Un virage dangereux III/III

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Les voyageurs se redressaient progressivement. Des gémissements de douleur se mêlèrent aux crises de panique, aux appels à l'aide et aux prénoms hurlés. Certains accouraient d'une personne à l'autre à l'image de véritables pompiers. Un petit homme dodu tenait précieusement une maquette, mettant toute son énergie à recoller ce qui s'était décroché. D'autres pleuraient, prostrés dans leur coin, récitant un nom comme un mantra, ou bousculaient les blessés pour se frayer un chemin vers la sortie.

— Hé !

L'homme qui avait aidé Mandréline venait d'en empoigner un autre, qui avait fait tomber une fille dans sa course. Le temps se figea autour d'eux, alors que le reste du wagon était toujours en ébullition.

— Jeff. Ça suffit, dit une jeune femme.

Il se retourna.

— Il ne manquait plus que toi, dit-il en relâchant sa victime.

Olive entre eux, le dos ouvert, Liam et Mandréline suivirent le mouvement vers l'avant du train.

Une voix, imperceptible, muette dans l'agitation générale, s'éleva du wagon dans lequel ils venaient de pénétrer et Luna bondit.

Un vieil homme avait le buste et les cuisses engoncés sous une banquette. La chatte, trop menue pour le tirer par la gueule, se contenta de frotter ses joues de velours contre les siennes. La femme qui avait aidé Roman attrapa ses jambes et entreprit de tirer, mais l'homme s'égosilla de souffrance, resserrant ses rides. Elle lâcha prise immédiatement, et Liam et Mandréline déposèrent Olive le plus délicatement possible afin de lui prêter main forte. En vain, car le vieil homme grimaçait systématiquement. Et lorsqu'il cessa de gémir, ses yeux ne clignaient plus.

Mandréline baissa ses paupières. Le goût métallique du sang qu'elle faisait couler de sa propre bouche et le torse comprimé pour contenir ses émotions, elle replaça son bras autour d'Olive avec l'aide de Liam. Les corps sans vie s'accumulaient sur leur chemin, et parfois quelqu'un les attrapait par le bras ou la jambe, les suppliant de les aider. Mais ils devaient avant tout sortir Olive de là. La panique des passagers les contaminait peu à peu, et ils commençaient à craindre eux aussi que le train n'explose.

Dans l'avant-dernière voiture, deux fillettes dont l'une d'une dizaine d'années et l'autre ne dépassant pas les quatre ans, se tenaient dans les bras l'une de l'autre, manifestement terrifiées. Liam, de sa chaleur habituelle et sans lâcher Olive, les invita à les suivre. La plus grande, une queue de cheval attachée un peu trop vers la gauche, avait le visage et les bras couverts d'ecchymoses et d'éraflures. Elle les ouvrit afin de libérer sa petite sœur, qui n'avait pas la moindre égratignure et qui fourra instantanément sa main dans la sienne.

Un peu plus loin, un adolescent avait les mains sur les oreilles et la tête entre les genoux.

— T'es blessé ? demanda Jeff.

L'adolescent releva des yeux rougis et le toisa sans cligner des yeux.

— Je n'ai rien. Je n'ai rien du tout.

— Alors relève-toi.

— C'est pas la peine d'être aussi dur, grimaça Olive.

Liam eut envie de demander si la douleur rendait Olive plus empathique, mais pour une fois, il sentit que ce n'était pas le moment.

— Très bien, qu'il reste là, alors, j'ai pas que ça à faire, dit Jeff en partant devant, suivi de près par la fille qui l'avait blâmé un peu plus tôt.

— Alors, tu viens avec nous ? demanda Olive au garçon en boule.

— Je m'appelle Oko, dit l'adolescent en se redressant.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant