Omphale vérifia une dernière fois son visage dans le miroir face à elle. Sa robe verte au corsage décoré d'émeraudes lui tombait jusqu'aux chevilles. Les longues manches et le col, brodé de fil d'or, éclaircissaient un peu le vêtement, sans parler de la longue cape fluide et or qui flottait dans son dos à chacun de ses pas. Ses longs cheveux, relevés en chignon travaillé pour dégager son visage savamment maquillé par les soins de sa suivante, s'ornaient d'une épingle à cheveux en forme de dragon en or.
Elle toucha le pendentif en métal qui pendait à son cou, un présent de son grand-père pour ce jour spécial. Elle serra la médaille en forme de dragon entre ses doigts. Au dos figurait les initiales OD, pour Omphale du Dragon. Elle jeta un œil à son jumeau depuis la glace. Installé sous la fenêtre dans une tenue plus modeste que la sienne, il scrutait le ciel avec l'urne d'Aurélius entre les mains.
Il aimait qu'on l'installe face au monde extérieur, même si son visage n'exprimait rien. Omphale le devinait à son regard qui devenait plus rêveur, presque vivant à nouveau. Ils ne parvenaient plus à lui arracher un mot depuis son réveil et la cérémonie d'hommage aux victimes de la guerre d'Amaris.
Il réagissait si on s'approchait trop de l'urne d'Aurélius en montrant les dents à la manière d'une bête sauvage. Et, si on tentait de lui subtiliser, il entrait dans une colère noire et sa gangue de mollesse se fissurait pour libérer un être enragée qui griffait et mordait. Il n'y a que pour Omphale qu'il acceptait de faire une exception.
- Vous êtes radieuse mademoiselle, lui dit sa suivante en s'inclinant.
- Merci Aubérie.
La jeune femme lui sourit sans arriver à se départir de son éternel brin de malice. Il s'agissait de l'une des treize espoirs encore en vie. Elle officiait au château depuis son plus jeune âge et bénéficiait de la protection d'Ezimaël. Médéril l'avait nommé suivante d'Omphale car elles se connaissaient déjà plus ou moins. On frappa à la porte de ses appartements, situés à côté de ceux du roi.
- La cérémonie va débuter mademoiselle : nous n'attendons plus que vous.
Omphale fit taire ses appréhensions et carra les épaules pour se donner une posture plus droite, plus noble. Aubérie se plaça derrière la chaise roulante de Willow, un étrange engin conçut par Alya pour le déplacer plus aisément dans le château. Il n'y a que les escaliers qui posaient problème mais les soldats postés un peu partout leur prêtaient volontiers main forte.
Omphale atteignit la salle de trône avec une légère boule au ventre mais le regard droit et le menton haut.
Avant qu'elle puisse poser un pied sur l'épais tapis vert qui la guiderait jusqu'au trône sous les regards de la noblesse, une main tiède se saisit de son poignet. Elle baissa les yeux vers Willow, surprise. La commissure des lèvres du jeune homme se relevèrent dans un léger sourire d'encouragement avant qu'il retombe dans le fond de son fauteuil, stoïque. Cette marque d'affection conféra à Omphale l'énergie nécessaire pour effectuer son entrée.
Sa robe bruissait à chacun de ses pas gracieux. Elle progressa doucement avec un rythme étudié. Son grand-père l'attendait au bout de la salle, au pied du trône. Il portait une couronne délicate entre les mains, sa couronne. Un mélange de fierté et d'appréhension manqua de lui faire perdre le rythme mais elle tâcha de se concentrer.
Les nobles guettaient de chaque côté, à l'affût de ses faiblesses. Ils la craignaient et la maudissaient déjà, cette jeune héritière venue de nulle part qui ravissait le trône. Elle allait devoir les appâter, les calmer assez pour que l'idée d'une révolte ne leur traverse jamais l'esprit. Elle leur décocha un sourire un peu figé mais très poli et certains se déridèrent.
Son père et sa mère attendaient à gauche des trônes, Héléna et Liwen à droite. Ezimaël manquait à l'appel, toujours alité et perturbé par de petites crises qui survenaient de jour comme de nuit pour lui rendre la vie impossible. Ses parents, magnifiques dans leur armure de parade enfilée pour l'occasion, avaient les yeux brillants. Médéril l'invita à s'agenouiller devant lui et elle s'exécuta, selon les rites du couronnement du royaume des Dragons. Il déclara d'une voix forte, celle d'un orateur habitué à s'exprimer face aux foules :
- Aujourd'hui est un jour de changement : un règne s'achève et un autre commence. La couronne passe de ma tête à celui de ma digne héritière. Un cœur juste, un courage sans faille, une tête pleine, une main ferme mais des oreilles attentives : voilà ce qu'on attend d'un souverain. Celle qui se présente à moi possède-t-elle ces qualités ?
Omphale répondit, conformément aux phrases rituelles qu'elle avait mémorisé la veille, assise en tailleur sur son lit :
- Celle qui se présente à vous possède tout cela et l'offre volontiers au peuple car c'est pour lui qu'elle œuvrera, dans le respect de la justice et des lois.
- Alors cette couronne est à présent la vôtre.
Omphale frémit lorsque Médéril ceignit son front du fin diadème d'or et d'émeraude, aux couleurs du royaume des Dragons. Il tendit une main pour la relever et elle se dressa face à la salle bondée. Médéril posa ensuite un genou à terre et déclara :
- Longue vie à Omphale du Dragon, longue vie à la reine !
La foule l'imita aussitôt, la tête baissée en signe de respect.
- Longue vie à Omphale du Dragon, clamèrent-ils d'une seule voix. Longue vie à la reine !
Omphale ignorait si elle jubilait ou si son angoisse franchissait un nouveau palier. Elle avait chaud et froid mais ne laissa pas transparaître son malaise. Elle acheva la cérémonie d'intronisation en montant sur le trône. Ainsi assise, elle dominait la salle. Chaque noble se détacha de la foule pour lui baiser le dos de la main, allant du petit châtelain perdu aux comtes orgueilleux. La famille royale compléta le rituel et sa mère lui murmura au passage :
- Tu es fantastique Omphale. Tu feras une grande reine.
Médéril acheva la cérémonie avec son propre baisemain puis la foule se dirigea vers la salle de bal pour des festivités plus réjouissantes et alléchantes. Ce soir les tables crouleraient sous la nourriture et l'alcool coulerait à flot, dans le château comme dans les rues. Omphale déambula parmi les invités, une coupe de vin à la main. La plupart de ses sujets et courtisans la félicitait, sans doute avec une arrière-pensée, et les autres courbaient l'échine pour ne pas s'écorcher la langue avec un faux compliment.
Elle quitta la salle où l'on s'enivrait avec des rires un peu forcés pour le traditionnel bain de foule du souverain. Escortée par des gardes, elle se rendit seule dans les rues du royaume. Les vivats la rendirent presque sourde dès qu'elle posa un pied dehors. Les habitants attendaient depuis des années que Médéril annonce officiellement le nom de son successeur. En toute logique il devait s'agir d'Ezimaël mais, en dépit de son affection pour le prince, le peuple pensait qu'il n'était pas de taille à assumer le poids de la couronne.
Alors quand on leur avait présenté Omphale, elle était devenue leur espoir. Jeune, intelligente, dotée de beauté comme de grâce et survivante de la bataille d'Amaris, les rumeurs à son sujet allaient bon train. On s'interrogeait aussi sur le père de la nouvelle reine, le fameux Aymeric Clarence aux traits similaires à ceux du roi Médéril. On le soupçonnait d'être le fils de leur ancien souverain et celui de cette femme aux yeux froids qui l'avait épousé dans des circonstances mystérieuses.
Aujourd'hui, ils se réjouissaient de ce fils caché et de sa descendance digne de tous les éloges. Pas un homme ou une femme sur Amaris n'ignorait le sacrifice de Willow ainsi que son visage car des artistes s'étaient chargés de composer des chansons à sa gloire ou de le dessiner pour diffuser ses exploits à travers les royaumes.
Le peuple toucha Omphale, cria son prénom, lui souhaita une vie prospère. Elle serra des mains, sourit à des inconnus, distribua des "merci" à la ronde. Elle n'était plus Omphale, elle était déjà la reine du royaume des Dragons.

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Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasyDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...