Kalam se réveilla avec le soleil, en pleine forme. Plus aucune trace de son père dans la pièce, comme il s'y attendait. En tant que guerrier, il se levait toujours aux aurores pour s'exercer à la lance. Kalam s'étonna de ne pas avoir été tiré du lit pour un entraînement.
Il saisit son arme en bois et se précipita dans la salle de repas. D'après Nerva, les serviteurs déposaient à manger matin, midi et soir sur la table. Son ami grignotait justement une tranche de pain couverte d'une substance gélatineuse et rouge. Kalam remarqua qu'il mangeait seul alors que d'autres enfants de leur âge se regroupaient en chahutant gaiement.
- Tu pas manger avec autres ? s'enquit-il en prenant place près de Nerva.
- Non, ils ne m'aiment pas beaucoup.
- Pourquoi ? Tu es gentil.
- Parfois il ne suffit pas d'être gentil...
Kalam ignorait ce que signifiait cette phrase énigmatique mais elle chagrinait son ami, il le lisait sur son visage. Alors il tâcha de le distraire en lui racontant des anecdotes sur sa vie dans le désert. Dès la fin de leur repas, Nerva proposa :
- Tu veux que je t'accompagne jusqu'à la tente pour que tu passes le test ?
- C'est dangereux ? Il faire mal ?
- Non : on te pique juste le doigt avec une aiguille pour que tu déposes une goutte de ton sang sur la coquille et on consigne ton nom dans un registre pour garder une trace de ton passage.
Cette explication rassura Kalam. Il s'attendait à subir un rite étrange et un peu morbide dans cette petite tente en retrait...Accompagné par Nerva, il se sentit plus fort. Son ami le laissa entrer seul. Des lanternes discrètes posées aux quatre coins de la petite pièce illuminaient l'intérieur d'une lueur chaude. Leur éclat miroitait contre l'œuf du dieu endormi. Kalam écarquilla les yeux, stupéfait par la beauté et la taille de celui-ci. Il brillait de mille feux, tel un trésor discret mais tentateur. Sa couleur lui rappela celle des yeux de Nerva lorsqu'il riait.
- Nom et prénom, clama une voix autoritaire.
Kalam banda son bras armé, prêt à abattre sa lance sur l'intrus qui venait de lui causer une belle frayeur. Il se détendit en avisant un vieil homme assis derrière une petite table avec un registre ouvert face à lui.
- Kalam Amayaz.
- Votre doigt.
Le garçon obéit et présenta son pouce gauche. L'ancien attrapa une aiguille qu'il passa rapidement à la flamme d'une bougie. Kalam déglutit. Chez les Hérances, on punissait les criminels en les marquant au fer rouge. Le fer de l'aiguille lui perfora la peau avant qu'il ait le temps d'appréhender. Une légère douleur le fit tressauter, puis plus rien. Une perle écarlate se forma à la surface de sa peau mate.
- Posez le à la surface de l'œuf.
Il s'exécuta, un peu désolé de souiller cette coquille chatoyante avec son sang. La surface était douce sous sa peau, tiède comme de la peau et pulsante comme un cœur. Il sentait la vie qui se cachait en dessous et qui attendait de sortir avec impatience. Il retira son doigt et attendit. Comme rien ne se produisit, l'ancien déclara :
- Vous n'êtes pas viable avec l'œuf. Je vous remercie pour votre généreuse participation, au nom de la couronne d'Alembras.
Kalam regagna l'air libre, un peu déçu. Avec un dragon à ses côtés il aurait gagné le respect de sa tribu avant même d'atteindre l'âge adulte et il serait certainement resté au château des gardes avec son nouvel ami. Ce dernier lui demanda :
- Tout s'est bien passé ?
- Je suis pas jumeau du dieu endormi mais pas grave. J'ai temps libre, tu veux venir exercer la lance avec moi ?
Nerva hocha vigoureusement la tête, un grand sourire joyeux sur le visage. Ils retournèrent dans la forêt, où ils passèrent toute la journée. Leur entraînement à la lance tourna à la discussion, puis à l'exploration des bois. Nerva décréta qu'ils devaient construire leur propre repaire secret et c'est ainsi que Kalam fabriqua sa toute première cabane. Il écouta soigneusement les directives de son ami qui menait leur projet d'une main de fer. Il ne s'était jamais autant amusé !
Dans le désert, il jouait peu avec les enfants de son âge en dehors des jours de fête. Son père l'entraînait jour et nuit pour qu'il devienne le plus grand guerrier du clan. Il profitait d'un peu de répit en compagnie de Nerva.
Il fouillait les alentours de leur future demeure à la recherche de branches épaisses lorsqu'il manqua de marcher sur un joli parterre de fleurs violettes. Il ignorait leur nom mais leur couleur atypique l'émerveilla. Il en cueillit quelques-unes, pour décorer la cabane.
Nerva accueillit sa trouvaille avec enthousiasme et il coinça la tige des fleurs entre les morceaux de bois déjà en place. Kalam en retira une et la plaça dans les cheveux de jais de son ami, au niveau de l'oreille. Nerva lui décocha un sourire lumineux.
Ils en oublièrent de manger à midi et la faim les rattrapa en fin de journée. Nerva dégota quelques fruits dans un arbre proche de la rivière. Ils mangèrent sur la berge, les pieds dans l'eau. C'est alors que Kalam remarqua un détail amusant.
- Tu as tâche forme de lune sur le pied. Comme moi !
Il montra la sienne, située sur sa cheville. Lors de sa naissance, la sage-femme de leur clan avait vu dans cette marque un heureux présage, le signe qu'un dieu veillait sur lui. D'après les anciens il s'agissait du symbole de Gaïara, une des déesses les plus pacifistes du panthéon. D'après son père ça n'avait rien de guerrier mais Kalam se sentait très fier. Nerva poussa une exclamation ravie.
- Toi aussi tu as un croissant de lune sur la cheville !
- C'est signe que Gaïara tenir à toi !
- La déesse des naissances et de l'amour ?
- Oui. Les anciens de mon clan me ont dit !
- Fêtons la bénédiction de Gaïara, viens !
Nerva retira ses vêtements et plongea dans l'eau en riant, nu comme un vers. Il éclaboussa Kalam et lui cria de le rejoindre. Le garçon ne se fit pas prier et plongea dans l'onde fraîche. L'eau des oasis du désert était plus chaude que le courant vif de cette rivière ! Il nagea pour se réchauffer, en compétition avec Nerva. Ils quittèrent l'eau avec les dernières lueurs du jour, épuisés, et s'allongèrent sur l'herbe tendre de la rive. Kalam admira le ciel orangé et rosé tandis que les rayons du soleil séchaient sa peau humide.
- La cabane est pas finie, souffla-t-il à Nerva.
- Nous poursuivrons demain. Tu ne pars pas tout de suite, pas vrai ?
Partir...Kalam n'en savait rien. Les Hérances ne s'éterniseraient pas ici car le désert les rappelait à lui. Les membres de son clan avaient sans doute passé le test pendant qu'il s'amusait. Ils effectueraient demi-tour vers le sud dès demain ou après-demain, avec de la chance. Il n'osa pas l'avouer à Nerva, de crainte de l'attrister. Il se contenta de dire :
- J'espère que nous avoir le temps de terminer la cabane.
Ils dînèrent à nouveau tous les deux. Nerva se désolait de ne pas avoir vu son père de la journée. Selon lui, il travaillait durement pour confectionner des remèdes et collecter des plantes médicinales. En revanche Kalam ne s'inquiétait pas pour le sien malgré son absence dans la salle de banquet.
Il profita du repas pour apprendre les mots basiques de sa langue maternelle à Nerva. Son ami assimilait vite et les répétait avec un drôle d'accent qui amusa énormément Kalam. Sa leçon improvisée se poursuivit longtemps et ils se séparèrent aussi tard que la veille.
Son père n'était toujours pas là quand il franchit le seuil de la chambre. Lui qui comptait lui demander quand est-ce qu'ils partiraient ! Il décida de se lancer à sa recherche. De toute manière, il ne dormirait pas tant que son paternel ne serait pas là.
Il commença par le bas du château et remonta silencieusement vers le haut, discret comme une ombre. Il passa dans une portion de couloir qui sentait fortement les plantes séchées. C'est alors que la voix de son père filtra de derrière une porte entrouverte. Au ton de sa voix, il semblait de mauvaise humeur.
- Tu comptais te cacher de moi encore longtemps ?
- Tu n'as rien à faire ici Reydan. Va-t'en.
Cette seconde voix masculine n'était pas familière à Kalam. Il ne s'agissait pas d'un membre de leur tribu, même si la personne s'exprimait dans leur langue. Alors qui ? Il ignorait que son père avait des connaissances au-delà du désert !
- Zach', tu m'as tellement manqué ! Oublions ce qui s'est passé. Je sais que je fais tout de travers mais ce que je fais c'est par amour pour toi !
Le cœur de Kalam se mit à battre à tout rompre. Par amour ? Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Ça n'avait pas de sens ! Il se rapprocha discrètement de l'ouverture et glissa un œil dans la petite pièce éclairée par une multitude de bougies.
Son père se tenait dos à lui et acculait un homme contre une table encombrée d'un matériel inconnu à Kalam. Cet individu possédait une peau bien plus sombre que celle de n'importe quel Hérance ! Son père tendit sa main vers sa joue. L'autre la repoussa sèchement, un air dégoûté sur le visage.
- Tu es toujours le même. Tu ne penses qu'à ta petite personne et tant pis pour ceux qui sont autour de toi. Tu ne m'auras plus Reydan. C'est terminé entre nous, depuis longtemps. Il est temps que tu l'acceptes.
Son père se rapprocha de l'homme et essaya de passer un bras possessif autour de sa taille pour la plaquer contre lui. L'autre se débattit et tira un poignard de sa ceinture. Kalam plaqua sa main sur sa bouche pour étouffer un cri. Son père recula d'un pas.
- Je devrais te couper les attributs, espèce de porc ! Ne pose plus jamais les mains sur moi ! Jamais !
- C'est la colère qui t'aveugle Zach'. Sans toi je ne suis rien, tu me manques affreusement. Je rêve de toi si souvent, de nos étreintes...Mon amour pour toi ne s'éteindra jamais : nous sommes destinés l'un à l'autre.
- Garde ton discours pour un autre, je ne suis plus un enfant crédule. Tu n'es pas chez toi ici. Il suffirait d'un cri de ma part pour alerter tout le château. Les gens d'ici n'aiment pas beaucoup les homosexuels mais ils détestent encore plus les violeurs.
- Je trouverais un moyen de te reconquérir Zach'.
- Et tu penses à ta femme et à ton fils ? Je l'ai vu hier tu sais, brièvement. Il a tes yeux et tes traits, impossible de croire que tu n'es pas son père.
- Je me fiche de ma femme. Je l'ai épousé pour satisfaire les anciens et remplir mon rôle : perpétuer notre clan. Elle m'a donné un fils, ce dont je la remercie. Quant à Kalam, je n'ai aucun attachement pour lui. Je me contente de l'éduquer pour qu'il devienne un bon guerrier. Tu es le seul à avoir une place dans mon cœur : les autres ne sont rien.
Ces derniers mots achevèrent Kalam. Son cœur sombra dans un abyme sans fin, le monde autour de lui s'effaça. Il eut à peine conscience de s'écarter de la porte et de regagner sa chambre. Il s'enroula dans la couette, l'esprit dans le vague. Des mots résonnaient et repassaient en boucle : amour, homosexuels, les autres ne sont rien.
