Badinons tant qu'il en est encore temps IV/IV

12 3 0
                                    


Katharina dansait avec Matthieu. Dire que ce n'était pas son type était un euphémisme, bien qu'il fut indéniablement beau garçon. Chiara avait rompu avec lui quelques mois plus tôt et le pauvre footballeur ne s'en remettait toujours pas. Il lui courait sans cesse après, essayait par tous les moyens de rétablir un contact avec elle, tout en faisant son possible pour ne pas la harceler. Equilibre qu'il avait de plus en plus de difficultés à maintenir. Katharina le comprenait, il ne retrouverait jamais aussi bien. Aussi belle. Aussi brillante. Aussi forte. Chiara était un trésor, et il l'avait perdue. Il y avait de quoi être déboussolé.

Il était en train de la soudoyer pour qu'elle raisonne son amie, mais Katharina ne l'écoutait pas. Sa voix, qu'il élevait assez pour contrer le volume des baffles mais pas trop pour éviter d'être entendu de quelqu'un d'autre, sonnait à ses oreilles comme un bruit de fond que l'on connaît sur le bout des doigts. Katharina, ce qui l'intéressait, c'était d'admirer son œuvre. La musique qui faisait trembler les vases. Les verres en plastique qui se multipliaient sur le sol. Les statuettes manquant s'écrouler à chaque frôlement. Ses parents l'avaient mérité. Quand ils avaient enfin daigné lui donner de leurs nouvelles par visioconférence, ils avaient paru complètement déconnectés de la réalité. Ils n'avaient même pas essayé de savoir comment elle allait. Ils n'avaient parlé que d'eux et de leur « somptueux voyage ».

Lorsqu'ils prendraient connaissance des festivités, parce qu'ils l'apprendraient tôt ou tard, elle serait punie au moins jusqu'à la fin des temps. Punie. Elle rit à cette pensée. Qui était encore puni à vingt ans ? Matthieu l'interrogea sur l'origine de son amusement, mais elle l'ignora encore, le laissant persévérer dans son argumentation. Du coin de l'œil, Katharina aperçut Chiara. Sans échanger un mot, elle comprit qu'elle la remerciait de son sacrifice.

Si seulement elle savait.


Caleb commençait fermement à s'ennuyer et s'apprêtait à partir. Il ne connaissait personne à part Katharina, ou plutôt il ne voulait apprendre à connaître personne. Il avait perdu Mandréline de vue quand son petit-ami l'avait vulgairement attrapée par les hanches. Jura continuait de le surveiller avec son insupportable sourire en coin. Quant à l'odeur, elle devenait absolument insoutenable.

Mais soudain, la fête se figea.

Au centre, deux personnes ivres se faisaient face, criant par-dessus la musique qui fut coupée une seconde plus tard. Katharina se fraya un chemin jusqu'à elles, exigeant qu'elles quittent sa maison. A peine eut-elle achevé sa phrase qu'un coup de poing non maîtrisé atterrit violemment sur son nez. Chiara enjamba une table et hurla à tous les invités que la fête était terminée.

La plupart des fêtards obéissant en protestant, Caleb parvint à se rapprocher des deux jeunes afin de les séparer. Il empoigna le premier, Jura le second. Ils échangèrent un regard électrique avant de les escorter jusqu'à la sortie.

Quand les deux étudiants eurent enfin décompensé, Caleb composa le numéro d'un taxi et Jura l'aida à les installer à l'arrière.

Mandréline déboula dehors, cherchant Caleb du regard. Elle l'avait vu attraper les deux trouble-fêtes et craignait que ça ne dégénère, ignorant si elle avait davantage peur pour Caleb ou pour les deux jeunes complètement saouls. Les portières claquées et le véhicule sur le départ, elle le trouva nez à nez avec celui qu'il avait soulevé du sol le jour de la rentrée. Persuadée qu'ils allaient encore en venir aux mains, elle s'élança vers eux, Luna — qui avait passé le reste de la soirée dans le jardin — sur ses pas.

— Caleb ! s'écria-t-elle. Tu es là depuis longtemps ?

Les deux pivotèrent vers elle. Leurs yeux respectifs allant de la jeune fille à la chatte noire. Jura fronça les sourcils et partit sans un mot, sous le regard pesant que lui accorda Caleb avant de se retourner vers Mandréline avec une fossette.

— J'allais rentrer, dit-il. Salut, Luna, ajouta-t-il en accentuant une deuxième fossette.

La petite chatte avait compris qu'il ne leur voulait aucun mal. Il se demanda si Mandréline en serait capable, elle aussi.

— Je t'ai vu embarquer ces deux types, alors..., expliqua celle-ci.

Caleb attendit qu'elle finisse sa phrase, au lieu de quoi ses deux colocataires débarquèrent.

— Mandréline, tu viens ? demanda Olive avant de réaliser qu'elle conversait tranquillement avec Caleb Gayl.

— Bon, moi je dois y aller. A plus tard, fit-il.

— J'crois pas, non, dit Olive.

— Pardon ?

— La bourge a pété un plomb.

— Il faut aller l'aider, compléta Liam.

— Quoi ? répondirent en chœur Mandréline et Caleb.

Olive les mena à l'intérieur, où Katharina était effectivement remontée. Elle avait refourgué un balai à Matthieu au moment où, lui aussi, s'était apprêté à sortir, et verrouilla la porte derrière Mandréline et ses amis.

— Vous ne croyez tout de même pas que je vais ranger tout ça toute seule ? demanda-t-elle en désignant le capharnaüm autour d'eux.

— Tu n'as pas de domestiques ? demanda Liam sans arrière-pensée.

— J'ai une gouvernante. Malheureusement pour vous, c'est son jour de congé. Vous êtes donc tous de corvée, dit-elle en leur présentant des sacs poubelles.

— Je dois rentrer chez moi, intervint Caleb. Ma grand-mère m'attend.

— Ce n'est pas négociable alors n'essayez pas de me berner avec de fausses excuses. Pas même toi. Au travail.

— Vraiment pas commode, glissa Liam à Mandréline.

Puis Olive ajouta dans un même murmure :

— On était en train de s'enfuir, mais je vois que tu nous as caché des choses ! Alors comme ça tu connais le beau Caleb ?

— Kat ! J'ai pas le temps de jouer, Aby m'attend, lança Caleb avant que Mandréline n'ait eu l'occasion de répondre à Olive.

— Elle va pas mourir plus vite parce que tu fais un peu de ménage ! Je suis même certaine qu'elle sera fière de toi. Arrête de faire l'enfant, plus vite ce sera fait, plus vite tu pourras la rejoindre.

— Ça alors, elle aussi, elle le connait ? souffla Olive à Mandréline.

— Et depuis plus longtemps, apparemment, répondit cette dernière, encourageant son amie à changer de cible.

— Le moins qu'on puisse dire, c'est que tu n'as pas changé, continua Caleb.

— Eh bien comme ça, nous sommes deux !

— Super, l'ambiance, chuchota Liam à ses deux amies.

Au milieu d'un champ de bataille composé de gobelets, de flaques collantes, de petits fours renversés sur le mauvais côté et de bibelots brisés en mille morceaux, ils se mirent tous à la tâche dans une atmosphère plus que relative. Caleb était agacé par Katharina et Katharina par Caleb. Matthieu ne lâchait pas Chiara du regard, qui était de plus en plus mal à l'aise. Mandréline se rejouait la scène avec Kyle en boucle dans sa tête. Elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle l'avait rejeté au pire moment, et qu'il lui manquerait très vite. Malgré tout, elle savait qu'elle avait pris la bonne décision. Kyle appartenait à sa vie d'avant.

Entre deux coups de loque, Olive jeta un œil à l'écran de son smartphone. Elle avait onze appels en absence. 

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant