Voleurs I

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Deux jours s'étaient écoulés depuis qu'ils avaient retrouvé Chiara. Deux jours supplémentaires sans nouvelles d'Alexandre, tandis que les citoyens reprenaient progressivement un rythme de vie ordinaire malgré l'écrasante chaleur. Sans que les supermarchés ne se ravitaillent, les émeutes avaient progressivement cessé.

Chaque matin, plusieurs camions sillonnaient la ville, distribuant des portions de viande minutieusement calculées à ceux qui les réclamaient. Les estomacs comblés, une paix dérangeante avait pris le relais de la confusion. Les habitants retrouvaient un semblant d'espoir et de vie, alors que Mandréline et ses compagnons piochaient dans les provisions de Katharina qui s'épuisaient inéluctablement.

L'estomac de Chiara se racornissait dès qu'un passant riait insouciamment. L'image de la cuisse enfouie dans la broyeuse revenait systématiquement la hanter. Elle imaginait ces gens attablés, se régalant de leurs semblables le ventre serein, sans se douter une seconde qu'ils pouvaient avaler autre chose que du cochon.

— On ne pourra pas résister indéfiniment, fit Mandréline.

— On ne va quand même pas manger ce qui vient de cette usine ! s'exclama Liam.

— Ton père pourrait y mener une enquête, maintenant que les gens se sont calmés, lui suggéra Olive.

— Non. Ça s'est calmé ici, mais dans les villes alentour, apparemment, rien n'a changé. C'est même de pire en pire.

Il voulut ajouter que beaucoup de personnes perdaient la vie ou se donnaient volontairement la mort pour vaincre la faim, mais il n'en trouva pas la force.

— J'ai parlé à ma mère des pays qui auraient été épargnés, continua-t-il. Mon père n'a rien trouvé.

— Evidemment, puisqu'aucun pays n'a été épargné et que leurs porcs sont des humains.

— On n'a aucune certitude, dit Katharina.

— Des monstres sanguinaires qui enlèvent des humains dans une usine à viande où on trouve une jambe dans un hachoir, tu penses à quoi d'autre ?

— Et si nous prenions un peu l'air, les jeunes ? proposa Massimiliano, que toutes ces tergiversations sans fin assommaient.

— C'est vrai qu'on n'a plus mis le nez dehors depuis que vous êtes venus nous chercher, dit Chiara.

— Sauf votre respect, Monsieur Bencivenni, ce serait inconscient, répondit Caleb, soutenu par Aby.

— Il vaut mieux éviter de vous faire remarquer, appuya également Katharina. En revanche, moi, je peux sortir, ajouta-t-elle en attrapant son sac à main sans laisser à qui que ce soit le temps de répondre.

Aby se joignit à elle, ainsi que Liam qui, bien qu'il n'ait développé d'affinité particulière avec aucune des deux femmes, devenait littéralement claustrophobe.

La ville était toujours sale et encombrée, les commerces dévastés, dépeuplés, dégarnis. « Vrennes propreté » avait renoncé. Mais les gens se promenaient dans cette nouvelle réalité à laquelle ils s'étaient accoutumés. La panse pleine, ils se sentaient en sûreté.

Aby pinça discrètement le coude des deux jeunes qui l'accompagnaient avant de montrer du doigt un mur placardé d'avis. Des affiches, collées les unes sur les autres, recouvrant celles qu'ils avaient déjà vues. Des affiches avec des noms et des visages qu'ils connaissaient trop bien.

— On rentre tout de suite, décréta Katharina.

Le mot « recherché » avait remplacé le « disparu ». On pouvait y reconnaitre Chiara et Massimiliano, ainsi que Matthieu et Caleb. Liam en eut des frissons. Juste en dessous, on promettait une « double ration à vie » à qui les dénoncerait.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant