Une eau furibonde I/V

45 6 0
                                    


— Mandréline ! Mandréline ! criait la voix. Mandréline !

Comme sur un vieux disque rayé, elle était douce, tremblante, éraillée. Mandréline ne distinguait pas le visage. Seulement la silhouette étendue sur le sol froid, qui tentait en vain de s'appuyer au mur. Puis quelque chose de chaud, de rassurant, attrapa le petit corps de Mandréline, qui s'envola. Et la silhouette épuisée s'effaça, tombant dans l'oubli.

Mandréline se redressa vivement, arrachée à son coma. Le thorax délivré du poids qui l'étouffait, elle inspira une grosse bouffée d'air et essuya une main moite sur le matelas. Elle était trempée de sueur. Luna, les prunelles roses, miaula avant de frotter sa tête contre ses côtes.

— Mandréline ! Viens voir ! criait Liam depuis le salon. O', va la chercher, s'te plait !

— T'as qu'à y aller, toi.

Elle n'avait aucune envie de se retrouver une seconde fois nez à nez avec ses cicatrices. Elle s'était sortie d'affaire in extremis la veille en promettant le silence, mais elle ne doutait pas que si elle devenait trop intrusive, Mandréline le lui ferait payer à sa manière. Avec ses yeux tristes prétendument en colère.

Ni une, ni deux, Liam fonça vers le couloir, rattrapé de justesse par Olive. Le connaissant, il déboulerait dans la chambre sans prendre la peine de prévenir.

— Laisse-la, elle va arriver.

— Elle est là, confirma Alexandre en l'apercevant dans le couloir.

Il avait la nausée et la tête concassée. Complètement déshydraté, il était tellement vanné qu'il n'avait pas trouvé la force d'aller se servir un verre d'eau. Mais Liam l'avait tiré du lit, plus agité encore qu'à son habitude. Il avait voulu lui dire de le laisser tranquille, mais quand il avait vu l'émotion dans son regard, en contradiction totale avec son optimisme habituel, il s'était levé.

Luna dans les bras, Mandréline avait relevé ses cheveux poisseux en un chignon rapide et enfilé son éternel sweat.

— Regarde ! dit Liam, debout devant le poste de télévision, un pull en laine sur le dos.

— C'est une catastrophe, ponctua Alexandre.

— La mer a pété les plombs, toutes les villes de la côte sont immergées, expliqua Olive.

Mandréline allait demander ce qu'elle voulait dire par là, s'il s'agissait d'une marée haute, d'un tsunami... Cependant, elle n'en eut pas besoin. Car sur l'écran, des images d'inondations torrentielles se multipliaient partout dans le monde, pas seulement à la côte du pays. Des villes entières étaient englouties par les flots. Un pont s'effondrait dans une capitale, un ouragan se déchaînait dans un village. Dans un autre pays, une rupture de barrage et des coulées de boues emportaient des blessés et des pans de murs. De nouveaux fleuves traversaient des rues jusque-là composées de bitume. Des îles avaient été rayées de la carte en seulement quelques heures, dévorées par des vagues insatiables. Aucun continent n'était épargné. Sur ces images insoutenables, hommes, femmes et enfants se débattaient pour survivre. Partout, ils grimpaient sur les toits au milieu des jappements et des meuglements des animaux tétanisés, s'entassant jusqu'à devoir pousser les autres dans l'eau assassine.

Alexandre, blanc comme un linge, se frottait les yeux entre chaque nouvelle image. Parce qu'il devait mal voir. Ce n'était pas possible. Olive n'était pas moins pétrifiée. Mandréline restait prostrée sans un mot et Liam écarquillait des yeux épouvantés.

Après de longues minutes de ce spectacle intolérable, Olive s'empara frénétiquement de la télécommande. Elle zappa, son pouce devenu blanc s'enfonçant encore et encore, de plus en plus fort. Mais c'était peine perdue. Le flash spécial animait tous les postes. Dans le bruit de fond composé de vagues, de cris, de pleurs, de maisons se fracassant sur les trottoirs et d'enfants se noyant sur le seuil de leur école, les quatre étudiants avaient eux aussi le sentiment d'être submergés.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant