Le cœur transpercé

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Armin venait de quitter son bureau, accompagné d'Alexandre. Ce dernier le suivait partout, s'attirant les moqueries des machos de l'usine. Lorsqu'il était arrivé, lors de l'inauguration, il n'y avait d'abord pas cru. Il avait eu peur. Puis il avait visité la boucherie, constatant de ses propres yeux la vérité proclamée à propos de la viande. Il avait alors passé un marché pour être logé et nourri en échange de sa main d'œuvre. Il s'était même progressivement épris de cet homme, de ce bienfaiteur charismatique. La chute, la désillusion, avait été intolérable. Le cannibalisme, les monstres, la cruauté ouverte du directeur et de ses créatures. L'impossibilité de faire un choix.

— N'en as-tu toujours pas assez de te nourrir de la même bouillie que nos bêtes ?

Comme chaque fois qu'Armin parlait des gens qu'il destinait à l'alimentation, la nausée le prit. Les taches rousses ressortirent sur la pâleur de son visage. Ses muscles se tendirent.

— Ce ne sont pas des bêtes, mais des humains, marmonna-t-il sans balbutier.

Armin se lamentait, répétant « Quel dommage » jusqu'à rencontrer la vice-directrice. C'était une femme au regard dur, dénuée de toute empathie apparente. Alexandre se demandait parfois si elle avait une âme. Rien ne l'aurait moins étonné que d'apprendre qu'elle n'était ni humaine ni monstrueuse, mais robotisée. Pourtant, ici, depuis qu'il savait, qu'il avait ouvert les yeux sur la réalité aberrante, il avait réalisé que la plupart des personnes transformées n'éprouvaient que peu d'émotions, excepté l'avidité et la cruauté. Il ne savait pas encore s'il s'agissait de traits exacerbés, ou si la transformation mettait fin aux sentiments d'humanité, ce qui semblait plausible pour des êtres aussi immoraux.

— Le local « d'attente-saillie » est-il prêt ? demanda Armin.

L'un des hommes termina de fixer le barreau d'une cage avant de confirmer la fin des travaux.

— Parfait. Dans ce cas, amenez les femmes, ordonna-t-il en retournant à son bureau.

Le sourire de ses hommes s'étira cruellement en ricanant.

— Qu'est-ce que c'est, ce local ? demanda timidement Alexandre qui connaissait la réponse au fond de lui.

Armin lui présenta une figure goguenarde :

— Allons bon, tu l'ignores donc ? Il s'agit du local de reproduction des bêtes.

Alexandre lutta contre lui-même pour ne rien montrer de ce qu'il ressentit à cet instant.

— Une salle de reproduction ?

— Oui, tout à fait, nous pourrons y inséminer les femelles ! J'ai même pensé à encourager une reproduction naturelle, se vanta-t-il.

Alexandre manquait d'oxygène. Il n'avait jamais fait de crise de panique, mais était certain qu'il s'agissait de sa première. Il ralentit le pas. Son sang pulsait dans tout son corps et sa respiration se bloquait. Armin ralentit à son tour et lui présenta son bras d'un air compréhensif.

— Si tu consentais enfin à..., commença-t-il.

Alexandre crut que le cours de ses pulsations cardiaques ne reprendrait pas.

— J'ai dit non, toussa-t-il.

— Bien sûr, ai-je l'air de ceux qui forcent la main pour obtenir ce qu'ils désirent ?

Le garçon sentait le sang bouillir dans sa tête. Lentement, il reprenait le contrôle de sa respiration.

— C'est que, continua Armin, en te transformant, tu serais comme moi.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant