Le retour des créatures IV/IV

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Comme convenu, Caleb le conduisit jusqu'à l'université puis le laissa parcourir le reste à pieds afin de rester en retrait et de pouvoir intervenir. Il avait envie de se taper la tête contre un mur. C'était à lui de s'y rendre, mais comment justifier ses motivations auprès des autres ? Aux yeux de tous, à part peut-être de ceux de Mandréline — qui était furieuse — et de ses deux amis, il n'était pas plus qualifié que Matthieu pour jouer aux héros, et n'avait pas de « demoiselle en détresse » à secourir. Cela ne l'empêchait pas d'avoir conscience de jeter Matthieu en pâture à ces créatures. Sans se faire repérer, il avança la voiture le plus possible.

Matthieu patientait sur le seuil de l'usine quand on lui ouvrit enfin.

— Bonjour ! lança-t-il avec un tel engouement que Caleb se demanda s'il jouait vraiment la comédie. C'est bien le lieu de rendez-vous pour changer les choses ?

— Purée, t'es en retard, toi. Attends ici.

L'homme revint avec une femme toute de blanc vêtue qui lui accorda un sourire de convenance et l'invita à entrer. Discrètement, le garçon infiltré cliqua sur l'icône du téléphone vert. On l'escorta le long des dortoirs, le temps de lui résumer ce qu'avait précédemment communiqué Armin.

— Vous souhaitez travailler tout de suite ? Nous avons une place en découpe.

— Oui ! répondit Matthieu, plus motivé que jamais.

La découpe, le stockage, le récurage des toilettes, il était prêt à tout faire du moment qu'il retrouvait Chiara.

La femme l'entraîna au premier étage. Tout de suite, le parfum alléchant de la viande affleura. Matthieu renifla comme pour se nourrir de l'odeur, savourant chaque particule. En reconnaissant le fumet inimitable du porc qu'il n'avait plus vu dans une assiette depuis trop longtemps, son estomac gargouilla. Il se serait damné pour une entrecôte. Même pour une tranche de jambon. La femme développa le contenu des tâches à accomplir : ôter les derniers bouts disgracieux, ficeler, emballer, ... Matthieu écoutait d'une oreille, son esprit partagé entre la faim, la mission, et Chiara, qui occupait quatre-vingts pourcents de son activité cérébrale.

— Voilà, si vous n'avez pas de questions, je vous laisse travailler avec vos nouveaux collègues. Une dernière chose : les étages du haut sont réservés à vos supérieurs. Nous évaluerons votre travail en fin de journée, mais si vous y mettez toute cette bonne volonté, je suis certaine que vous avez toutes vos chances.

Elle lui attribua un tablier neuf et Matthieu la remercia. C'était littéralement son premier jour de travail. Entre le football et l'université, malgré les difficultés de sa mère à joindre les deux bouts, il ne s'était jamais lancé dans cette aventure.

Nouant son tablier, il observa la manière de découper de ses collègues, puis se mit au travail en se faisant discret pendant qu'il analysait la salle. Autour de lui, les ouvriers, tout à fait humains, triaient les morceaux de viande dans une harmonie qu'il n'aurait pas soupçonnée en entreprise. Il exécutait ses tâches le plus consciencieusement possible afin de ne pas éveiller les soupçons, examinant son environnement sans rien noter de suspect. A chaque nouveau bout de gras arraché, il se posait la question de savoir ce qu'il faisait là, à découper de la chair crue pendant que Chiara se faisait peut-être torturer ailleurs. Cette pensée, qui revenait à une fréquence de plus en plus rythmée, lui était insoutenable. Quand vint l'heure de la pause, il s'écarta de l'immeuble afin de tout raconter aux autres au téléphone.

— Matt, tu es fou ! s'exclama Katharina. Tu n'es pas censé nous parler !

— Y a aucun risque, je suis loin et puis y a rien, ici, on est sur la mauvaise piste ! Par contre, c'est incroyable, ils produisent de la viande !

— De la « viande » ?

— Ça sent trop bon ! Mais Chiara n'est pas là, insista-t-il.

— J'ai entendu qu'on te disait que les étages étaient interdits, dit Olive. Essaie d'y faire un tour, et creuse le sujet avec tes « collègues ». Maintenant que t'es là, autant mener l'enquête jusqu'au bout. Mais ouais, elle est sûrement pas là, ajouta-t-elle plus bas.

— Elle doit être là, réagit Katharina sur un ton menaçant. Trouve-la.

Si elle n'était pas là, ils n'avaient pas la moindre idée d'où la chercher. Si elle n'était pas là, ils ne la retrouveraient pas.

Quelqu'un s'approcha et Matthieu replaça le smartphone dans sa poche, priant tout de même pour que personne n'ait surpris la conversation.

Non loin de là, Caleb, qui avait passivement participé à l'appel, n'avait pas vu passer son envie de se taper la tête à se la faire éclater. Qu'est-ce qui lui avait pris d'encourager une telle escapade suicidaire ? Il aurait dû assommer Matthieu, le ranger dans le 4x4, et aller chercher Alexandre et Chiara lui-même. Cela lui aurait évité tout ce stress.

Il se passa la main sur le visage.

Le problème, c'était que Caleb n'était pas certain de pouvoir les secourir, lui non plus. Loup ou pas Loup, il demeurait seul contre le nombre.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant