Un bonbon ou un sort ? II/II

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Ils déposèrent leurs trésors dans la cuisine, Liam se sélectionnant discrètement une petite portion à planquer sous le lino de sa chambre. Mai et Jelena firent la file pour la salle de bain. Elles avaient une sacrée couche de maquillage à retirer. Mandréline et Olive montèrent se coucher. Un peu de démaquillant suffirait à gommer les fausses cicatrices. Toutefois, les deux filles n'étaient pas toutes seules. Liam les avait suivies dans l'escalier.

— Qu'est-ce que tu fous, Jensen ? demanda Olive devant la chambre d'amis.

Il ne répondit rien, se contentant de sourire béatement.

— T'as l'air d'un idiot, dit-elle en entrant dans la chambre. Et si tu crois qu'on va encore dormir avec toi, tu te fourres le doigt dans...

— Qu'est-ce que c'est ? la coupa Mandréline.

Olive pivota. Sur le grand lit, deux paquets cadeaux les attendaient.

— Qu'est-ce que c'est que ça, Jensen ? demanda-t-elle à son tour sur le ton de la suspicion.

Mandréline prit doucement le cadeau posé du côté où elle avait dormi après le deuil international entre ses mains et l'examina comme une météorite fluorescente tombée du ciel.

— Tu peux l'ouvrir, tu sais, dit Liam. D'ailleurs, toi aussi, O'.

Elle restait muette et immobile, avec le même air ahuri que Mandréline.

— C'est de qui ? finit-elle par demander.

— De toute la famille Jensen ! répondit-il en bombant le torse.

— Pourquoi ? demanda Mandréline.

Olive reposa le paquet qu'elle venait de prendre en main.

— On ne peut pas accepter, trancha-t-elle. Vous êtes complètement tarés ou quoi ? Et puis qui fait des cadeaux à Halloween ?

— C'est pas pour Halloween, c'est juste comme ça, fit Liam.

— Juste comme ça ? répéta Mandréline qui n'en revenait pas.

— On sait que...

— Vous ne savez rien du tout, le coupa Olive. On vous fait pitié ou quoi ? Ta famille nous connaît à peine !

— Maman voulait juste vous faire plaisir.

— C'est ta mère qui les a achetés ? se radoucit-elle.

— Elle est tombée dessus en faisant du shopping avec Mai et Jelena. Elle a pensé à vous et a voulu vous faire plaisir, c'est tout.

— Famille de fous, marmonna-t-elle. Bon, et qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle en reprenant son cadeau en main avec une appréhension boudeuse.

— Ouvre, tu verras.

Le papier déchiré, elle découvrit une besace kaki décorée de quelques pin's féministes et écologistes, fidèles aux stickers autrefois collés sur son ordinateur portable. Elle releva des pupilles scintillantes vers Liam.

— Ce que j'essayais de dire avant que tu ne me coupes la parole, dit Liam, c'est qu'on sait que tu as perdu tes affaires dans l'accident de train.

Sidérée pendant de longues minutes, résistant à l'envie de lâcher un « Oh ! ... » qui aurait prouvé à lui seul qu'elle avait eu tort de s'emporter, Olive se tourna finalement vers Mandréline avec un sentiment lui chatouillant le ventre de manière inhabituelle, et vis-à-vis duquel elle ignorait comment réagir.

— Et toi, t'as reçu quoi ?

Mandréline déballa à son tour l'emballage rectangulaire.

— C'est une boîte ? s'enquit Olive en découvrant une petite mallette en bois.

— Non, souffla Mandréline. Ce sont des fusains, dit-elle en ouvrant le coffret comme on ouvre un coffre au trésor. Des fusains naturels.

— Liam, est-ce que tu racontes toute notre vie à ta mère ?

— Pas du tout ! se défendit-il sans en penser un mot.

Le lendemain matin, après que les deux filles avaient cérémonieusement remercié toute la famille Jensen, Curtis les reconduisait déjà, avec Liam, à l'université. Il les avait catégoriquement défendus de remonter dans un train, bien que conscient que face à une quelconque tornade, sa voiture serait la première à s'envoler. Les autres véhicules se faisaient rares sur la route, et les décorations d'Halloween étaient toujours absentes de la plupart des maisons. Les rues étaient si dépeuplées et la chaleur si intense, si pesante, qu'à tout moment Mandréline s'attendait à voir rouler un virevoltant.

Après une vingtaine de minutes de chamailleries entre Olive et Liam, Curtis riva des yeux stricts dans le rétroviseur, ce qui les calma instantanément. Mandréline, la tête dans un étau, le bénit intérieurement. Leur duo était désopilant, mais avant tout parfaitement éprouvant.

— Les enfants, commença-t-il solennellement avant de marquer une pause, ne sachant comment exprimer sa pensée. Est-ce que vous limitez vos consommations ?

Etonnés par cette question après l'abondance de la veille, ils acquiescèrent.

— Les choses risquent d'empirer. A partir de maintenant, vous devez compter tout ce que vous mangez, c'est compris ? Et sortir exclusivement pour aller en cours. Si ça ne tenait qu'à moi, vous seriez tous les trois restés à la maison. Tâm a ce don de toujours voir le bon côté des choses. Elle espère que le temps reviendra à la normale et veut que vous mettiez toutes les chances de votre côté pour réussir vos études.

Mais il y a peu de chance que ça se passe de cette façon..., pensa Mandréline sans le dire.

Il se tourna vers les étudiants, qui le considéraient de toute leur innocence.

— Si vous voulez rentrer, vous m'appelez immédiatement. Au moindre problème. Je viendrai vous chercher.

Comme ils ne répondaient pas, tétanisés par l'urgence qui transparaissait dans sa voix, il insista durement.

— Vous m'appellerez, oui ou non ?

— Oui, dit Liam avec une voix de petit garçon.

Mandréline et Olive hochèrent la tête à leur tour, et Curtis reporta son attention sur la route.

Ils avaient tous trois conscience que quelque chose de grave se préparait. Ils avaient déjà songé et commencé à se rationner. Mais l'entendre de la bouche d'un adulte, d'un père, rendait la chose plus concrète. Et bien plus effrayante. Parce que si un père, policier de surcroît, avait peur... Qui les protégerait de ce qui les attendait ?

Ils avaient beau revendiquer ne plus être des enfants, se sentir démunis face à un danger non tangible et incontrôlable était terrifiant, et ils auraient tout donné pour retomber à un âge où l'insouciance les aurait préservés des inquiétudes.



*Un virevoltant est la boule de foin qui roule dans les films de western (tumbleweed en anglais). Il s'agit de la partie hors sol de certaines plantes des déserts du nord des Etats-Unis, se séparant de la racine une fois sèches.*

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant