En chasse III

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Mandréline, Olive, Rubis et les autres lanceurs avaient beau refluer et lancer lames et griffes, les wendigos ne faisaient qu'avancer, lançant leurs bras pour lacérer des chairs ou du vide. Quand l'un d'eux faillit toucher Olive, déjà dégoulinante de sang, une balle en argent tirée par Katharina vint se loger dans le bras livide, puis dans le thorax.

Et cette fois, la poitrine gelée se fissura, redonnant foi aux Chasseurs qui se mirent à désobéir aux ordres pour tirer. Les balles plus que les carreaux se montrèrent étonnamment efficaces. Par leur petite taille et leur vitesse de trajectoire, elles éclataient comme du verre le cœur des wendigos. En quelques minutes, les Chasseurs avaient repris l'avantage, repoussant les monstres à l'intérieur.

— C'est l'inverse, souffla Mandréline sans que personne ne l'entende, sa voix couverte par les sons aigus produits par les monstres. C'est l'inverse ! cria-t-elle. Rubis, il faut les attirer dehors !

— C'est trop tard. La stratégie à suivre est très claire, répondait-elle essoufflée, les lance-flammes sont tout derrière. Ils attendent qu'on les laisse entrer, mais ils ne comprendront pas si on les fait sortir. C'est bien le but, les enfermer à l'intérieur !

Mandréline allait contre-argumenter lorsqu'un grincement vint s'ajouter au chaos. Derrière les wendigos aux visages cadavériques, les cloisons s'ouvraient sur des ouvriers et des enfants effrayés.

— Ce ne sont pas..., commença Mandréline.

Une femme se dressa en tête de masse et Matthieu reconnut instantanément la responsable qui l'avait accueilli lors de son infiltration. Les wendigos s'étaient immédiatement calmés, patientant comme dans l'attente qu'on les réactive.

— Ces intrus ont pénétré l'usine par la force. Certains d'entre eux nous ont volé, déclara-t-elle.

Des sourcils se haussèrent, des plaintes se dégagèrent. Mais aucun n'osa interroger la responsable, trop obnubilés par l'apparence monstrueuse des wendigos. Une fillette pleurait cachée derrière les jambes d'une femme qui devait être sa mère. Mandréline et Olive retenaient leur souffle.

— C'est le moment de démontrer votre dévouement à Armin, continuait-elle.

— Qu'est-ce que..., lâcha Mandréline.

— Reculez, murmura prudemment Rubis.

Les wendigos, se détournant des Chasseurs, cernèrent les employés épouvantés.

— Non ! comprit Mandréline avec effroi.

Les balles, les carreaux, les couteaux criblèrent les créatures, mais il était trop tard. Les monstres plantèrent leurs crocs dans les cous qui suintèrent instantanément de sang. Les plus jeunes enfants moururent avant de voir leurs yeux changer de couleur. Les vêtements se laminèrent en même temps que les os poussaient sous la peau qui s'y collait. Les lèvres devinrent de minces traits vermeille et les joues creuses se remplirent de crocs.

Désespérément, Mandréline chercha Alexandre parmi les créatures nouveau-nées qui bondissaient déjà, plus hargneuses que les précédentes. Elle fut soulagée de ne pas le reconnaître, pourtant une sensation de pincement vint lui rappeler que cela ne lui présageait pas un meilleur sort. Elle ne pouvait toutefois se résoudre à le croire mort.

— Mandréline ! hurla Rubis en sautant devant elle pour repousser un monstre. Sers-toi de tes couteaux !

Tandis que la petite brune quittait son étourdissement passager, la responsable, satisfaite du rôle qu'elle venait de jouer, remonta tranquillement les marches.

Les jeunes wendigos étaient poussés par une faim irrépressible et Mandréline se rendit compte que les monstres auxquels ils avaient eu affaire par le passé avaient dû apprendre à se contrôler, à garder un aspect humain. Car ceux-ci, guidés par leurs nouvelles pulsions, étaient désordonnés, irréfléchis, leurs âmes béantes n'attendant que d'être nourries. Plus rien d'autre ne transparaissait dans leurs yeux injectés de sang et de cruauté. Leurs attaques étaient féroces et décousues. Ils se ruaient sur leurs victimes pour les dévorer, ne prenant garde à ce qui les entourait et les attaquait. Ils se nourrissaient fiévreusement pendant que l'argent les tailladait. Rien ne semblait les détourner de leur insurmontable appétit. En quelques secondes, le nombre de Chasseurs avait encore diminué, et Mandréline se sentait impuissante, capable seulement de toujours reculer davantage. S'ils ne mettaient pas bientôt le feu à l'usine, ils y passeraient tous.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant