Que les monstres périssent I

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Le matin du septième jour, Cassayre Lupardi réunit ses fidèles dans le réfectoire. Une centaine de Chasseurs en tenue signée du « L » argenté s'entassait entre les bancs.

La semaine au souterrain s'était écoulée sans que Mandréline ne s'en rende compte. Seul le sentiment d'imminence qui se refermait chaque jour davantage sur elle l'avait alertée entre deux séances, entre deux réveils en sueur.

Ses cauchemars n'avaient pas cessé parce qu'elle avait besoin de sommeil. Ils s'étaient même amplifiés, se démultipliant et se passant le relais pour l'empêcher de dormir. Lorsque le rêve commençait, une partie d'elle essayait de reprendre le contrôle de son esprit. Pas pour s'en échapper, mais pour poursuivre le déroulé des événements. Malheureusement, il s'agissait indéfiniment des mêmes images, qui défilaient avant de s'arrêter subitement, systématiquement au moment le plus crucial. Ce moment où elle devait en apprendre plus. Olive avait fini par intégrer ses soubresauts nocturnes aux bruits environnants et ne tressaillait plus à l'unisson avec Mandréline, qui préférait cela. Il n'était pas nécessaire de contaminer tout le dortoir avec ses insomnies.

Elle essayait toujours de comprendre quelle était la part de souvenir, d'anticipation ou d'imagination. Parce qu'elle avait bien identifié quelqu'un, qu'elle n'était pas censée être en mesure de reconnaître : sa mère. Il n'y avait que dans ses mauvais rêves qu'elle pouvait discerner de manière aussi nette les traits de son visage. C'était comme si la photo était restée imprimée dans son cerveau, à l'abri, en attendant de pouvoir servir. Toutefois, servir à quoi, à part à la torturer toutes les nuits et la hanter toute la journée, Mandréline n'en savait fichtrement rien.

Elle revenait souvent à l'idée cartésienne qu'il s'agissait de réminiscences du traumatisme qu'elle avait vécu en étant abandonnée, mais elle se faisait aussi vite une raison. Si ce n'était que ça, elle n'aurait pas fait ces dessins. C'était effrayant, néanmoins elle en était désormais convaincue : ils recelaient un sens qui dépassait les lois humaines. Et ses rêves, tellement clairs et confus, tellement intenses et parcellaires, en étaient des indices précieux qu'elle devait à tout prix déchiffrer. Parce que si Caleb avait raison et qu'elle venait d'ailleurs, elle avait encore une chance d'appartenir à une vraie famille. Elle avait encore une chance de comprendre qui elle était.

Jura, intimant le silence dans la salle, qui s'était pourtant — hormis dans la tête de Mandréline — établi naturellement, interrompit le cours désordonné de ses pensées.

— Mes chers Chasseurs, commença la Commandante, le moment de passer à l'offensive approche à grands pas. En ce jour particulier, j'aimerais remercier chacun d'entre vous pour votre investissement dans notre devoir de rendre le monde meilleur, plus pur, et plus sûr.

Les Chasseurs applaudirent la voix qui résonnait d'une assurance indétrônable, et Mandréline frissonna. A ses côtés, Olive n'en pensait pas moins. L'eugénisme* du discours leur donnait froid dans le dos.

— Jura, je te prie, l'invita Cassayre.

Mandréline sentait l'atmosphère s'alourdir. Plus loin sur sa gauche, l'air de Caleb était grave. Elle baissa les yeux sur sa main, qui tenait celle de sa grand-mère. Une peur ancestrale les saisissait, un amour discret les unissait. Aby passait son temps à lui faire des remontrances, et Caleb à feindre l'indifférence ou l'exaspération, mais l'amour qu'ils se portaient était indéniable. Ils formaient une famille au lien indestructible.

Depuis que le ton était monté entre eux, Mandréline et Caleb s'ignoraient comme de parfaits inconnus. Les entraînements comme le travail à la fabrique leur prenaient toutes leurs journées et toute leur énergie. Surtout, Caleb avait continué à se tenir éloigné du groupe, et Mandréline n'avait pas ressenti l'envie de lui réadresser la parole. Elle savait à quoi s'attendre. Tant qu'ils seraient entourés de Chasseurs, il la rejetterait. Elle ne pouvait qu'attendre, avec pour seules consolations sa colère, son inquiétude et sa frustration.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant