Le vieil homme aux eucalyptus I/II

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Liam était passé au verdâtre, Olive les mains sur sa bouche béante. Sur le canapé de velours du luxueux petit salon, une petite femme ronde au visage violacé gisait, les yeux fixant le néant.

— Les services hospitaliers sont surchargés, se justifia Katharina devant leur stupéfaction horrifiée. Ils ne se déplacent plus pour les corps... Et elle n'a aucune famille, ajouta-t-elle en se demandant si elle-même en avait une.

— Ah non. Non, non, non ! lâcha Liam en reculant. Je ne suis pas venu pour ça.

Il frissonnait tout en gigotant, se tenant le plus éloigné possible du cadavre de la gouvernante.

— Mais qu'est-ce qui lui est arrivé ? demanda Olive, qui n'en revenait pas.

— Je vous avais prévenus.

— Oui enfin, on s'attendait pas à tomber nez-à-nez avec ... son corps, rétorqua Olive le plus diplomatiquement possible.

— Je l'ai retrouvée comme ça... Je suppose qu'elle a fait un AVC, ou une crise cardiaque... Et puis qu'est-ce que j'en sais ? Je ne suis pas médecin !

Olive soupira.

— Si personne ne vient la chercher, il faut l'enterrer.

— L'enterrer ? répéta Katharina avec une mine dégoûtée, un rien épouvantée. Et où voudrais-tu l'enterrer ?

— Tu as un jardin, non ?

Katharina se tourna vers la terrasse.

— Mon jardin ? Il n'en est pas question !

Mais Olive ne l'écoutait plus. Déjà, elle avait traversé le salon et passé la baie vitrée de la cuisine qui donnait sur le jardin ravagé par les vents, les pluies et la chaleur. Malgré son appréhension, Katharina la suivit jusque dans l'abri du fond afin de lui indiquer où se trouvaient les grandes pelles, puis ressortit, la laissant s'emparer des outils.

— Pas si vite, la retint-elle.

Katharina fit volte-face, l'air étourdi.

— On va faire ça entre filles, continua Olive en lui tendant l'une des pelles.

Elle aurait bien réquisitionné Liam, mais elle craignait qu'il ne tourne de l'œil. Si les services de santé n'étaient plus disponibles, mieux valait éviter qu'il ne s'évanouisse. Katharina protesta, refusant de se salir de terre et de transpiration.

— Tes chichis nous compliquent vraiment la vie, cingla Olive. Si je m'en charge toute seule, ça risque de prendre la nuit.

Katharina lança un bref coup d'œil, qu'Olive devina humide, en direction du canapé.

— Dans ce cas, je vais revêtir une tenue moins...

Précieuse ? ne put s'empêcher de songer Olive. Cependant elle garda son commentaire pour elle. La jeune femme l'exaspérait au plus haut point avec ses manières de princesse, mais elle était indéniablement touchée par la mort de sa gouvernante. Elle ne pouvait pas en dire autant, elle qui n'était même pas rentrée pour enterrer ses morts.

Katharina échangea sa robe en soie contre un short en jeans tandis qu'Olive se mettait à creuser. Elle non plus, n'en pouvait plus de voir le corps d'Agata dans le salon, et redoutait plus que tout le moment où il se décomposerait et se couvrirait de larves. Elle en avait fait des cauchemars dramatiquement réalistes, et n'osait plus passer une minute dans la petite pièce. En outre, il était temps d'offrir des obsèques à la petite femme qui avait pris soin d'elle toutes ces années. Malgré tout, la perspective de le faire dans le jardin ne l'enthousiasmait guère. Elle avait le sentiment de manquer de respect à Agata. Ce sont les hamsters, les chiens, que l'on enterre dans son jardin. Agata méritait une tombe digne de ce nom, dans un cimetière fleuri, ou une incinération. Elle avait vécu en servant et mourait en servante. C'était révulsant de fatalité et d'injustice.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant