Curtis

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Devant le portique de sa maison, Curtis Jensen enfila une casquette sur laquelle se posèrent quelques flocons avant d'enlacer chacune de ses filles, puis d'étreindre sa femme.

— Je reviens vite, dit-il en embrassant leurs mines résignées. On partira tous ensemble.

Le pare-brise débarrassé de la pellicule blanche, il traversa l'allée jusqu'à sa voiture de service et régla le GPS pour Vrennes. Tâm courut jusqu'au véhicule et il baissa la vitre afin d'échanger avec elle un dernier baiser d'amour. Il était temps pour eux de récupérer leur fils et de ficher le camp.

Curtis avançait sans relâche que Liam allait certainement très bien, et qu'ils auraient été prévenus s'il lui était arrivé malheur. Néanmoins, il croyait moins encore en ses arguments que les femmes partageant son foyer. Si Liam se portait bien, il les aurait appelés, il leur aurait envoyé un message, il aurait emprunté le téléphone de quelqu'un ou envoyé un mail. Non, au fond de lui, Curtis savait que les inquiétudes de sa femme étaient fondées.

— Je vais le ramener, Tâm. Je te le promets, dit-il en serrant sa main dans les siennes. Je t'aime, soyez prudentes, ajouta-t-il avant de lâcher la paume devenue trop gracile.

— Toi, sois prudent. Le monde devient fou, dit-elle en scrutant les maisons voisines avec épouvante.

Quelques jours plus tôt, des individus avaient tenté un cambriolage chez un voisin, mais comme le voisin ne possédait plus rien à se mettre sous la dent, ils n'étaient parvenus qu'à amplifier la terreur des habitants de la maison ainsi que de l'entièreté du village.

Elle rejoignit leurs deux filles sur le seuil de la maison en pierre.

— Rentrez, maintenant, dit-elle en les poussant à l'intérieur en se frictionnant les bras, offrant un dernier regard à son mari qui prenait la route.

Curtis roula à bonne allure sans prendre de pause. Sans tous les détours, le trajet était plus court qu'en train, et la route déserte avait considérablement accéléré le voyage. Il serait arrivé en moins d'une heure si les chasse-neiges avaient déblayé le macadam. Plusieurs fois, les roues avaient dérapé sur le verglas. Il prit la direction de la dernière adresse que Liam lui avait confiée. La maison des Voliakov se dressa devant lui, immense, excentrique. Quand son fils leur avait parlé d'une amie qui avait de quoi les nourrir un temps, il n'avait pas envisagé ce genre d'amie. A l'arrière, Charlie, qui l'avait accompagné, aboya comme pour le presser de sortir. La portière ouverte, il déboula dans l'allée et bondit dans la neige, tout heureux de trouer la surface lisse. Curtis sonna, mais personne ne répondit. Faisant le tour de la maison, il glissa un œil suspicieux à travers les rideaux, mais la maison était désespérément vide.

Charlie ne devait pas ressentir la même anxiété, parce qu'il vagabondait joyeusement tout autour de la villa. Quand il s'arrêta pour renifler quelque chose, Curtis s'accroupit afin de déplacer la neige.

Des traces de pneus, presque indécelables, démarraient de la maison. Il caressa Charlie en lui remuant les babines pour le féliciter puis, les genoux et les mains gelés après avoir déterminé la direction prise par le véhicule, il remonta dans le sien et rappela le chien, qui sauta de bonne grâce à l'intérieur.

— On va faire un tour, Charlie.

Il allait le retrouver. C'était son métier. S'il n'avait pas de piste, il en trouverait une. Comment pourrait-il affronter le regard de Tâm, comment pourrait-il assumer son propre reflet, s'il n'était pas capable de retrouver leur enfant ? Il dormirait devant la villa des Voliakov toutes les nuits à venir, il ferait inlassablement le tour de Vrennes, inspecterait les pneus de toutes les voitures, si c'était ce qu'il fallait pour revoir son fiston.

Charlie aboya, laissant couler un filet de bave de sa langue pendouillante, et Curtis redémarra le moteur. 

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant