Bienvenue, Chiara

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Les mains refermées sur ses bras, on poussa Chiara à l'intérieur d'un bâtiment. Devant elle, une femme vêtue de blanc lança une remarque aussi cinglante qu'une gifle.

— Pourquoi n'a-t-elle pas les yeux bandés ?

L'un des deux ravisseurs haussa les épaules.

— De toute façon, elle ne sortira plus d'ici, rit l'autre.

Pas loin de leur tordre le cou, elle les autorisa à passer après leur avoir tendu de quoi couvrir les yeux de la prisonnière, qui se retrouva à nouveau dans le noir.

Chiara s'obligea à respirer calmement. Depuis le décès de sa mère, son père avait tout fait pour la protéger, allant jusqu'à lui apprendre les bons réflexes si elle devait un jour se défendre, ou se défaire d'un ravisseur. Cela n'avait pas porté ses fruits jusque-là, et elle se dit qu'il aurait mieux fait de l'inscrire à un vrai cours de self-défense. Mais il avait refusé, craignant que sa fille chérie ne se blesse.

La vue hors d'état, il lui fallait compter sur le reste de ses sens. Elle tendit une oreille et ouvrit grand ses narines, néanmoins rien ne lui indiqua plus précisément où elle se trouvait. Rien que des bruits de pas et des messes basses.

Dérangés par ses trébuchements à répétition, les hommes qui l'empoignaient se firent plus brusques, la poussant en avant sans ménagement. Sans prévenir, ils empruntèrent un escalier sur lequel elle s'écroula encore, s'éraflant les genoux puis les coudes. Elle sentait la colère la consumer, la peur aussi. Cependant, elle concentrait toute son énergie à ne pas perdre ses moyens. A ne pas se débattre, à ne pas pleurer, à ne pas crier. A ne surtout pas faire ce plaisir à ces rustres.

Elle se redressa à quatre pattes, puis complètement, le regard brûlant. Plus loin, ils la plaquèrent contre le mur et l'un des deux hommes se colla contre elle de façon à l'immobiliser, lui laissant tout le loisir d'inhaler les effluves âcres de sa peau. Une nausée remonta sa gorge. Un hoquet de répulsion s'échappa de sa bouche.

— Dépêche, la fille va me gerber dessus, dit l'homme en tenant Chiara plus fermement encore, compressant son thorax en s'adressant cette fois à elle dans un murmure cruel : Si tu vomis, 'faudra t'enlever tout ça.

Celui qui l'avait lâchée cliquait sur des boutons, qui tintaient à la manière caractéristique d'une alarme. Un glissement sourd se fit entendre et on empoigna Chiara par le bras à le lui arracher, le couvrant d'hématomes avant de la jeter vulgairement sur le sol froid d'une cellule.

Malgré la douleur lancinante, elle arracha aussitôt son bandeau, se tournant vers la porte blindée qui se refermait déjà. Elle voulut se lever pour analyser les alentours, mais se cogna aux barreaux métalliques de sa cage, trop étroite. Elle pouvait à peine se mouvoir à l'intérieur. Frictionnant son bras endolori, elle put enfin observer autour d'elle. Une douzaine de paires d'yeux la scrutaient, désorientées et apathiques, enfermées dans leur propre cage. La salle était glacée, hérissant les poils de ses jambes et de ses bras, la faisant claquer des dents. Entre les quatre murs d'acier, les prisons individuelles se comptaient à perte de vue, des gens enfermés, assis ou couchés en boule à l'intérieur de chacune d'elles. Là un homme en cravate, ici une femme enceinte, plus loin un garçonnet.

— Où sommes-nous ? demanda-t-elle.

D'abord, personne ne répondit. Quelques regards la fixèrent sans qu'elle ne puisse les décrypter, d'autres lui tournèrent le dos.

— Bienvenue parmi nous, fit son voisin de cellule.

— C'est quoi cet endroit ?

— Je n'en ai pas la moindre idée. On a été emmenés ici de la même façon que vous. Les uns après les autres.

La voix chaude de l'homme la réchauffa.

— Vous n'avez pas essayé de vous échapper ? demanda-t-elle.

— C'est impossible. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on n'est pas les premiers.

— Alors les précédents ont réussi à sortir d'ici ?

— Dites plutôt qu'ils les ont sortis d'ici. Vous vous souvenez des affiches de disparitions ?

Chiara fureta dans sa mémoire. Elle se rappelait vaguement avoir aperçu des avis.

— Les sans domicile fixe ?

— Ils les ont ramenés ici, précisément là où on se trouve. Quand on a commencé à débarquer, ils les ont progressivement fait sortir, un à un. Autant vous dire que nous sommes les prochains sur la liste. D'ailleurs, vous venez de remplacer quelqu'un.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? Sur la liste de quoi ?

— Honnêtement ? Je ne suis pas certain d'avoir envie de le savoir.

— Vous êtes prisonniers et vous ne voulez pas savoir ce qui vous attend ?

L'homme sourit tristement.

— Et pourquoi tout le monde est assis comme ça ? Ils nous droguent ? C'est pour ça que vous n'avez pas réussi à fuir ?

— Ça dépend. Vous considérez l'eau comme une drogue ?

— Ils nous assoiffent ?

— Ils nous donnent juste ce qu'il faut pour ne pas mourir. Mais après quelques jours, les forces nous quittent. Certains sont là depuis longtemps.

— Attendez, mais s'ils nous donnent à boire, ils ouvrent forcément la porte !

— Non, regardez, il y a des fontaines incorporées aux murs. Et des distributeurs.

— Des distributeurs ?

L'homme désigna des becs verseurs.

— C'est une sorte de bouillie. Ça se met en route quand ils le décident. A vrai dire, c'est infect. Mais nous avons tellement faim...

Chiara analysa les appareils, puis la porte blindée et les prisonniers qui avaient renoncé à la liberté. Elle ne pouvait pas abandonner elle aussi. Elle devait trouver une idée, avant que la soif n'ait raison de sa volonté.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant