- Tu es revenu, constata-t-elle avec soulagement.
Elle s'installa en tailleur sur le matelas et tapota l'espace face à elle. Il escalada le lit et s'assit avec des gestes exagérément lents, ceux d'une bête méfiante.
- Je ne te veux aucun mal.
Il demeura désespérément muet. La lumière de la lune qui filtrait par la fenêtre ouverte éclairait sa chevelure immaculée. Ses yeux glacés se posèrent sur Omphale, lui donnant la chair de poule. C'est comme si elle se regardait dans un miroir. Leurs traits étaient identiques, de la forme de leurs yeux à celle de leur menton. Il s'agissait de son double masculin. Ou plus précisément de son jumeau.
Willow. Ses parents parlaient peu de lui, pour ne pas dire jamais. Il n'en restait que des souvenirs vagues, des allusions. Plus personne ne le cherchait, on le considérait comme l'enfant perdu. Sauf qu'il se tenait là, face à elle. Son double, son second elle. Elle hésitait entre la joie et la méfiance. Où avait-il disparu tout ce temps ? Pourquoi est-ce qu'il ne refaisait surface que maintenant ?
Elle fouilla ce regard jumeau du sien qui exprimait de la crainte. Elle tendit la main le visage de Willow et il l'esquiva en grimaçant, tendu.
- Ne t'inquiète pas. Tu dois me faire confiance, d'accord ? Je ne vais pas te faire de mal.
Elle posa le bout des doigts sur sa joue et sursauta presque. Sa peau, douce et tangible, dégageait une tiédeur bien réelle. Il ne s'agissait pas d'une illusion : il vivait, il était là.
- Tu sais qui je suis ? demanda-t-elle.
Il fit non de la tête.
- Je suis Omphale. Nous sommes jumeaux. Tu peux le voir, n'est-ce pas ? Nous sommes le reflet l'un de l'autre : tu es mon frère.
Il fronça les sourcils et prononça d'une voix étrangement éraillée :
- Je n'ai pas de famille.
- C'est un mensonge ! Tu m'as moi mais aussi notre père et notre mère ! Nous avons des grands-parents, ainsi que de nombreux oncles et tantes !
- Non, répéta-t-il d'un ton convaincu. Je n'ai personne.
- Alors quoi ? Tu imagines que notre ressemblance est une coïncidence ? Un hasard bienheureux ? On t'a arraché à nous alors que tu n'étais qu'un nourrisson, on t'a volé !
- Qui ?
- Amagmalion.
Omphale avait entendu ce nom de la bouche de son père, alors qu'il discutait avec sa mère et qu'elle espionnait depuis le haut des escaliers. Elle s'était informée sur la ligue des assassins et cette dernière n'avait plus de secrets pour elle. Willow recula et secoua vivement la tête.
- Non. Non ! Pas Amagmalion. C'est impossible.
- Tu le connais ?
Il hocha la tête, perturbé.
- Il est malveillant Willow. Il t'a privé de nous. Rentre avec moi !
- Je ne peux pas...
- Pourquoi ? l'interrogea-t-elle avec toute la douceur qu'elle possédait.
- Je lui appartiens...Si je fuis il me retrouvera. J'ai déjà essayé. C'est impossible que je lui échappe.
- Je peux te protéger. Nous pouvons tous te protéger ! Nous sommes plus forts que lui, surtout notre père.
Willow nia follement en secouant la tête à toute allure. Omphale lisait le doute et surtout l'affolement sur son visage blême. Elle en serra les poings. Une rage froide montait en elle, contre Amagmalion. Il emprisonnait l'esprit de son frère avec des chaînes invisibles, il le privait de son libre arbitre en instaurant un règne de terreur dans le cœur de son jumeau.
- Qu'est-ce que tu veux ? lui demanda-t-elle. Rester ici avec Amagmalion ? Ou me suivre ?
- Je...Je ne sais pas, bafouilla-t-il. J'ai...Je n'ai pas le droit de m'en aller. C'est interdit. S'il apprend que je ne suis pas dans ma chambre ce soir, je serais puni. Et je ne veux pas...
Il tremblait à présent. Omphale combla la distance et le serra dans ses bras. Il se rigidifia, telle une statue de pierre.
- Nos parents t'attendent depuis des années. Moi aussi. Le destin nous a réuni aujourd'hui, est-ce que tu veux saisir cette chance ou la laisser filer ? Ne répond pas. Sache que si tu veux rester à Ondre, je ne pourrais rien faire pour te retenir. En revanche, si tu cherches à échapper à cette vie-là, tu trouveras toujours refuge au château des dragons. Là-bas il y aura des êtres qui t'aimeront vraiment et qui ne te forceront jamais à rien.
Il déposa finalement la tête sur son épaule, vaincu par l'affection de sa jumelle. Les larmes montèrent aux yeux d'Omphale. Elle tenait son frère dans ses bras ! C'était la première fois depuis presque dix ans ! Ils se retrouvaient ! Elle posa son front contre celui de son jumeau. Elle ressentait ce lien profond qui les unissait, détérioré par le temps. Il n'attendait qu'à être réparé.
- Ne me laisse pas, supplia-t-elle.
Il se dégagea doucement et la dévisagea sans un mot. Il se leva et retourna vers la fenêtre, le regard bas. Il rabattit sa capuche sur ses cheveux blancs, dissimula son regard hivernal. Omphale n'essaya pas de le retenir car elle pressentait qu'il filerait malgré son intervention. Il disparut comme un courant d'air, les rideaux ondulèrent à peine lors de son départ.
Elle inspira pour ravaler sa tristesse. Elle aurait aimé se précipiter dans la chambre de ses parents pour leur raconter. Au lieu de ça, elle se recoucha sagement. Révéler la présence de Willow à sa famille se terminerait mal. Son père et sa mère se précipiteraient dans les rues de la capitale pour fouiller chaque maison de la cave au grenier et Amagmalion profiterait de l'occasion pour emporter Willow, une fois de plus.
Le chef des assassins le séquestrerait et le surveillerait étroitement, son jumeau n'aurait plus la moindre chance de sortir avant des mois, des années ! Elle s'exhorta à la patience. Son frère ferait le bon choix, elle en était intimement convaincue.
Comme les sentiments qui l'agitaient l'empêcher de dormir, elle renonça à son lit pour se glisser dans la bibliothèque royale, plus discrète qu'une ombre. Elle n'avait pas vraiment le droit d'arpenter les rayonnages chargés d'ouvrages anciens en pleine nuit mais elle ne respectait jamais les interdits.
Elle saisit un recueil de contes puisqu'elle ne désirait pas se plonger dans la lecture d'un livre compliqué après une journée aussi émotionnellement déstabilisante. Il lui fallait un écrit simple, pour qu'elle se vide la tête. Elle s'installa sous une fenêtre pour profiter de la lueur de la lune et alluma aussi une bougie à moitié fondue dans une lanterne à l'aide d'un briquet à amadou qu'elle avait eu la bonne idée d'emporter.
Omphale lut jusqu'aux premiers rayons du jour. Elle reposa le livre dès que les couloirs commencèrent à vibrer sous les pas des serviteurs et regagna sa chambre en étouffant un bâillement. Son corps réclamait du sommeil : après tout elle demeurait une enfant en pleine croissance qui avait besoin de longues heures de repos avant d'attaquer une nouvelle journée. Il cessera de gémir après un petit-déjeuner bourré de sucres, se dit-elle. Elle se reposerait dans la soirée, lors du vol retour à dos de dragon.
Elle se vêtit et coiffa sa chevelure blanche dont elle prenait un soin extrême. Son exotisme attirait déjà les regards de certains adolescents, ce dont elle se passerait bien. Elle ne se faisait pas belle pour eux mais pour sa propre personne. Elle terminait de relever sa tresse en chignon quand une servante entra pour déposer un plateau de nourriture. Elle s'esquiva avant qu'Omphale ait le temps de la remercier.
La petite fille grignota sans appétit, en solitaire. Elle ne se joignait jamais à ses parents lorsqu'ils résidaient au château, pour leur laisser une matinée en tête à tête. D'ailleurs elle ne se sentait pas prête à leur faire face, surtout après sa rencontre avec Willow. Sa tête savait que son attitude était la plus judicieuse mais pas son cœur : elle avait l'impression de les trahir.
Elle décida de tromper l'ennui et la culpabilité en se promenant dans les jardins du palais. Avec un peu de chance, une marche au milieu des arbustes artistiquement taillés arriverait à la détendre.
Elle avançait le long d'une allée en terre battue encadrée de massifs de fleurs odorants quand elle aperçut Nerva au bord d'un étang. Le petit garçon était seul, ce qui ne changeait pas de l'ordinaire.
Omphale s'assit à côté de lui en silence. Il nourrissait des carpes avec un bout de brioche. Les poissons agités gobaient frénétiquement chaque miette qui passait à leur portée. Nerva posa sur elle ses yeux mordorés en amande, encadrés de longs cils noirs. Son visage possédait un charme étrange, presque féminin.
Cela venait de ses traits d'une finesse incroyable et de la symétrie parfaite qui se dégageait de l'ensemble. Il laissait aussi pousser ses cheveux qui lui arrivait au milieu du dos et attachait les mèches qui risquaient de tomber dans ses yeux en un petit catogan. Un sourire doux mais teinté de tristesse étira ses lèvres.
- Salut Omphale. Tu veux nourrir les poissons avec moi ?
Elle acquiesça et attrapa le bout de brioche qu'il lui tendait. Elle s'en voulait souvent de ne pas jouer plus avec Nerva. Il n'avait pas d'amis, tout le monde le fuyait. Les autres enfants l'accusaient de provoquer la fin du monde et les adultes mettaient souvent les bêtises de leur progéniture sur le dos du petit garçon.
Il endurait sans broncher, toujours avec ce sourire faussement joyeux. Omphale avait déjà surpris des garçons de son âge le chahuter violemment dans un recoin isolé du château. Elle leur avait passé l'envie de recommencer à grands coups de poing car Nerva ne se défendait jamais, trop effrayé de répondre à la violence par la violence.
- Si je les frappe alors ils auront raison : je suis un être mauvais, disait-il lorsqu'elle l'encourageait à ne pas se laisser faire.
Il ne pouvait même pas compter sur Umbriel, son jumeau. Ce dernier passait son temps loin de tout le monde, le regard mélancolique et un soupir toujours prêt à franchir ses lèvres. Le dragon noir se réfugiait souvent dans la forêt, où il avait bâti une petite forteresse de branchages. Sinon il errait dans la bibliothèque et lisait tous les recueils de poèmes qui lui tombait sous la main. Omphale peinait à cerner ce drôle de personnage.
Elle lança un gros bout de brioche aux carpes, qui se battirent presque pour le happer avec leur grosse bouche noire comme un gouffre. Nerva ne parla pas, il se contenta de sourire et d'admirer les poissons. Ce petit bout de sérénité permit à Omphale de mettre ses préoccupations à la porte.
Ils terminaient le nourrissage de ces grosses bêtes avides quand on toussota derrière eux. Ils se tournèrent vers Vivien qui se balançait d'avant en arrière, encadré par un vieil homme aux traits durs avec une épée et un autre qui portait une pile de livres, sans doute ses précepteurs.
- Bonjour. Vous nourrissiez les poissons ?
Un sourire franc étira les lèvres d'Omphale. Ainsi, Vivien ne les avait pas oubliés !
- Oui, les carpes mangent énormément. Vous êtes sûrs que vous les nourrissez ?
Son trait d'humour arracha un rire léger à l'héritier d'Alembras.
- Je crois qu'elles raffolent de la brioche, expliqua-t-il. Je les comprends : je pourrais en manger des tranches par dizaines, couvertes de beurre et de confiture !
- Mon prince, nous prenons du retard sur notre programme, lui rappela l'homme à l'épée avec agacement.
- Votre maintien et votre manière de vous adresser à vos futurs sujets n'est pas correcte, ajouta celui aux livres. Nous devrons revoir tout ça et je signalerais cet écart à la reine.
Le petit garçon pinça les lèvres comme un enfant prit en faute. Il s'étira bien droit, releva le menton et les gratifia d'un signe de la tête.
- Mes obligations m'appellent. J'espère vous revoir bientôt, prenez soin de vous.
Omphale répondit par une révérence pleine de grâce. Sa mère lui avait enseigné l'étiquette pour des cas comme celui-ci.
- Je vous salue mon prince. Portez-vous bien jusqu'à notre prochaine rencontre.
Nerva l'imita maladroitement et Vivien s'éloigna avec un regard plein de regrets rivés sur ses deux anciens amis. Omphale compatissait à son malheur. Par chance, elle ne connaîtrait jamais les contraintes de la cour. Bien que petite-fille du roi Médéril, le peuple ignorait l'existence de son père qui était, selon la logique de l'hérédité, le véritable héritier du trône.
Elle remerciait les dieux que la famille royale du royaume des Dragons garde le secret sur cette branche de leur arbre généalogique. Elle dépérirait si on lui imposait des leçons et des professeurs. Elle aimait apprendre seule ou auprès de ceux qu'elle estimait assez compétents pour l'instruire dans un domaine précis.
Elle devint plus nerveuse alors que la nuit tombait. Est-ce que Willow rassemblerait assez de courage pour s'éloigner d'Amagmalion et effectuer le voyage jusqu'au château des gardes ? Et s'il se faisait attraper en cours de route ? Elle se rongea les sangs jusqu'au moment du départ. Elle grimpait sur le dos d'Hydronoé, loin des remparts et des yeux indiscrets des habitants d'Ondre, quand elle le vit.
Il était là, perché dans un arbre et cerné par l'obscurité, sa capuche sur le crâne. Il lui fit signe de garder le silence en plaçant un doigt devant ses lèvres. Elle obéit et lui adressa un signe de tête encourageant auquel il répondit. Elle évita de regarder dans sa direction jusqu'au décollage. Elle croisa brièvement ses iris glacées, avant que le ciel bondisse à sa rencontre. Hydronoé plana jusqu'au château des gardes et l'éloigna de la moitié de son être.
Elle s'endormit durant le vol, entre les bras de son père. Elle se réveilla dans sa chambre, sous sa couette. Le jour entrait par la fenêtre aux rideaux mal tirés. Elle portait toujours sa robe mais on avait dénoué ses cheveux et retiré ses chaussures. Elle profita du calme et admira le plafond peint par ses soins, tous comme les murs. Elle avait peinturluré sa chambre à l'âge de huit ans, pour s'améliorer en peinture.
Elle avait représenté des paysages, des dragons, des fleurs et même le ciel étoilé. Ses phrases de romans favorites se mêlaient à ses fresques originales, ainsi que des portraits de sa famille et de ses amis. Elle réussissait plutôt bien les portraits. En contemplant ses visages souriants qui la jugeaient avec bienveillance, elle se fit la réflexion que quelqu'un manquait à l'appel. Willow ne figurait nulle part.
Elle se précipita au pied d'un coffre qui contenait un tas de babioles plus ou moins utiles. Elle adorait amasser des futilités et le rangement s'avérait être un concept irréel pour elle. Elle retrouva rapidement ses pinceaux et ses pots de peinture puis poussa son lit. Son autoportrait se trouvait là, derrière la tête de lit. Elle décida de peindre son frère juste à côté.
Elle travailla sur son projet jusqu'à ce que sa mère frappe à sa porte.
- Tu es réveillée Omphale ? J'ai un plateau petit-déjeuner pour toi !
- Tu peux entrer !
Sa mère poussa la porte, les bras encombrés par un gigantesque plateau débordant de nourriture. Leur vue arracha un grognement à l'estomac de la petite fille. Elle oubliait souvent de satisfaire ses besoins les plus primitifs lorsqu'elle se lançait dans un projet.
- Omphale, je t'ai déjà dit cent fois que ce n'est pas bon de négliger ton estomac. Viens manger, tu reprendras ta peinture après. Qui est-ce que tu dessines à côté de toi ?
- Willow, répondit-elle en attrapant une tranche de pain et de la confiture.
Toute trace de bonne humeur déserta le visage de sa mère. Chaque fois qu'elle évoquait son jumeau, ses parents se repliaient complètement. Puis ils esquivaient le sujet, ce que fit précisément sa mère en déclarant :
- C'est une très belle idée ma chérie. Tu as toute la peinture qu'il te faut ?
Omphale approuva et n'insista pas au sujet de Willow. Elle refusait de causer de la peine à sa mère. Elle dévora sagement le contenu du plateau, sous le regard maternel bienveillant qui dérivait souvent vers le portrait en cours. Elle reprit son œuvre dès que son estomac ne réclama plus de nourriture. Peindre son jumeau l'occupa trois jours et trois nuits.
Elle peignait dans le noir, simplement éclairée par des bougies dont la cire gouttait dans des coupelles de métal. Son activité artistique lui permit d'oublier l'angoisse qu'elle éprouvait pour Willow, de se demander sans cesse où il pouvait bien être à présent, quand est-ce qu'il arriverait et surtout s'il arriverait.
Et le dernier soir, alors qu'elle ajustait l'éclat sauvage dans les yeux de son frère pour achever son œuvre, un léger craquement sur le parquet l'interrompit. Une brise tiède l'effleura, ainsi que le bruissement de ses rideaux balayés par l'air nocturne. Une odeur de foin entra dans sa chambre, ainsi que le chant des grillons. Elle sourit et déposa son pinceau sur sa palette, pour ne pas tâcher le sol. Elle se tourna vers lui, le cœur battant. Il attendait là, assis sur le rebord de la fenêtre.
