Quand la proie se dérobe au prédateur II/II

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Il n'y avait ni ailes ni pattes. Mais des bras, des jambes, des pieds.

Armin esquissa un sourire carnassier quand Alexandre, qui était passé du rouge au vert, le dévisagea comme un animal apeuré face à la mort qui l'attend. Les yeux exorbités de panique, les pupilles saccadées de spasmes, le pouls accéléré. Les jambes qui se dérobent. Il voulait parler, l'accuser, prévenir les autres. Mieux, il voulait reprendre le contrôle de ses membres et courir plus vite qu'il n'avait jamais couru. Néanmoins il restait là, tétanisé devant la satisfaction du directeur.

— Allons bon, tu ne souhaites plus visiter mon bureau ?

— Je... je... vous...

— Voyons, comment aurions-nous pu importer des porcs ? Tout a été dévasté et les transports sont bloqués.

— Vous... vous aviez dit...

— Crois-tu tout ce qu'on te dit ?

Alexandre se remémora l'appréhension qu'il avait ressentie lorsque la foule l'avait ovationné. Son intuition était bonne, il se tramait quelque chose, et au lieu de s'écouter, il avait voulu y croire. A la nourriture, à un nouveau foyer, à la paix. Mais tout n'avait été que mensonges et illusions, jusqu'à cet homme acclamé. Homme qui n'était qu'un fou meurtrier, un cannibale qui mangeait et donnait à manger ses semblables. Le pire crime que l'on puisse imaginer. Alexandre tremblait de tout son corps.

Armin posa une main froide sur son épaule pour l'apaiser. Cela lui glaça le sang.

— Allons, ne vas pas te mettre dans tous tes états ! Ne vois-tu pas que cela fonctionne ? Nous redonnons vie et espoir.

Alexandre se sentait mal. Mais aucun mot ne sortait. Il n'aurait su que les vomir.

— Allez, suis-moi, continua Armin en l'emmenant plus haut.

Le garçon se laissait pousser, ses jambes flageolantes avançant indépendamment de sa volonté, ses yeux témoignant encore et encore d'organes trop humains pour ne pas tituber. Sa tête lui tournait, l'empêchant de réfléchir. Les différentes salles de l'étage, les différentes portes, défilaient sous ses yeux sans qu'il ne les enregistre. Les ouvriers l'examinaient avec un drôle d'air, les yeux acérés, les narines dilatées. Armin le poussa plus fermement, l'obligeant à enjamber les marches, à traverser le couloir longeant les bureaux, à enjamber les marches encore. Puis il relâcha finalement la pression exercée sur son dos.

— Nous y voilà, annonça-t-il. C'est au fond !

En face de la porte, une fenêtre donnait sur l'extérieur. La pièce était tout ce qu'il y avait de plus ordinaire pour un bureau de direction, avec son fauteuil rembourré et ses placards métalliques. Alexandre ne repéra aucune arme et se détendit quelque peu.

— Assieds-toi donc, lui proposa Armin en lui tirant une chaise qu'il n'avait pas remarquée.

Il lui servit un verre d'eau et le laissa recouvrer un teint moins cadavérique. Alexandre avala le liquide d'une traite.

— Vous, vous allez... me manger ?

— Vois-tu, ce n'est pas l'envie qui me manque.

Alexandre déglutit et cacha ses mains tremblantes et moites sous la table.

— Mais non, je n'ai pas l'intention de te manger. Ni de te tuer, rassure-toi.

Le soulagement d'Alexandre, qui eut le sentiment d'enfin pouvoir respirer, se fit plus bruyant qu'il ne l'aurait souhaité.

— A... Alors pourquoi ... ?

Armin s'étira sur son siège.

— Je voulais te proposer quelque chose... Voudrais-tu m'assister dans mon travail ?

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant