alaman qui traduisit avec une grimace d'excuse :
- Nous sommes déjà en retard, il faut qu'on se dépêche : les combats vont débuter.
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Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasyDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...