Les larmes inondèrent ses yeux, se déversèrent sur ses joues. Son père ne l'aimait pas. Au milieu de ce chaos qui le dégoûtait, il comprenait au moins ceci : son propre géniteur ne l'avait jamais aimé et ne l'aimerait jamais. Il l'élevait comme on élèverait une chèvre.
Une partie de son monde s'effondrait. Tous les efforts qu'il faisait pour rendre son père fier, les entraînements intensifs qu'il subissait, sa rigueur à suivre les règles...Tout ça pour rien. Pour du vent, de faux compliments et des sourires creux.
Son père ne voulait pas d'un fils exemplaire qui comblait toutes ses attentes mais d'un héritier qui le remplacerait une fois qu'il serait trop vieux. Aucune affection, aucune sympathie, aucune tendresse. Ce que Kalam prenait pour de la fermeté n'était rien d'autre qu'un témoignage de l'absence de sentiments de son père.
Il ne pouvait pas dormir ici, pas dans la même pièce que cet homme. Cet homme dégoûtant qui agressait d'autres hommes. Il arracha ses draps dans un moment de furie et s'enfuit du château. Il se dirigea vers la forêt avec la lune pour unique guide, l'esprit engourdit et le cœur en miettes. Il trébucha plus d'une fois et se releva en reniflant.
Il pleurnichait comme un bébé, ce qui n'était absolument pas conforme à l'attitude qu'on attendait d'un guerrier. Mais il s'en fichait. Il avait d'ailleurs abandonné sa lance derrière lui : il ne voulait plus être un guerrier.
Il s'écroula face à la cabane à moitié achevée et se traîna à l'intérieur. Il se roula en boule, drapé de sa couverture. Il pleura longuement la perte de son héros qui avait toujours été un monstre et sombra dans un sommeil comateux qui ne le reposa pas.
Il ne se soucia même pas des insectes qui lui grimpaient dessus, des sons inquiétants de la forêt ou des rayons crus et aveuglants de l'aube. Il se couvrit la tête et sanglota en silence : il voulait rester là et disparaître. Il espéra qu'on ne le retrouverait jamais mais il se trompait.
La matinée devait être bien entamée, d'après les protestations furieuses de son estomac, quand Nerva arriva. Son ami s'agenouilla à côté de lui et le secoua doucement par l'épaule.
- Kalam ? Tu vas bien ?
Il n'osa pas répondre. Sa voix se fêlerait à la moindre occasion et exposerait sa faiblesse.
- Tu as faim ? J'ai des galettes au beurre salé, c'est délicieux. Tu veux en goûter ?
Malgré son ventre gargouillant, l'idée de manger lui donna la nausée. Nerva n'insista pas et s'allongea à côté de lui, en compagnon silencieux et bienveillant. Kalam lui tendit un bout de couverture, pour qu'il n'attrape pas froid.
Son ami ne souffrait certainement pas de l'air frais de ce début de journée, contrairement à lui qui ne connaissait que la chaleur suffocante du désert. Le désert...Songer à lui provoqua dans sa poitrine douloureuse des sentiments contradictoires. Il mourrait d'envie de regagner son foyer et de serrer sa mère dans ses bras, de lui raconter ses aventures et d'atténuer sa peine dans la chaleur de son étreinte.
Cependant il redoutait aussi de vivre sur cette terre stérile unique au monde avec son père, jusqu'au restant de ces jours. Avec cet homme malsain qui lui mentait...
La chaleur de Nerva le rassura. Son nouvel ami le soutenait, même s'il ignorait ce qui le tourmentait. Il se rendormait doucement, bercé par la respiration calme de Nerva, lorsqu'une voix le tétanisa :
- Tu l'as retrouvé Nerva ?
C'était lui ! L'homme de la veille ! Kalam se cachait davantage dans sa couverture. Il ne voulait pas qu'on le voit. Que penserait cet homme ? Ce dernier avait dit qu'il ressemblait à son père. Avant il adorait qu'on le compare à lui. Leur ressemblance le remplissait d'une joie un peu immature. Mais à présent...
- Pourquoi est-ce qu'il ne veut pas se lever ? Il est blessé ?
Il parlait avec une voix calme, sur un ton doux et chaud. Il avait l'air d'une bonne personne. Nerva soupira.
- Je ne sais pas papa. Je crois qu'il est triste.
Sous sa couette qui le séparait du monde avec plus d'efficacité qu'une chrysalide, Kalam se raidit. Papa ? Cet homme était l'un des pères de Nerva ? Son malaise s'accrut. Son père avait malmené celui de son ami. Pour des raisons d'amour, d'après ce qu'il avait compris. Il peinait à intégrer cette réalité.
Son père, attiré par les hommes ? La loi de leur clan interdisait les relations homosexuelles, elle les considérait comme contre-nature. Kalam ignorait pourquoi exactement. Avant il croyait à cette loi sans se poser de questions mais depuis son séjour au château des gardes...
Il secoua la tête. Il en avait assez ! Il voulait qu'on le laisse seul ! Ou alors que seul Nerva lui tienne compagnie car son ami ne le forçait pas à se lever, ne l'obligeait pas à lui parler : il se contentait d'être présent.
- Qu'est-ce que tu as Kalam ?
Zacharie lui posait la question avec une douceur insoutenable. Jamais son père ne s'était adressé à lui sur ce ton. Parce que Reydan le voyait comme un futur soldat, pas comme un fils ou un enfant. Une soudaine jalousie envers Nerva s'empara de lui. Zacharie le choyait sans doute comme s'il s'agissait de la plus belle chose au monde alors qu'aucun lien de sang ne les unissait !
- Rien, marmonna-t-il. Je veux être seul...
- Pourquoi ? insista le père adoptif de Nerva.
Kalam s'enroula un peu plus dans sa couverture et plaqua les mains sur ses oreilles. Comme il n'entendait plus rien après de longues minutes, il osa jeter un œil hors de son cocon de tissu. Zacharie, assis au pied d'un tronc, dardait sur lui son regard insondable. Un grand calme émanait de lui, un calme similaire à celui de son père et différent à la fois. Plus honnête, plus profond...
Pourtant, il crut distinguer une étincelle de colère dans ses yeux noirs. Il l'imaginait sûrement mais ça ne le surprendrait pas si Zacharie le détestait. Il avait les yeux, le visage, les cheveux de son père : il était sa copie conforme. Est-ce que Zacharie voyait Reydan à travers lui ? Est-ce qu'il le haïssait parce qu'il possédait le même physique ?
Kalam détesta soudain son apparence, tout ce qui le reliait à son père. Il se drapa la tête avec sa couverture et Nerva se rapprocha de lui, sensible à sa détresse. Il se souvint qu'il partageait au moins un trait physique commun avec son nouvel ami : son croissant de lune sur la cheville. Un petit rien infime, une tâche bien placée. Cela suffit à le rassurer.
- Pourquoi est-ce que tu as quitté ta chambre au beau milieu de la nuit sans rien dire à personne ? insista gentiment Zacharie.
- Je faire cauchemar, mentit Kalam.
- Pourquoi est-ce que tu t'es réfugié dans les bois au lieu d'aller retrouver ton père ?
Le petit garçon frissonna. Son père ne le réconfortait jamais lorsqu'il se réveillait d'un cauchemar. Il lui conseillait de sécher ses larmes et de se rendormir car le cauchemar ne reviendrait pas une deuxième fois.
- Parce que, répondit-il d'un ton buté.
Son estomac grogna. Nerva lui proposa une galette dorée qu'il accepta cette fois-ci. Le mélange de sucre et de sel lui explosa en bouche et il l'engloutit sans y prêter attention. Son ami en agita une seconde sous son nez, qu'il dévora comme la précédente. Manger le revigora et chassa une infime partie de son chagrin.