Son regard vif fouillait la pièce, analysait la moindre information. Il bondit dans la chambre seulement une fois certain qu'aucun danger ne le guettait. Omphale résista à l'envie de l'étreindre. Il était comme un chat sauvage : le moindre geste brusque l'effrayait. Il portait toujours ses vêtements noirs et sa cape, couverte de poussière, ainsi qu'un maigre sac.
Omphale ouvrit le tiroir de sa table de chevet et extirpa un morceau de pain enveloppé dans un torchon, accompagné de prunes.
- Tu as faim ? J'ai ça pour toi.
Elle déposa le repas frugal entre eux, à la manière d'une offrande ou d'un cadeau de bienvenue. Willow s'avança à pas prudents avant de s'accroupir pour récupérer la nourriture. Son visage las, salit par le voyage, trahissait sa fatigue.
- Tu veux un peu d'eau chaude pour te laver ? Je peux aller en faire chauffer en bas.
Il fit non de la tête. Elle s'installa sur son lit pour l'observer manger tandis qu'il promenait ses iris froides sur les murs de sa chambre. Il tiqua en avisant son portrait. Il l'approcha tout en grignotant une prune, les sourcils froncés.
- Je l'ai bien réussi, tu ne trouves pas ? s'enquit Omphale.
- Nous sommes jumeaux, dit-il en la regardant bien en face.
- Tu en doutais ?
- Les gens mentent. Tout le temps.
Elle ne pouvait pas lui donner tort. Il s'enveloppa un peu plus dans sa cape crasseuse. Elle remarqua qu'il tremblait, comme lors de leur rencontre précédente.
- Tu n'as rien à craindre ici, lui assura-t-elle. Il n'y a que moi et nos parents dans cette maison.
- Il pourrait venir. Il pourrait venir sous sa vraie forme et tous nous brûler vifs, chuchota Willow. Il a incendié le palais de son frère d'âme, il n'hésitera pas avec moi.
Il parlait d'Amagmalion, Omphale en aurait mis sa main à couper.
- Qu'il essaie ! Notre père aussi peut se transformer en dragon et l'affronter ! D'ailleurs il gagnera, c'est dans son sang. Je te défendrais aussi, peu importe si c'est contre un dragon mille fois plus gros que moi !
Un début de sourire fit frémir la commissure des lèvres de Willow. Puis il demanda avec sa gravité teintée de peur :
- Je peux rester ici pour toujours ?
- Bien sûr. A condition que tu rencontres papa et maman.
Willow s'assombrit et rentra la tête dans les épaules. Il se redressa soudain de toute sa hauteur et déclara :
- Partons.
- Pourquoi ? Nous sommes chez nous ici, il n'y a aucune raison de vouloir partir.
- Si. Partons, toi et moi. Amagmalion ne doit pas nous trouver. Viens.
Il l'attrapa par le poignet et l'entraîna vers la fenêtre avant qu'elle réalise ce qui se passait. Son jumeau l'enlevait ! Elle tenta de le raisonner avec la manière douce :
- Willow, on ne peut pas partir : ça briserait le cœur de nos parents.
Il fit la sourde oreille et enjamba la fenêtre. Elle dit avec plus de fermeté :
- Arrête ! Je ne veux pas te suivre pour aller cavaler je ne sais où à travers Amaris ! Nous sommes des enfants Willow, nous ne survivrons jamais par nos propres moyens !
- Je sais me débrouiller dans les bois, expliqua-t-il. Je chasse, je pêche, je reconnais les aliments comestibles et je sais allumer du feu. Je t'apprendrais.
- Non ! cria-t-elle.
Sa colère arracha un tressaillement à son jumeau. Il serra d'avantage sa prise autour de son poignet et la scruta avec un air attristé. Il la saisit par la taille et, aussi vif qu'un aigle qui descend en piqué sur sa proie, il bondit hors de la chambre, droit dans le vide.
Omphale se cramponna à lui avec un cri terrifié. Il atterrit avec tant de délicatesse qu'elle ressentit à peine l'impact avec la terre ferme se réverbérer dans son corps. Elle se débattit sans parvenir à se défaire de la poigne de son frère.
- Willow, je ne veux pas m'en aller ! Écoute-moi ! Willow !
Il demeura sourd à ses supplications et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle n'oserait jamais lever la main sur son jumeau mais elle ne le laisserait pas non plus l'arracher à son foyer. Elle gonfla ses poumons autant que possible et hurla de toutes ses forces :
- A l'aide !!!
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Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasyDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...