Alexandre IV

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Ceux qui n'avaient pas succombé aux griffures et qui n'avaient pas changé de camp sous l'impact des morsures n'en étaient pas moins blessés. Le clan des Chasseurs diminuait sans cesse pendant que celui des wendigos grossissait à vue d'œil. Caleb ne cédait pas, soutenu par Jura et ses acolytes qui alternaient arme à feu, armes blanches et corps-à-corps, couverts par les autres tireurs et arbalétriers plus ou moins indemnes.

En face d'eux, la vieille Louve jouait des crocs sans s'essouffler, faisant tomber les rares monstres qu'ils parvenaient à dominer. Katharina mitraillait, noyant son chagrin dans les cartouches d'argent inflammable qui les faisait grimacer, déformant plus encore leurs figures atroces aux yeux de sang et aux lèvres rétractées.

Tout à coup, Coumba cessa de faire des croche-pieds aux créatures. Un violent coup de griffes qui ne lui était pas destiné l'avait assommée. Elle s'effondra au milieu des longues jambes des créatures qui la piétinaient et lui donnaient des coups de pieds pour se débarrasser de ce qui gênait leur progression vers leurs proies.

— Chiara, Rubis, couvrez-moi ! lança Olive, qui fonça au sein du mouvement déchaîné de Chasseurs.

— Qu'est-ce qu'elle fait ? demanda Rubis.

— Je crois qu'elle veut dégager Coumba du centre, répondit Chiara, l'œil presque contre l'arbrier.

En effet, le sang s'immisçant entre les rainures de ses griffes métalliques, Olive se jeta entre les pieds des monstres. Elle n'avait pas réfléchi. Une des leurs, bien qu'elle fût Chasseuse, était sur le point de mourir. Matthieu lâcha brusquement son épaule douloureuse pour la suivre, conscient qu'il s'agissait de sa dernière chance d'agir en héros.

A quatre pattes entre celles des créatures, ils se faufilèrent jusqu'à l'apprentie camouflée, leurs amis mitraillant chacun à leur manière celles qui menaçaient de les mordre. Les coups de pieds des wendigos en mouvement frappaient néanmoins leur ventre et leur visage. Aux pieds de Coumba, Matthieu cracha du sang et Olive, la bouche barrée d'une ligne rouge, avait un œil tuméfié sur lequel gouttait le sang de son arcade sourcilière.

— Allez, dit-elle.

Matthieu ne sut pas si elle adressait cet encouragement à leur duo ou à elle-même. Ensemble, ils attrapèrent la camouflée évanouie, l'appuyant sur leurs épaules pour la traîner hors de la mêlée. Debout et ralentis par son poids, ils étaient désormais exposés aux lames acérées que constituaient les dents et les ongles des monstres. Ils progressaient aussi vite que possible, leurs assaillants freinés par les balles et les carreaux qui parfois les frôlaient, parfois les traversaient.

Alors que, à bout de force, ils atteignaient enfin le rang des Chasseurs, la peau en lambeaux, un wendigo lacéra le dos d'Olive, la faisant hurler de douleur et l'obligeant à s'écrouler à son tour. Matthieu dut se faire violence pour ne pas lâcher Coumba, son poids ayant doublé au même instant, forçant sur l'épaule qui le torturait. Caleb, dans son corps de Loup, ressentit comme un éboulement intérieur. Il lâcha la tête encore dans sa gueule et hurla. Ils devaient trouver une solution pour arrêter l'escadron cadavérique et retrouver Armin avant d'incendier l'usine. Créer un passage pour les anciens prisonniers. Et retrouver Mandréline avant que Luna ne tombe à son tour. A son instar, la panthère ne prenait aucune précaution. Elle n'avait qu'un objectif depuis toujours : aimer Mandréline. Et l'aimer, c'était sauver ses amis, quitte à voir s'évaporer son âme de Gardienne. Caleb hurlait comme on pleure. Lui aussi était à bout. Il s'en voulait à trépasser de les avoir guidés jusqu'aux wendigos. A chaque blessure infligée aux amis de la petite brune, un déchirement impitoyable attaquait sa poitrine. Il devait sortir Olive de là.

La même pensée dut effleurer Massimiliano, car tandis que le Loup s'apprêtait à foncer sur la jeune fille inanimée pour la récupérer, il se mit à sortir des boules de toutes les couleurs de son sac, en distribuant autant qu'il en possédait, ses compagnons agrippant machinalement les sphères au vol, sans avoir la moindre idée de leur fonction.

— A trois ! cria l'homme avec force vulnérable.

Sans même réfléchir à ce qu'ils faisaient, tous ceux qui avaient une boule entre les mains la jetèrent au centre. Elles explosèrent au sol et sur les créatures, dégageant une fumée opaque, dessinant un cercle dont les couleurs vives se mélangèrent jusqu'à n'en devenir qu'une, indéfinissable et infranchissable. Les bombes avaient occulté les sens des créatures qui criaient de ne plus voir ni sentir leurs cibles humaines.

Massimiliano et Katharina, guidés par la Louve blanche, pressèrent les survivants vers la cage d'escaliers. Aby agrippa les combinaisons d'Olive et de Coumba par les crocs afin de les hisser sur son dos. Le corps des filles chavirant à chaque impulsion, Katharina corrigea leur position en courant. Par dizaines, ils coururent vers la sortie où attendaient les lanceurs de flammes. L'équipe poussa les anciens prisonniers à l'extérieur où fouettait le vent hivernal, puis les accompagna afin de les emmener plus à l'écart des événements. Mais lorsque Massimiliano voulut avancer, les Chasseurs le refoulèrent à l'intérieur.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il les sourcils grisonnants froncés.

Aby, les deux filles toujours sur le dos, se mit à grogner en retroussant les babines sur ses crocs acérés.

— On vous a posé une question, dit froidement Katharina, le doigt sur la gâchette.

— Vous ne passerez pas, répondit simplement l'un des hommes.

La jeune femme pointa sa carabine sur le Chasseur.

— Laissez-le passer immédiatement.

Son ton ne tolérait pas la négociation. Pourtant, autour d'eux, le rang de Chasseurs armés de lance-flammes se resserra.

La Louve aurait pu prévenir son petit-fils d'une simple pensée. Mais c'était lui imposer un choix trop difficile. Elle l'avait su dès le départ, dès le premier jour, dès sa première rencontre avec Cassayre. Il ne faut jamais se fier à un Chasseur. Elle fit glisser les filles de son échine, obligeant Katharina et Massimiliano à les rattraper. La grande blonde détacha son doigt de la gâchette, le père de Chiara sortit une main inoffensive de son sac. Et la Louve bondit sur les Chasseurs pendant que les deux autres cavalaient tout droit en tirant vulgairement les corps dans la neige.

Profitant eux aussi de la brume artificielle inespérée, de nombreux Chasseurs filèrent en direction de la sortie. Matthieu et Chiara se joignirent à eux après avoir ramassé quelques carreaux, pendant que Rubis et l'équipe de Caleb et Jura escaladaient les marches vers le sommet de l'usine. Si rapide qu'il se cognat aux murs qu'il salissait, le Loup pénétra le premier dans l'embrasure du bureau d'Armin. La panthère noire, dans le même piteux état que lui, le rejoignit en quelques instants, les yeux d'un rose qui faisait ressortir ses blessures.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant