Omphale accéléra l'allure et lui barra le chemin, les bras en croix.
- Arrête ! Je refuse que tu fonces sans un plan d'action et que tu te blesses, ou pire ! C'est aussi valable pour Aurélius. Il est un peu mon frère désormais et comme il te suit partout sans poser de questions, je dois veiller sur deux benêts !
- Tu ne m'empêcheras pas de combattre Amagmalion : j'ai une revanche à prendre sur lui...
- Notre famille entière a une revanche à prendre sur lui, corrigea Omphale. Ce qu'il nous faut, c'est une stratégie. Laisse-moi t'expliquer à quoi je pense...
Elle se pencha vers lui, conspiratrice. Une joie guerrière fleurit dans le cœur de Willow. Sa jumelle joignait ses forces aux siennes ! Ils combattraient Amagmalion côte à côte ! Elle lui glissa son plan à l'oreille et un sourire carnassier étira les lèvres du jeune homme. Omphale était décidément une fine stratège, une tête bien plus pleine que la sienne !
Tous les trois d'accord sur la marche à suivre, ils se séparèrent. Aurélius se transforma sans prendre la peine de retirer ses vêtements et Omphale grimpa sur son dos pendant que Willow courrait à toutes jambes vers le dragon rouge. Celui-ci répandait ses flammes à travers le campement, bestial. Son comportement interpella Willow : Amagmalion calculait la moindre de ses actions, pesait le pour et le contre. Il n'attaquait jamais à l'aveuglette.
Le chef des assassins manquait de son raffinement cruel habituel. Il se battait comme un enragé mais contre qui ? Willow bondit par-dessus les restes d'une tente calcinée. Ses bottes glissaient dans la boue, la chaleur qui régnait dans les alentours le mettait en nage. Il suffoquait dans sa coquille métallique et songea à la retirer.
Contre un dragon cracheur de flammes, son armure ne serait pas d'une grande utilité. Il se débarrassa du plus lourd de son équipement en cours de route et gagna en vitesse. Il s'écarta lorsqu'un jet de flamme passa à trois mètres de lui. La chaleur lui brûla la peau et lui arracha un sifflement agacé. Non loin, Amagmalion rugit de colère et Willow n'en fut que plus déconcerté. Son mentor agissait tel une bête sauvage. Furieux, sanguinaire, dangereux mais dépourvu de stratégie, de raison.
Il n'était qu'à cinq mètres du dragon sanglant lorsqu'il avisa son père et sa mère, dressés dans toute leur gloire face à Amagmalion. Ils dégageaient une combativité à toute épreuve et resplendissaient, malgré leur armure boueuse et leur visage en sueur.
Willow les rejoignit, prêt à les épauler. La réaction d'Aymeric fut celle à laquelle il s'attendait :
- Qu'est-ce que tu fais ici ? Retourne te mettre à l'abri !
- Hors de question. Je ne resterais pas les bras croisés, surtout pas contre Amagmalion.
Le regard doré du dragon, les pupilles si étrécies qu'elles disparaissaient presque, se braqua sur le jeune homme.
- Bonjour petit traître. Je me demandais quand est-ce que tu pointerais le bout de ton nez ! L'heure de régler nos comptes est venu, c'est bien ça ?
Willow se mit en garde en guise de réponse, son épée prête à ruisseler du sang du meneur des assassins. Le dragon rouge éclata d'un rire hystérique qu'il n'avait jamais entendu jaillir de sa gorge auparavant.
- Ta bravoure est pathétique Willow. Tu sais comment tout cela va finir. Tu n'as jamais gagné contre moi : je suis ton mentor, je t'ai fait. Je connais tes forces et des faiblesses sur le bout des doigts. Tu étais le meilleur d'entre tous, mon favori. J'aurais dû savoir que tu me planterais un couteau dans le dos, comme tous les maudits humains de la lignée du royaume des Dragons !
Il cracha un jet de flamme vers eux. Aymeric l'empoigna par l'épaule et le propulsa sur le côté. Willow, déstabilisé, roula dans la boue. Il se releva sur un genou, agacé. Aymeric le gênait, le prenait pour un enfant empoté incapable de se défendre.
- Va t-en ! cria le chevalier dragon.
Willow l'ignora superbement, concentré sur le combat, son combat. Il bondit vers Amagmalion, esquiva un jet de flammes, puis deux, trois. Il dansait au milieu du feu qui creusait des sillons noirâtres là où il atteignait la terre. Il porta le premier coup en abattant son épée sur la patte avant du dragon rouge.
Le sang gicla et se fut comme une première victoire pour lui. Blesser Amagmalion, il en rêvait depuis des années ! Son mentor rit comme un fou et ses crocs blancs étincelèrent, renvoyèrent l'éclat de l'incendie du campement.
- C'est à peine une égratignure Willow, ne sois pas si sûr de ta victoire. On m'a dit que tu t'étais lié au dieu endormi mais je ne le vois nulle part...
- Je n'ai pas besoin de lui pour te vaincre !
Une grimace furieuse tordit la gueule d'Amagmalion. Il murmura avec colère :
- Tu parles comme lui...Lui non plus n'avait pas besoin de moi. Je n'étais qu'une passade, une distraction, un jouet...Mais ce prince capricieux...Je lui ai appris ce qu'il en coûtait de me négliger...J'ai aimé le sentir agoniser alors que mes flammes le consumaient vivant ! Quel dommage que le reste de la famille royale n'ait pas péri ! Au moins, je ne t'aurais pas dans les pattes !
Avec une vivacité que Willow avait oublié, la patte d'Amagmalion fendit l'air et le plaqua au sol. Pressé entre le sol boueux et la patte du dragon sanglant, il suffoqua immédiatement. Sa mère hurla son prénom, morte de terreur. Un rugissement qui ne pouvait provenir que d'un dragon s'éleva dans l'air. La terre trembla d'une petite secousse, comme si on venait de lâcher un poids conséquent tout près d'ici.
- Willow, on dirait que ton demi-dieu de père décide enfin de se révéler sous sa vraie forme ! L'affrontement prend une tournure plus palpitante !
L'excitation dans la voix d'Amagmalion poussa le jeune homme à se contorsionner pour voir de quoi il parlait. Il se dévissa le cou et son corps se rigidifia face au spectacle qui s'offrait à lui. Un dragon rouge sombre et noir, avec des yeux d'un bleu perçant, se dressait de toute sa hauteur face à Amagmalion.
Pour la première fois, Willow vit son père en Aymeric. Il n'était pas cette version humaine, policée et respectueuse mais cette masse d'écailles, de puissance et de détermination qui osait s'opposer au plus grand assassin d'Amaris.
- Je vais écraser ta sale engeance d'abord, fils de Praeslia. Puis je te blesserais jusqu'à ce que tu ne puisses plus bouger, entre la vie et la mort. Je dévorerais ta femme sous tes yeux puis je ramènerais ta fille pour la trancher en deux sans que tu puisses lever une griffe !
Maintenant ! hurla mentalement Willow.
Une masse dorée fondit vers le dragon rouge depuis le ciel, telle une comète rayonnante. Elle se redressa à un mètre au-dessus du dragon sanglant, larguant la petite forme humaine qu'elle tenait entre ses pattes. Omphale atterrit au sommet du crâne d'Amagmalion avec habileté et souplesse, désormais plus guerrière que savante.
- Pour ma famille ! hurla-t-elle en brandissant son épée.
Elle l'abattit dans l'œil d'Amagmalion avec un hurlement digne d'une Valserye. Willow se dégagea de sous la patte du dragon rouge dès que la pression sur son corps se relâcha.
- Saute ! ordonna-t-il à Omphale.
Sa jumelle obéit sans poser de questions, sans savoir s'il parviendrait à la rattraper. Juste à temps car le dragon sanglant rejeta la tête en arrière en hurlant de douleur. Elle atterrit dans les bras de Willow sans heurt et ls se réfugièrent aux côtés de leurs parents. Amagmalion maudissait l'espèce humaine entière dans sa rage et sa souffrance, en particulier leur famille.
Un feu blanc illumina sa gorge, encore plus intense que les précédents. Aymeric cracha aussi, d'étranges flammes claires et parcourues d'étincelles. Les deux flux se rencontrèrent et s'écrasèrent l'un contre l'autre. Une vague de chaleur provoqua un brouillard épais et assécha la terre. Willow eut un échange tacite avec sa mère.
Dissimulés par le brouillard, ils se glissèrent chacun sur un flanc du dragon rouge. Willow planta son épée aussi profondément que possible et remonta la lame le long de la chair. Le métal bloqua contre les écailles mais le jeune homme n'abandonna pas. Le cri de douleur d'Amagmalion le fit jubiler. Il retira sa lame et la planta ailleurs. Il recommença, encore et encore. A chaque fois qu'il perçait la cuirasse du dragon sanglant, il se vengeait pour les punitions, les privations et les épreuves du passé.
Amagmalion tourna sur lui-même et sa queue balaya l'espace pour le débarrasser des indésirables. Il faucha Willow, surpris dans sa vengeance pour ce mouvement inattendu. Le jeune homme s'écrasa au sol et sa tête cogna sourdement contre le sol. Le choc le sonna, des points noirs dansèrent dans son champ de vision.
Aymeric ne crachait plus de foudre, arrivé à sa limite comme il ne s'exerçait pas à cette pratique régulièrement. La rage du dragon sanglant se déporta exclusivement sur Willow. Il grognait, les crocs découverts et la folie dansait dans son œil valide. Des reproches défilaient dans cette pupille furieuse alors que la gorge d'Amagmalion se gonflait de feu. Willow sut qu'il n'arriverait pas à esquiver, la tête encore bourdonnante. Cette fois, Amagmalion le tuerait.
Il chercha sa famille des yeux, pour emporter leur image avant que Praeslia l'escorte vers le domaine des morts tombés au combat. Un grand corps doré l'empêcha d'admirer les siens car le dieu endormi atterrit en hâte pour se précipiter à ses côtés.
La rage d'Aurélius vibrait à travers le couloir qui les liaient avec une intensité qui choqua presque Willow. Une onde de choc quitta le corps du dieu aux écailles étincelantes et percuta Amagmalion. Le dragon décolla du sol et voltigea sur plusieurs mètres sans parvenir à se stabiliser dans sa chute.
Le dragon sanglant s'écrasa sur le dos en labourant le sol de sa masse immense. Aurélius haletait et titubait après son attaque. Ses belles écailles avaient perdu de leur éclat et Willow ressentit sa faiblesse. Le jeune homme se redressa en dépit de son mal de crâne et posa une main sur l'aile de son frère d'âme.
- Tu vas bien ?
Mieux que si tu étais mort.
- On dirait que tes pouvoirs consument ton énergie...Pardon, j'ai été négligeant et je mets ta santé en danger.
Nous avons tous nos défauts. Il existe heureusement des amis et la famille pour les pallier.
- C'était quoi cette attaque que tu as envoyée à Amagmalion ?
Je n'en ai pas la moindre idée : c'était instinctif. C'est ce que je devais faire pour te sauver alors j'ai laissé mon instinct me dicter la marche à suivre...J'ai bien fait, même si je suis exténué.
Un peu rassuré sur l'état de son jumeau, Willow jeta un œil vers Amagmalion. Le dragon sanglant, le chef des assassins, agonisait. Il l'entendait à son souffle rauque, aux spasmes qui agitaient son corps blessé. Aymeric posa une patte au niveau de son cœur et plongea ses griffes dans la chair. Des ruisseaux de sang coulèrent, Amagmalion hoqueta.
- Tu as perdu, dragon sanglant. Profite de la mort que tu aurais dû connaître il y a des années.
Son père plongea ses crocs dans le cou d'Amagmalion. Les cris du dragon rouge se perdirent dans les gargouillis du sang puis s'éteignirent lorsque les os craquèrent. Les mâchoires puissantes de son père arrachèrent la chair, broyèrent les ossements. Il arracha la tête d'Amagmalion et la projeta plus loin, haletant. Il cracha du sang par terre et grogna :
- Voilà une bonne chose de faite. Je vais apporter ça aux assassins. Cela mettra les moins téméraires en déroute. Lysange, renseigne-toi pour les armes divines. Omphale, Willow et Aurélius : plus de risques inconsidérés. Vous nous avez déjà bien aidé.
Il saisit la tête décapitée d'Amagmalion par les cornes et s'envola. Willow n'eut pas le temps de le retenir pour lui crier qu'il était un père fantastique.
VOUS LISEZ
Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasyDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...