- La journée avance. Ton père est prêt à repartir, il faut que tu regagnes le château.
Repartir...Une boule se forma dans son ventre. Il n'avait pas le choix. Il se leva en rassemblant son courage, la couverture toujours enroulée autour de son corps couvert de chair de poule. Il avait froid et chaud à la fois. Nerva lui attrapa le poignet et le pressa entre ses doigts tièdes. Son contact lui donna la force d'effectuer un premier pas vers le château.
Son père attendait dans la cour, sa lance à la main et son maigre bagage sur le dos. Il plongea son regard vert clair dans le sien, plus menaçant et perçant que celui d'un serpent.
- Où étais-tu Kalam ?
- Dans la forêt.
- Pourquoi ?
La question, impérieuse, lui donna envie de baisser la tête et de se cacher derrière Zacharie.
- J'ai fait un cauchemar, répéta-t-il.
- Un cauchemar ne doit pas mettre un guerrier en déroute Kalam. Je te l'ai déjà dit mille fois. Tiens, ton sac et ta lance. Nous partons sur le champ, tes bêtises nous ont déjà trop retardé.
Au lieu de récupérer ses affaires, Kalam serra les poings et demanda d'un ton plus agressif qu'il l'aurait voulu :
- Pourquoi tu n'es pas venu me chercher ?
Reydan eut l'air étonné par son mordant. Il répondit sans se démonter :
- J'ai la moitié du clan sous ma responsabilité : je n'ai pas le temps pour tes bêtises.
La colère de Kalam se mua en rage. Il se concentra sur la prise de Nerva autour de son poignet pour ne pas craquer.
- Dépêche-toi, ordonna son père.
A regret, il se délesta de sa couverture. Le fond de l'air, un peu frais, lui picota la peau. Il saisit sa lance et son baluchon, la mort dans l'âme. Nerva ne le lâchait toujours pas. Il fit face à son ami, sans doute pour la dernière fois avant longtemps. Il lut une tristesse écrasante dans ses yeux dorés mais son visage entier souriait.
- Je terminerais la cabane. Peu importe quand tu reviendras, elle sera toujours debout.
Kalam acquiesça sans oser prononcer un mot. Son ami lui glissa quelque chose dans la main avec un clin d'œil, puis l'enlaça. Il lui souffla à l'oreille :
- Tu es le meilleur ami que j'ai jamais eu. Tu vas me manquer.
Kalam aurait aimé lui dire quelque chose de semblable mais ses lèvres demeurèrent scellées. Si elles s'entrouvraient alors la tristesse en profiterait pour s'évader. Il rendit son étreinte à son ami et se détacha de lui à cause du soupir agacé de son père.
Il tourna le dos à ce château dans lequel il avait vécu une parenthèse apaisante ainsi qu'une destruction complète de ses certitudes. Mais, par-dessus tout, il laissa derrière lui un tout nouvel ami, un être incroyable. Il avait encore tant à apprendre à son contact ! Il s'efforça de ne pas se retourner, étroitement surveillé par son père. Il évita de serrer le poing trop fort, pour ne pas écraser la fleur violette que Nerva avait déposé dans sa paume.
Il se jura de revenir. D'une manière ou d'une autre, il retournerait en Alembras. Le désert ne deviendrait pas sa prison, son père ne serait pas éternellement son geôlier. Sa vie l'attendait ailleurs, au-delà du sable brûlant du désert du Souan.
VOUS LISEZ
Chevalier dragon, tome 4 : La guerre d'Amaris
FantasyDepuis la disparition de Lysange, Aymeric n'a qu'une idée en tête : la retrouver. Cela l'amènera à coopérer avec une vieille connaissance afin d'infiltrer le repaire du dragon rouge et sauver sa compagne. Cependant le temps presse et la fin du monde...