Nerva retira sa botte gauche avec une grimace. Il ôta son épaisse chaussette en laine et remonta son pantalon doublé de fourrure pour dévoiler sa cheville enflée.
- Elle s'est tordue durant la chute, déclara-t-il en la palpant. Je ne pourrais pas escalader le ravin après la tempête si elle est dans un état pareil...
- Ne pense pas à ça pour l'instant. Nous sommes encore coincés ici pour un bon bout de temps. Tu as de quoi allumer un feu ?
Nerva secoua la tête et Kalam serra les dents pour les empêcher de claquer. Il mourrait de froid dans ses vêtements humides. Il tremblait déjà des pieds à la tête et ne tarderait pas à ne plus sentir l'extrémité de ses membres. Il avait entendu des histoires terribles à propos de peau qui éclatait à cause du froid ou sur des malheureux qui avaient perdu des orteils et des doigts.
- Tu as l'air gelé, s'inquiéta Nerva.
- Mes vêtements ne sont pas aussi chauds que les vôtres...Ils permettent de résister à quelques heures dehors, pas à une journée entière et encore moins à une nuit !
Nerva ouvrit son manteau et retira un bras.
- Viens avant que tu tombes malade. L'humidité est ce qu'il y a de plus vicieux.
La perspective de se blottir contre Nerva et de se gorger de sa chaleur lui fit monter le feu aux joues. Cette place au chaud lui apparaissait comme un piège tentateur. Son instinct de survie lui dictait de se réfugier là-bas mais sa tête lui soufflait que c'était une excellente amorce à une série d'événements qu'il s'efforçait de ne pas atteindre depuis son arrivée à la forteresse.
Il se résigna. Un refus catégorique risquerait d'interpeller Nerva et si son ami comprenait...Il préféra ne pas y penser et se glissa sous le manteau. Il avait toujours aussi froid mais la proximité rassurante de Nerva lui réchauffa le cœur et chassa une partie de son mal-être.
- Tu as raison, dit Nerva en fronçant les sourcils. Tes vêtements sont trempés : tu devrais les enlever.
- Pardon ?! s'écria Kalam.
- Du calme, je n'essaie pas de me moquer de toi. C'est une véritable technique de survie.
Kalam ne répondit rien. Se mettre nu devant Nerva ? Il n'oserait jamais, de peur que son corps trahisse son attirance trop prononcée pour son ami. Dans les bains de la forteresse, ce n'était pas pareil. L'eau et la vapeur devenaient des alliés qui masquaient son trouble face à Nerva. Il remonta les genoux sous le menton et changea de sujet :
- Alors, qu'est-ce qui s'est passé tout à l'heure ? Tu agissais comme un pantin, j'ai vraiment eu peur pour toi.
- Je...Je n'arrive plus à me rappeler...Mon dernier souvenir remonte au moment où nous avons décidé de rentrer...Après j'ai eu un étourdissement et je me suis réveillé avec toi dans la neige, au fond du ravin.
Cette absence inquiéta Kalam. Nerva avait frôlé la mort ! Imaginer son corps inerte et privé de vie lui arracha un violent tressaillement.
- Tu trembles ? s'inquiéta son ami. Tu vas te congeler dans tes vêtements mouillés...
- Je peux surmonter ça : j'ai connu pire dans le désert.
Kalam essayait surtout de se rassurer lui-même. Il avait déjà passé une nuit dans le désert avec un manteau sur les épaules pour le protéger des températures glaciales. Il avait marché jusqu'à l'aube pour réchauffer son corps et ne pas succomber au froid. Il avait réussi cette épreuve infligée aux futurs guerriers Hérances haut la main.
Mais ici, dans le nord du continent, loin du sable et sous les assauts de la neige, le mot froid prenait une allure bien différente. Il n'y résisterait pas avec ses vêtements actuels. Sauf qu'il ne laisserait pas Bouklipon l'escorter jusqu'au domaine des morts aujourd'hui. Il ne succomberait pas aussi bêtement, terrassé par le froid au fond d'une caverne glacée ! Il détourna son esprit de ce possible avenir funeste et demanda :
- Quand est-ce que la tempête va se finir à ton avis ?
- Pas avant demain matin, avec de la chance. Elle n'a pas encore atteint son point culminant. J'ai une gourde d'eau mais pas de nourriture. Et toi ?
- J'ai de l'eau aussi.
Un silence préoccupé tomba. Kalam grelotta en se retenant pour ne pas claquer des dents. Il hésita à se coller contre Nerva pour profiter d'un peu de chaleur humaine.
- Je suis vraiment désolé, soupira son ami.
- A propos de quoi ?
- De notre chute. Nous sommes tombés parce que j'ai eu un instant de faiblesse. Tu n'aurais pas dû essayer de me retenir.
- Tu es fou ?! Je n'allais pas te laisser sombrer au fond de ce ravin sans lever le petit doigt ! Tu es mon ami et mon compagnon d'arme, il est de mon devoir de te soutenir, quoi qu'il arrive.
- Tu as choisi le mauvais ami, dit Nerva en portant un regard absent vers la sortie. Je suis un poids pour mon entourage.
- On ne doit pas connaître le même Nerva alors, dit Kalam. Celui que je côtoie depuis quelques temps est un être plein de bonne volonté, soucieux des autres, combatif. Il est aussi bourré de gentillesse et de patience.
Nerva éclata d'un rire sans joie. Son comportement déstabilisa Kalam. Qu'est-ce qui lui prenait tout à coup ? Il ne l'avait jamais vu aussi amer, presque triste. Il hésitait à le prendre dans ses bras pour le réconforter en lu glissant des paroles rassurantes au creux de l'oreille. Il refréna sa pulsion et croisa ses bras contre son torse pour qu'ils n'aillent pas se nouer autour de celui de Nerva.
- Tu es trop indulgent avec moi, murmura son ami. La vérité, c'est que j'ai tout le temps peur. Du matin au soir j'ai cette horrible boule dans le ventre, ce mal-être qui me pèse...
- Qu'est-ce qui t'effraies à ce point ? s'enquit Kalam.
- Le monde entier, répondit Nerva. Et moi aussi. Surtout moi d'ailleurs.
Kalam écarquilla les yeux. Nerva s'effrayait lui-même ? Pour quelle raison ? Il n'avait rien d'un monstre. Au contraire, Kalam le considérait comme le plus bel être que les dieux avaient jamais créé, un bijou de perfection dans ce monde gris. Il posa une main sur l'épaule de son ami et Nerva lui décocha un regard où la douceur rivalisait avec la peine. Le jeune guerrier ignorait ce qui meurtrissait ainsi son cœur mais il aurait tout donné pour dissiper les troubles qui étouffaient Nerva.
- Est-ce que tu sais que je suis incapable de communiquer avec Umbriel à travers notre lien ? En fait nous sommes même incapables de nous localiser. Peu importe la distance, ça ne fonctionne jamais. Il est mon jumeau et pourtant nous sommes aussi proches que des étrangers.
Kalam ne put qu'acquiescer en silence. En toute franchise, il n'avait pas rencontré cet Umbriel depuis son arrivée à la forteresse. Là où les autres humains liés à un dragon passaient du temps avec leur jumeau, Nerva ne se promenait jamais en compagnie de son frère. D'après son ami, le dragon noir écrivait seul dans sa chambre, lisait dans les tréfonds de la bibliothèque ou arpentait les bois glacés. Le croiser au détour d'un couloir relevait de la chance car il fuyait la foule comme la peste. Il prenait son repas en solitaire, se lavait à l'écart des autres.
- Il n'est pas méchant mais il adore la solitude. Je crois que la foule l'angoisse, à cause de notre enfance. Après tout, nous sommes ceux à cause de qui la fin du monde va se déclencher...Ce n'est pas étonnant qu'on nous évite, qu'on nous méprise...
Les paroles de Nerva blessaient Kalam comme si c'était de lui que son ami parlait. Comment pouvait-on se dénigrer à ce point ? Une pointe de colère chassa un instant le froid qui se frayait un chemin jusqu'à ses os.
- Je ne te permets pas de dire ça. Tu ne te résumes pas qu'à un rôle dans une prophétie Nerva. Tu es un être à part entière et, à ce titre, personne n'a le droit de remettre ton existence en question. Surtout pas toi. Les autres ignorent à quel point tu es fantastique.
Nerva secoua la tête, un petit sourire aux lèvres.
- Kalam, il n'y a que toi pour dire ça. Comment est-ce que tu arrives à ignorer le point de vue des autres pour te forger ta propre opinion ? Je trouve ça vraiment prodigieux chez toi, cette capacité d'ignorer les rumeurs et de ne pas juger celui qui se tient en face de toi avant d'avoir fait sa connaissance.
- Ce n'est pas très vrai, le détrompa Kalam en détournant le visage pour que son ami ne surprenne pas ses joues rouges. Je n'ignore pas le point de vue des autres, bien au contraire. Je...J'ai peur du jugement qu'ils peuvent avoir, surtout à mon égard. Je surveille toujours mon comportement parce que je suis effrayé de ce qu'on pourrait en dire, surtout s'il s'agit de mon père...
Il s'étonna de se livrer si facilement à Nerva, de s'exprimer avec autant de justesse. Le fait de se retrouver en tête à tête avec lui, loin de la civilisation et des oreilles indiscrètes, devait peser dans la balance, ainsi que l'écoute attentive de Nerva et sa douceur. Il parvenait à le détendre et à chasser ses appréhensions mieux que quiconque.
- Il a l'air sévère avec toi, je me trompe ? le questionna son ami.
- Tu as vu juste. Il a une vision très personnelle de l'éducation. Il était plus souple avec moi dans ma jeunesse, lorsque j'étais encore malléable. Il s'est durci lorsque j'ai grandi et que j'ai commencé à penser par moi-même. Il s'est rendu compte que je ne correspondais pas à ses attentes et que je ne deviendrais jamais un guerrier inflexible. Il veut me ramener dans le désert dès la fin de notre affrontement contre Phosphoméra et Noximence mais je ne veux pas.
- Pourquoi est-ce que tu ne t'opposes pas à lui si tu n'as aucune envie de rentrer chez toi ?
- Il m'effraie. Il y a une facette de lui que j'ai vu par accident et que je n'arrive pas à oublier parce qu'elle est violente, avide, égoïste et sans limite. Ce n'est pas parce que je suis son fils unique qu'il sera plus tendre avec moi : il n'aime que lui.
Kalam tira un peu plus le pan du manteau de Nerva sur son épaule, refroidi par cette conversation. Finalement, il appréciait cette grotte glaciale. Son père ne viendrait pas le dénicher ici, il était en paix pour quelques heures. Au moins s'il mourait de froid, son géniteur deviendrait le cadet de ses soucis.
Il tira sa gourde d'eau de sous son manteau, assoiffé d'avoir trop parlé. Il but une bonne gorgée et faillit s'étouffer lorsqu'un liquide brûlant et sucré avec un arrière-goût âcre enflamma sa gorge. Il avala de travers et toussa. Nerva lui tapota le dos en lui demandant s'il allait bien.
- J'ai confondu l'eau avec l'alcool ! Il est bien plus fort que tout ce qu'on trouve dans le désert, c'est infect !
Nerva éclata de rire et extirpa sa propre gourde de sous sa chemise.
- Trinquons aux problèmes de notre existence, ainsi que pour nous réchauffer au cœur de cet hiver sans fin.
Il prit trois grosses gorgées avant d'arrêter avec une grimace.
- Bon sang, Willow a choisi de l'eau de vie ! Elle va nous décaper l'estomac !
Kalam confirma par un bref éclat de rire. Il avala une seconde gorgée d'alcool pour réchauffer son corps frigorifié.
- Tu te souviens du jour où tu m'as demandé de quoi j'avais cauchemardé pour me lever avec une tête aussi horrible ? l'interrogea Nerva.
- Je m'en souviens et je sais aussi que je ne l'ai pas formulé comme ça. Peu importe ce que tu fais, tu n'arriveras jamais à avoir une tête horrible.
Sa plaisanterie arracha un petit sourire à Nerva avant que son visage redevienne d'une neutralité sans faille. Puis le jeune homme chuchota :
- C'est toujours le même rêve, depuis que je suis tout petit. Au début il se répétait un ou deux fois tous les trois mois. A présent je cauchemarde presque chaque nuit. Je prends un médicament pour rendre mon sommeil plus lourd et le priver de songes mais ça ne fonctionne pas toujours. Alors le cauchemar se répète, toujours selon le même schéma. Je suis dans le ciel, je survole Amaris. Je pense que je suis à dos de dragon à cause de la hauteur et de la vitesse. En-dessous de moi, il n'y a que la ruine et la mort. Les champs et les forêts sont en proie aux flammes, les villes sont dévastées, les morts se comptent par milliers...Au-dessus de moi, deux ombres masquent le soleil : une blanche et une noire. Il s'agit de dragons mais leur taille est titanesque, les nôtres sont minuscules à côté. Ils se battent contre un de leur semblable d'ailleurs, bien inférieur en taille et pourtant mortel pour eux. Dans leur affrontement, ils détruisent le monde. Je me réveille toujours au moment où ils fondent sur moi, la gueule grande ouverte. Elle est assez large pour happer un bateau sans effort...Mais ce qui me frappe le plus, c'est que je n'ai pas peur de la mort. Je reste statique, impassible. Parfois il m'arrive d'être heureux qu'ils me dévorent, parce que je sais que m'éradiquer mettra un terme à la menace qui pèse sur Amaris et sauvera des vies. Mais quand je me redresse sur mon lit, seul dans le noir, je m'aperçois que je suis terrifié. Il ne s'agit que d'un cauchemar mais il m'arrive de penser qu'il y a plus que ça, qu'il s'agit d'une vision de l'avenir. Je ne veux pas qu'il se produise Kalam. Toutes ces vies balayées, ces magnifiques morceaux d'Amaris rayés de la carte, tout ce chaos...Je vais le provoquer, tôt ou tard. J'aimerais mettre un terme à tout ça mais je ne peux pas être égoïste au point d'entraîner Umbriel à ma suite...
Kalam frissonna face à ce que son ami sous-entendait. Tout en lui se révolta contre cette éventualité et il agrippa fermement le poignet de Nerva.
- Ne parle pas de suicide, ça ne réglerait rien. Il resterait encore ta jumelle et le dragon blanc face à Phosphoméra et Noximence. Amaris pourrait sombrer malgré ton sacrifice et alors ta mort serait vaine.
- Vaine ? A quoi bon vivre dans un monde où tous ceux qui me sont chers seraient morts ? Je préfère les rejoindre dans le domaine de Bouklipon plutôt que de traverser une vie où ils n'existeraient plus. Qu'est-ce que tu ferais si la personne que tu chérissais le plus s'éteignait ?
Le cœur de Kalam rata un battement. Un monde sans Nerva...Cela lui paraissait inimaginable. Qu'est-ce qui lui resterait si celui qui accaparait ses pensées et dominait son cœur rendait son dernier souffle ? Une vie chez les Hérances, dans une société où ne serait jamais heureux ? Une place dans l'armée commune d'Amaris où il passerait ses jours et ses nuits à la recherche du fantôme de Nerva ? Des souvenirs heureux que la mort teinterait d'une tristesse infinie ?
Nerva avait peut-être raison : mourir serait moins douloureux que de vivre un deuil éternel dont la visite de Boukilpon le libérerait après des années de souffrances. Le moral miné par ce sinistre futur, Kalam vida sa gourde d'alcool de moitié. Une chaleur enveloppante au creux de son ventre chassa momentanément son inconfort.
- Désolé, soupira Nerva. L'ambiance est devenue pesante à cause de moi.
- Ce n'est rien. Mieux vaut en parler que l'ignorer, pas vrai ?
Ils plongèrent chacun dans leurs réflexions. Kalam méditait sur les propos de Nerva en buvant de temps à autre à sa gourde pour repousser aussi bien le froid que le souci. Il ne remarqua pas tout de suite l'engourdissement qui se saisissait de lui, ni cette sensation de s'enfoncer dans un délicieux brouillard. Soudain, plus rien n'avait d'importance et il se demanda pourquoi il se prenait autant la tête. Il reposa sa gourde, à présent vide, pour retirer ses bottes.
- Qu'est-ce que tu fais ? s'enquit Nerva.
- J'enlève mes vêtements humides. C'est toi qui me l'as conseillé tout à l'heure.
- Tu as froid ?
- Je suis glacé jusqu'à la moelle. En plus je n'ai plus une goutte d'alcool pour me réchauffer, se plaignit Kalam.
- Tu as bu trop vite. Il reste la moitié de ma gourde si tu veux.
Le jeune guerrier fut tenté mais refusa en secouant la tête. Il ne volerait pas une source de réconfort contre la tempête de neige à son ami. Il ôta ses chaussettes en laine imbibée d'humidité et les lança dans un coin. Il remua les orteils avec effort. Il les sentait à peine, comme si ces derniers ne lui appartenaient plus. Sa réflexion lui arracha un ricanement.
- Pourquoi tu ris ? s'étonna Nerva.
- Parce que j'ai l'impression que mes orteils sont à quelqu'un d'autre.
- Kalam...Est-ce que tu es ivre ?
Le Hérance haussa les épaules. Il n'avait jamais été ivre de toute sa courte vie. Il buvait peu d'alcool dans le désert, uniquement lors des célébrations importantes pour la vie du clan. Les boissons alcoolisées du Souan n'étaient rien à côté de l'eau de vie du nord d'Amaris.
Est-ce que cette boule de chaleur au creux de son ventre, cette allégresse et sa curieuse envie de tout envoyer balader étaient des symptômes de l'ivresse ? Il avait l'impression de flotter dans une bulle hors du temps où rien de mauvais ne pouvait l'atteindre. Ses problèmes, si graves il y a quelques instants, perdaient de leur importance. Il se sentait gonflé d'assurance, bien plus fort que ses tracas.
- Je sais pas, répondit-il. Mais si c'était le cas on s'en fiche, non ?
- Pas vraiment...Je voulais que l'un de nous demeure éveillé cette nuit pendant que l'autre se reposerait, afin que nous ne mourrions pas de froid dans notre sommeil...
- Je suis capable de veiller, affirma Kalam.
- Pour l'instant seulement. L'alcool va continuer de se répandre dans ton organisme et tu finiras immanquablement par t'endormir.
Kalam scruta le visage de Nerva, en quête de la moindre trace de désapprobation. Il n'en trouva aucune, du moins en surface. Il lui avait semblé en percevoir dans son ton...Il encadra le visage de Nerva de ses mains. Le noir de sa peau formait un contraste délicieux avec le blanc de celle du jeune homme. Il sonda les incroyables yeux ambrés de son ami.
- Qu'est-ce qui se cache derrière ton masque Nerva ?
- Je n'ai pas de masque, répliqua l'intéressé en essayant de se soustraire à son contact.
- Si, je le vois. Je ne suis pas dupe, contrairement aux autres. Tu n'en as pas besoin avec moi Nerva : je peux tout accepter de toi.
Une petite voix lointaine et confuse lui murmurait de ne pas prononcer des phrases de ce genre au nez de Nerva, sans quoi son ami comprendrait vite ce qu'il éprouvait pour lui. Kalam étouffa ce chuchotement d'inquiétude. La peur n'avait plus d'emprise sur lui, il était las qu'elle le retienne.
- Parfois je me demande si tu n'es pas fou Kalam, murmura Nerva. Cette façon que tu as de me regarder...Est-ce que je l'interprète mal ?
Le jeune guerrier était à deux doigts de s'arracher les cheveux. Les intonations de Nerva pouvaient signifier tout et n'importe quoi ! L'attente comme la crainte, l'espoir comme l'étonnement. En désespoir de cause, il opta pour la méthode la plus directe.
Il écrasa ses lèvres contre celle de Nerva, un peu plus brutalement qu'il l'avait voulu. Il recula presque aussitôt, traversé par un éclair de chaleur qui n'avait rien à voir avec l'alcool. Son ami le dévisageait sans étonnement, presque avec fatalité. Est-ce que c'était aussi de l'attente qui luisait au fond de ses iris ardentes ?
- Dis-moi ce que tu penses, le supplia Kalam.
- Tu es fou, répéta Nerva.
- Oh non, je n'ai jamais aussi lucide de toute mon existence...
- L'alcool ne rend pas lucide, se moqua Nerva. Il nous pousse à des actes stupides.
- Tu trouves que c'était stupide ?
- Oui mais c'est la première fois que j'apprécie autant un acte de stupidité. Par contre...Ne va pas plus loin Kalam : tu souffrirais inutilement.
- Si c'est pour toi alors je veux bien tout endurer...
- Ne raconte pas n'importe quoi et repose-toi. Quelques heures de sommeil t'aideront à reprendre tes esprits.
Kalam s'avoua vaincu de mauvaise grâce. Il ne souhaitait pas se disputer avec Nerva ou lui déplaire avec son comportement insistant. La frustration restait préférable à la fin de son amitié avec le jeune homme. Tremblotant, il se roula en boule sur le sol de la grotte pour conserver sa chaleur.
- Tu peux poser ta tête ici si tu veux, proposa Nerva en tapotant ses genoux.
Kalam ne croyait pas en sa chance. Il ne se fit pas prier et cala sa tête contre les jambes repliées de Nerva. Allongé sur le dos, il fixa le visage parfait de son ami, gagné par un apaisement profond.
- Arrête de me dévisager et ferme les yeux, lui conseilla Nerva.
- Je n'ai pas envie.
- Et si...Et si je t'offre une récompense ?
- De quel genre ? s'enquit le guerrier du désert.
- Tu n'as pas à le savoir avant de l'avoir reçu. Ferme les yeux.
Kalam s'exécuta, curieux et impatient. Comme il patientait depuis un bon moment et que rien ne se produisait, il s'apprêtait à se plaindre mais un poids léger scella sa bouche. Les lèvres tièdes de Nerva couvraient les siennes, ce qui suffit à l'embraser. Il ne bougea pas d'un pouce, de crainte qu'un mouvement de sa part rompe cet instant fragile. Le baiser de Nerva devint plus insistant, plus sauvage.
Kalam entrouvrit les lèvres face à cette demande implicite et laissa la langue de Nerva rencontrer la sienne. Elles se confondirent dans un ballet qui donna le vertige au jeune homme. Il ne résista plus et attira Nerva contre lui pour l'emprisonner dans ses bras. Ce dernier ne se débattit pas et passa une main derrière la nuque de Kalam. Leur étreinte fut le dernier souvenir net que Kalam conserva avant que l'alcool lui retire la mémoire des heures suivantes.
VOUS LISEZ
Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasyDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...