Une eau furibonde V/V

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La chaumière tanguait comme bateau sur mer et la toiture s'effilochait. Le ciel noir, électrique, était strié d'éclairs. Une brume épaisse entourait la maisonnette, et les étagères tremblaient, faisant cliqueter les grigris et s'entrechoquer les casseroles.

Aby, inébranlable, restait les yeux rivés sur sa petite boîte sculptée. Elle était douillettement installée dans son fauteuil fétiche, sa chemise de nuit rehaussée d'un châle.

— Les Esprits sont en colère, disait-elle.

— Qu'est-ce que tu racontes, grand-mère ? demanda Caleb qui s'évertuait à mettre les bibelots en lieu sûr.

Elle releva des yeux sévères. Elle détestait quand il l'appelait comme ça.

— Crois-moi, mon fils.

— C'est le réchauffement climatique, Aby, des scientifiques le confirment tous les jours depuis des années. Surtout en ce moment. Tu peux m'aider, s'il te plait ? Ou au moins descendre t'abriter ?

— Ce sont les Esprits, hocha-t-elle la tête avant de retourner dans sa contemplation.

Caleb considéra le déluge. Les Esprits ? Que pouvaient-ils avoir affaire avec ce qui se passait ici ?

Aby déraillait.

Un bruit sourd claqua dans la chambre, et la grand-mère s'y précipita finalement. L'un de ses précieux grimoires s'était écrasé sur le parquet.

— Bon sang, Aby ! Descends, s'il te plait !

Caleb se retenait d'exploser. Il n'avait pas assez de ses deux mains pour empêcher tous les petits objets de la maison d'aller se briser sur le sol, et craignait que quelque chose de plus gros ne passe l'une des vitres. Avec ce brouillard et la violence de l'orage, il fallait s'attendre à tout.

Il replaça une figurine en porcelaine qu'il venait de sauver d'une mort certaine et fonça vers la chambre de sa grand-mère. Celle-ci tenait dans ses bras trois de ses plus vieux grimoires, sa petite boite sculptée posée dessus.

— On peut y aller, maintenant ? lâcha-t-il.

— Que tu peux être malpoli ! grommela-t-elle en prenant la direction de la cave.

Caleb referma la trappe au-dessus de leur tête, et put enfin souffler.

*

Le lendemain matin, Luna miaulait pendant que Charlie distribuait des coups de langue baveux.

— Eurk, dégage ! lâcha Olive, les joues désormais humides et malodorantes.

Liam ouvrit un œil, puis un autre, abasourdi.

— Olive ? se redressa-t-il avec empressement.

— Eh ouais, c'était pas un cauchemar, répondit-elle avec un sourire sadique.

— La rivière a sûrement débordé, bâilla Mandréline.

— Et y a probablement un trou dans le toit de ta baraque, s'étira Olive.

Toute la famille Jensen se trouvait déjà dans le salon. L'une des fenêtres de la cuisine avait explosé et, dans la rue, tout était sens dessus dessous. Les villageois s'affairaient à mesurer les dommages.

— La fenêtre de notre chambre s'est brisée aussi, expliqua Mai, sosie parfait de sa mère. Papa a vérifié le toit, plein de tuiles se sont envolées mais comparé aux autres maisons, on a eu de la chance.

En effet, la plupart des toits avaient été littéralement perforés. Des arbres étaient tombés sur les cabanes de jardin et contre les murs. D'autres troncs barraient la route inondée. Quant aux statuettes et autres nains de jardin, ils avaient voyagé à travers le village de manière aléatoire et brutale.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant