Kalam se réveilla à cause de la lumière et entrouvrit les paupières en grognant. Le blanc de la neige, à l'entrée de la grotte, l'aveuglait. Il remua et un mal de crâne retentissant se déclencha entre ses tempes. Il les massa avec une grimace crispée. Il n'était pas sujet aux migraines et c'était bien la première fois que des maux de tête de cette intensité lui martelaient la caboche. Il essaya de déglutir mais il ne restait pas une seule goutte de salive dans sa bouche sèche et pâteuse. Une vraie rivière asséchée !
Il se tourna avec effort en soupirant et tomba nez à nez avec le visage endormi de Nerva. Après un sursaut, il se rappela que son ami était coincé dans la grotte avec lui, à cause de la tempête. Le pire était derrière eux puisque le vent ne mugissait plus et que la neige tombée la veille tapissait le sol d'un épais manteau immaculé.
Un détail attira son attention tandis qu'il détaillait avec délice le visage de son compagnon d'armes : Nerva ne portait rien sur le dos. Il dormait nu sous son manteau doublé de fourrure, pressé contre Kalam qui était lui aussi dans le plus simple appareil. Le guerrier piqua un fard et un doute affreux l'assaillit : que s'était-il passé hier ? Ses baisers avec Nerva remontèrent à la surface. Et après ? Il ne se souvenait de rien ! Sa nudité et celle de son ami suggéraient pourtant bien des choses...
Paniqué, il s'extirpa de sous le manteau. Le froid le cueillit et chassa la tiédeur qui l'auréolait. Il enfila ses vêtements à la hâte en grelottant, les muscles perclus de courbatures. La honte qui échauffait le haut de son corps et son visage l'aida à ne pas mourir de froid. Il n'avait tout de même pas fait ce qu'il croyait qu'il avait fait ? Tout indiquait que si.
Il se maudit mille fois. Nerva avait répondu à son baiser la veille, mais est-ce que ça signifiait qu'il désirait aller plus loin ? Kalam se traita de tous les noms. Il n'avait pas voulu déraper à ce point ! Faire ça dans une grotte humide et sous l'emprise de l'alcool...Il se dégoûtait. Est-ce que Nerva avait apprécié au moins ? Kalam grimaça en se passant les mains dans les cheveux, les lèvres pincées. Il doutait que faire l'amour avec un homme imbibé d'alcool soit une expérience plaisante...
Il laissa son ami dormir pour retarder le moment fatidique des explications et se risqua dehors. Ses bottes encore humides s'enfoncèrent dans la neige fraîche. Il se mit en quête d'une paroi rocheuse à escalader pour s'extirper de ce maudit ravin et se changer les idées. Plus il y pensait et plus il était persuadé que cette nuit avait été un cauchemar pour Nerva.
Certes, le jeune homme avait répondu à son baiser. Et alors ? Il l'avait peut-être fait par curiosité, pour voir si ça lui plaisait. Après tout, selon Willow et Omphale, Nerva avait déjà fricoté avec pas mal de jeunes femmes. Rien n'indiquait qu'il préférait les hommes. En plus, il avait bu lui aussi. Pas autant que Kalam mais c'était suffisant pour lui retourner l'esprit.
Le guerrier du désert atteignit un morceau de la paroi où dépassait des prises accessibles en grand nombre. Il se mit pieds nus et coinça ses bottes dans sa ceinture en tâchant d'ignorer le froid glacial sous ses voûtes plantaires. Chez les Hérances, on entraînait les futurs guerriers à l'escalade malgré le terrain plat du désert. L'exercice développait les muscles mais aussi l'endurance et les réflexes.
On commençait dans leur enfance par les faire grimper à des palmiers. Puis, vers l'âge de douze ans, ils descendaient attachés à des cordes le long des falaises qui bordaient les anciennes terres brûlées. Ils s'entraînaient jusqu'à ce qu'ils soient capables de se passer de la corde pour les retenir en cas de chute. Kalam était doué dans cette pratique. Il dénichait les bonnes prises et grimpait avec agilité et certains de ses camarades l'avaient surnommé l'araignée. Ils ignoraient qu'il s'appliquait pour ne pas chuter dans le vide car il redoutait la hauteur.
Il atteignit le haut du ravin avec son aisance habituelle. L'humidité rendait les prises plus glissantes mais ce n'était qu'un détail. Il remit ses chaussures avant de perdre un orteil et s'enfonça dans la forêt à la recherche de la forteresse.
Il s'en voulait d'abandonner Nerva derrière lui mais c'était le mieux à faire : son ami ne pouvait aller nulle part avec sa cheville foulée. Il essaya de se convaincre qu'il agissait au mieux sans que son puissant sentiment de culpabilité s'éteigne.
Il déambula dans ce désert blanc parsemé de tronc noirs aux branches griffues durant une éternité. Un hennissement le tira de sa marche morose et un bruit de galop lui parvint. Il plaça ses mains en porte-voix et cria :
- Par ici ! Ohé !
Les cavaliers entendirent son appel et des chevaux le cernèrent bientôt. Il reconnut avec soulagement Omphale et Willow. Dans un sursaut de honte, il avisa aussi Zacharie et son géniteur. D'autres personnes les accompagnaient mais il ignorait leur nom. Ils formaient un groupe de dix, sans doute à la recherche de Nerva et de la sienne.
- Kalam ! s'exclama son père. Est-ce que tu sais le souci que tu as provoqué en disparaissant ? Je suis...
- Où est Nerva ? l'interrompit Zacharie.
- Il est au fond du ravin. Nous sommes tombés hier, à cause de la tempête. Nous avons trouvé refuge dans une grotte. Il se repose encore à cause de sa cheville. Il se l'est foulé dans notre chute mais sinon il va bien. Venez !
Il partit à toute allure vers le bord du ravin. Il omettait dans son court récit les événements de la veille, ainsi que l'absence de Nerva qui l'avait poussé au bord du précipice. Willow lui proposa de monter en selle derrière lui mais il refusa. Il mit toute son énergie dans sa course et éteignit le bord du ravin en un temps record.
- Vous avez des cordes ? s'enquit-il.
Omphale en déroula une, accrochée à la selle de son cheval. Kalam aida la jeune femme à la nouer autour d'un tronc solide et la jeta dans le vide. Il l'empoigna et descendit en rappel avant que quiconque puisse protester. Il regagna la grotte au pas de course, paniqué à l'idée que quelqu'un arrive à sa suite et découvre Nerva nu. Sauf que son ami ne dormait plus. Habillé, son manteau sur les épaules, il attendait au centre de leur refuge d'une nuit, sa jambe douloureuse étendue devant lui.
- Nerva, des secours sont là pour nous ! Viens vite !
- Tu étais parti, lança l'intéressé.
Son ton accusateur cloua Kalam sur place. Les iris dorées de Nerva se braquèrent dans celles de Kalam et ce dernier détourna les yeux, incapable de soutenir ce regard où brillait une colère mêlée de tristesse. Ce qu'il redoutait le plus arrivait : Nerva lui en voulait. Il se sentit minable, au fond du trou. Il avait tout gâché. Il rassembla son courage pour répéter :
- Les secours sont là Nerva. Viens, je vais te soutenir jusqu'au bord du ravin.
Son ami ne refusa pas son aide et Kalam l'accompagna jusqu'à la corde dans un silence de plomb. Il l'attacha solidement et cria aux autres qu'ils pouvaient le remonter. Ils hissèrent Nerva, qui ne lui redressa pas une seule œillade durant son ascension. Un grand malaise pesait sur le cœur de Kalam. Il avait tout fait de travers ! Comment se faire pardonner après un écart pareil ?
Il revint sur terre lorsque la corde lui atterrit sur la tête.
- Pardon ! cria Willow. Je te jure que je visais à côté !
Kalam haussa les épaules. Il méritait qu'on lui jette des pierres plutôt que des cordes. Il hésitait même à rester au fond du ravin et à s'allonger dans la neige jusqu'à ce que mort s'en suive. Il remonta à contre-cœur avant qu'on le presse. Willow l'aida à se remettre sur pieds et lui tendit les rênes d'un cheval à la robe aussi blanche que la neige. Kalam n'en pouvait plus de cette couleur ! Nerva chevauchait derrière son père, qui lui demandait :
- Ta cheville ne te lance pas trop ? Tu as mauvaise mine.
- La nuit a été courte. Je veux juste rentrer.
Sa réponse statufia Kalam. Un regard venimeux de Reydan suffit pour qu'il se mette en selle et fasse comme si de rien n'était alors que sa tête menaçait d'exploser à cause des questions qui tempêtaient à l'intérieur. Il s'exhorta à la patience et se promit d'en discuter avec Nerva dès que possible. Il devait crever l'abcès et tirer cette affaire au clair. Il lorgna vers son ami durant tout le trajet du retour mais celui-ci ne tourna pas une seule fois la tête dans sa direction.
Nerva disparut à l'intérieur de la forteresse en compagnie de son père, pour soigner sa cheville. Kalam se brida pour ne pas courir derrière eux, conscient que Reydan l'examinait toujours. Est-ce que son géniteur percevait que quelque chose clochait ? Il pria les dieux que non. Un soupir lui souleva la poitrine mais il lui interdit de sortir. Son séjour à la forteresse d'Amaris prenait une tournure à laquelle il ne s'était pas préparé...

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Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasíaDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...