Une pour toutes et toutes pour une

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Chiara se réveilla sur le sol bétonné. Elle était courbaturée et le froid s'insinuait jusque dans ses os. Une odeur délétère se dégageait des excréments qui s'entassaient le long des murs, colorant les flaques d'urine dans lesquelles croupissaient les prisonniers. Son nez lui piquait, ses reins étaient douloureux. A côté d'elle, son compagnon de cellule lui adressa un regard compatissant : « Ce n'est que le début », semblait-il lui dire.

Un vacarme sans précédent grondait dans la salle adjacente, couvrant toute tentative de communication entre les détenus à la gorge sèche. Des claquements répétitifs et assourdissants, un vrombissement sans fin accompagnant un son continu légèrement strident.

Chiara appuya les paumes contre ses tempes.

— C'est quoi, ce bruit ? cria-t-elle par-dessus.

— C'est comme ça tous les matins, répondit son voisin un peu moins fort. Mais aujourd'hui, c'est encore pire !

— Ce sont des machines... Ils font travailler les prisonniers ? Moi vivante, je ne deviendrai pas leur esclave ! s'emporta-t-elle soudain.

— J'allais répondre qu'il valait mieux finir esclave que mourir, mais chacun sa vision des choses ! Que comptez-vous faire, dans ce cas ? plaisanta-t-il.

— Vous avez dit qu'ils venaient nous chercher un par un ?

— Oui, ils viennent à deux, ouvrent la porte, appellent la personne désirée et ils la referment juste après.

— Ils appellent les gens ? Et ils les suivent sans résister ?

— Vous venez d'arriver, mais comme je vous l'ai dit hier, certains sont là depuis longtemps. Ici, on n'a plus de notion du temps. On devient fous. Et plus important, on a soif. Vraiment très soif. C'est pour ça que personne ne parle. Ils économisent leur salive. Et nous devrions les imiter, conclut-il alors que sa bouche perdait de son humidité.

Chiara pivota sur elle-même. La majorité des prisonniers n'avaient pas bougé d'un cil, somnolant depuis la veille, baissant de temps à autre leur vêtement afin de se soulager. D'autres, au regard aliéné, tournaient sur eux-mêmes comme des fauves en cage, ou se cognaient la tête contre le mur en psalmodiant des mots inaudibles.

— Alors, il faut qu'on sorte de là avant de devenir fous ! ne put-elle contenir un frisson.

— Si nous commencions par manger ? suggéra son compagnon en indiquant les distributeurs qui se remplissaient.

— Qu'est-ce que c'est ?

— De l'avoine, des insectes broyés, mon chien ? Peu importe pourvu que ça se mange, répondit un vieil homme bougon et crasseux en se redressant pour atteindre le réservoir avec sa bouche.

Ecœurée tant par la purée épaisse qu'on leur fournissait que par ses codétenus, la bouche déjà asséchée, Chiara décida de prendre exemple sur le silence des autres le temps d'entrevoir une échappatoire. Tout d'abord, elle devait sortir de cette cage. Ensuite, elle devrait se faufiler par la porte blindée. Elle devrait libérer les autres prisonniers. Ils formeraient une foule incontrôlable et elle en profiterait pour s'échapper. Mais comment se libérer de ses propres barreaux ? C'était à peine si elle pouvait se mouvoir à l'intérieur. Ses jambes gagnées par la nervosité pouvaient en témoigner.

La porte coulissa, laissant pénétrer plus encore la résonance assourdissante. Deux hommes habillés de costumes rouges entrèrent, suivis de plusieurs compères.

Chiara jeta un regard anxieux à son voisin de cellule. Le regard de l'homme lui répondit en miroir. Ils n'étaient pas censés être aussi nombreux.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant