Dernier combat IV

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Caleb s'était retrouvé seul, à son grand soulagement. Il en était à son troisième assaut, cependant Armin était plus agile et futé que tous les monstres qu'il avait créés. Ses flancs avaient déjà été profondément griffés et lui n'avait toujours pas réussi à le mordre.

Malgré ses échasses, le wendigo possédait une impressionnante fluidité de mouvement, et lorsque Caleb avait arraché la tête d'Alexandre pour éviter le même sort à Mandréline, il l'avait rendu fou. A peine avait-il réussi à faire courir la jeune fille en état de choc qu'Armin s'était élancé non pas pour se repaître de sa chair, ni pour le tuer, mais pour le détruire, l'anéantir, l'annihiler.

L'occultine maudite qui coulait dans les veines des créatures amplifiait leurs émotions, et si Caleb avait douté jusque-là que le wendigo eût une âme, il était clair qu'il brûlait de désir pour le garçon qu'il avait tant tenu à garder auprès de lui. Ce n'était peut-être pas l'amour tel que Caleb le concevait, mais il voulait plus que tout le posséder, et il le lui avait enlevé. Il l'avait détruit, sans retour possible en arrière.

Armin anticipait ses attaques, échappant à ses sauts et à ses crocs avant de fondre sur lui avec ses ongles abjects. Derrière eux, l'usine continuait de s'effondrer, couvrant leur respiration haletante. Armin enchaînait les coups de griffes qui lui permettaient grâce à ses longs bras de garder ses distances, le lacérant systématiquement quand il s'approchait trop. Caleb se dressa une énième fois sur ses pattes arrière afin de lui tordre le cou, mais il lui enfonça ses griffes jaunâtres le long de l'abdomen. Caleb retomba au sol. Le sang qui avait séché sur sa fourrure se couvrait d'une deuxième couche plus humide. Le ventre ouvert, il fut obligé d'attendre une légère cicatrisation pour se redresser, laissant Armin lui lacérer l'échine à loisir.

Toutefois, de là où il se trouvait, Caleb eut une idée. Abandonnant celle de lui ôter la tête, il entreprit de lui mordre les mollets. Il n'avait jamais fait ça, cela le rapprochait trop des insultes dont l'assommaient les Chasseurs depuis l'école. Le wendigo, n'ayant pu prévoir cette attaque, perdit l'équilibre tant il lui secouait la jambe. Encouragé par cet exploit, Caleb tira plus fort, et le wendigo se fracassa le dos contre la tôle crépitante qui était tombée un peu plus tôt.

Alors seulement, l'évidence le frappa en même temps que le souvenir du récit de son adversaire. Tout un immeuble était en flammes juste à côté d'eux. Sous ses crocs, la jambe fondait déjà. Le monstre tentait de se relever, mais il retirait sur le mollet inlassablement, de manière à le faire retomber. Puis il pivota et traîna le corps agité vers l'entrée de l'usine incendiée dont la chaleur lui donnait envie d'ouvrir la gueule. Le corps du wendigo était incroyablement léger. S'étirant affreusement, il avait gagné en hauteur, mes ses os maigres perdaient la protection de la chair épaisse pendant la transformation. Ce n'était plus qu'un sac d'os maudit. Caleb, en chien maudit selon les Chasseurs, était son opposant naturel. Armin se débattait de plus en plus fort, agrippant le sol de ses griffes démesurées. Il tenta même de s'ancrer dans le béton à l'aide de ses dents. Il en perdit trois, altérant définitivement sa figure blafarde.

Caleb le tirait par la cheville, ses propres crocs solidement enfoncés dans la peau gelée qui lui glaçait les gencives. Il déambula entre les cadavres calcinés et ne s'arrêta que devant les premières flammes. Armin, incapable de se redresser, lacérait furieusement l'air en voulant atteindre sa tête. Il le supplia, il s'excusa, il promit de ne pas les poursuivre. Caleb était sourd à ces revendications. En plus de n'avoir aucune pitié pour lui, il n'en croyait pas un mot. Armin leur avait suffisamment prouvé de quoi il était fait.

Il pivota une nouvelle fois pour l'exposer au feu. Le crâne presque chauve prit un aspect laiteux pendant qu'il fondait au-dessus des yeux révulsés. Armin persévérait dans ses supplications lorsque le Loup lui arracha la jambe qu'il avait dans la gueule pour l'empêcher de fuir. Le wendigo hurla, mais pas une goutte de sang ne coula, faisant rendre compte à Caleb à quel point la malédiction l'avait privé d'humanité. De ses veines ne s'écoulait qu'un liquide visqueux, vaseux et froid. Son corps fondant de plus en plus, il le supplia d'arrêter, de le laisser comme ça, qu'il ne pourrait pas les attaquer avec une jambe en moins. Quand il promit de ne plus manger d'humains, Caleb lui arracha l'autre jambe. Un nouveau cri strident déchira l'air. Son crâne à moitié fondu, il ne parvint bientôt plus à parler. Son cerveau lui envoyait malgré tout encore des signaux d'alerte, car ses bras continuaient de s'agiter nerveusement, et ses griffes de racler le sol pour s'éloigner des flammes. Mais Caleb avait déjà replanté ses crocs dans son ventre, le maintenant à terre jusqu'à ce que, la tête totalement aspirée par la chaleur, le wendigo arrête de se tortiller.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant