Dernier combat II

7 2 0
                                    

Mandréline se précipita aussitôt vers la vitre, qui avait volé en éclats sous l'impact des deux corps qui atterrirent sur le toit en tôle de l'entrepôt. Le Loup était désormais seul face au wendigo, seul face au wendigo contre lequel les Chasseurs avaient constitué une équipe complète. Elle fit volte-face.

— On doit l'aider.

— Je veux bien, mais on s'y prend comment pour descendre ? répondit Liam pendant qu'Alexandre tremblait au milieu de la pièce. Si on saute on est morts.

Effectivement, soit ils sautaient, soit ils affrontaient les créatures momentanément domptées qui s'impatientaient dans le couloir. Dans les deux cas, ils étaient fichus.

— Alexandre ? l'interpela Mandréline. Tu sais comment on peut l'aider ?

Surpris qu'elle s'adresse à lui, il demeura immobile.

— Tu connais cet endroit, tu as une idée ? insista-t-elle.

— Je... Non, je...

Elle mourait d'envie de le secouer.

— Alexandre ! Tu veux nous aider ou pas ?

— Je... Il y a... Les gouttières, murmura-t-il pour ne pas être entendu des créatures qui attendaient derrière les Chasseurs. On peut les escalader, enfin, les...

— OK, fit-elle. Tu nous suis ?

Il hocha maladroitement la tête, pas très sûr de lui. De toute manière, il n'y avait plus rien pour lui à l'étage.

La petite chatte noire qui avait repris son aspect habituel sauta dans le vide et retomba sur ses pattes. Mandréline passa la tête à travers les triangles de verre qui avaient résisté au choc et fit un signe à ses amis avant d'enjamber l'appui de fenêtre et de disparaître à son tour. Liam, peu séduit à l'idée de s'évader par une fenêtre du quatrième étage mais ne voyant aucune alternative, l'imita. Le temps que la responsable réapparaisse et ordonne à ses sbires de rattraper les trouble-fêtes, ceux-ci étaient accrochés au mur, s'agrippant aux tuyauteries et autres prises branlantes.

Rubis et quelques Chasseurs, tous tachés de sang, formèrent un mur devant l'ouverture. Rubis, pour protéger son élève, les autres pour protéger Jura, qui s'était lancé à la suite de Liam. La rousse, retournant son chewing-gum avec sa langue, tendit sa lame en transpirant. A côté d'elle, quelques Chasseurs avaient commencé à tousser. Le feu se répandait.

— C'est bientôt terminé, mes jolis, dit-elle dans un sourire essoufflé avant de se jeter sur la vice-directrice.

Focalisée sur les prises qui s'offraient à elle et sur les grognements de Caleb, Mandréline identifia soudain l'origine du bourdonnement qui la troublait depuis que le Loup avait traversé la vitre. En bas, malgré les corps qu'ils avaient dû enjamber sur le chemin, des clients ébahis faisaient la queue, les chaussures imbibées de neige et du liquide visqueux des wendigos vaincus. Le jour était levé. Les habitants de Vrennes attendaient leur ration journalière.

A côté de la foule emmitouflée de laquelle s'élevait un enchevêtrement de chuchotements apeurés et suspicieux, le feu crépitait. Mandréline chercha ses amis des yeux, s'arrêtant de respirer le temps de s'assurer qu'ils n'étaient plus à l'intérieur. Massimiliano et Katharina traînaient dans la neige les corps bleus et atones d'Olive et de Coumba. Les prises de plus en plus chaudes, elle atterrit sur la tôle, bientôt suivie de Liam, Alexandre et Jura qui pesèrent à leur tour sur le toit fragile. Mandréline n'eut pas l'occasion de comprendre où se trouvaient Aby, Matthieu ou Chiara, ni comment s'en sortait Caleb, que Jura plongea sur Armin, son poignard d'argent à la main. Mais le glapissement qui résonna n'avait rien à voir avec le wendigo originel. La lame s'était plantée dans la poitrine du Loup.

Le cri de Mandréline se perdit dans le hurlement d'Aby, qui apparut enfin dans son champ de vision. La vieille Louve blanche avait la fourrure rougie par de nouvelles blessures et roussie par les flammes. Les oreilles basses et les babines sauvagement retroussées, elle bondit sur le Chasseur. Jura, qui connaissait l'entièreté des missions décernées aux Chasseurs, n'eut pas le temps de réaliser que la Louve censée être déjà morte se jetait sur lui. D'un dément coup de mâchoire, elle lui brisa la nuque.

Mandréline recommença à avaler de l'oxygène et accourut auprès de Caleb qui reprenait forme humaine sous les flocons qui pleuvaient. Il peinait à ouvrir la bouche, mais elle avait compris. Pendant que sa grand-mère l'entourait de sa fourrure pour réchauffer son corps nu, Mandréline arracha la lame d'un coup sec et la lança droit sur le cœur d'Armin.

Néanmoins la dague ricocha seulement sur le cœur gelé, et des pierres gluantes volèrent en sa direction. Les clients de la boucherie qui n'avaient pas encore fui en voyant le Loup, scandalisés, agressaient les intrus et le loup-garou à coups de cailloux qui éraflèrent leur peau. Liam s'était fait un bouclier de ses bras, mais un galet vint frapper le visage de Mandréline qui, trop obnubilée par le wendigo et Caleb, n'avait pas eu ce réflexe. Elle saignait abondamment et frotta la coulée d'un revers de manche. Elle était un peu sonnée, mais n'avait pas vraiment mal. Luna, les yeux roses, tournait frénétiquement autour de ses chevilles en miaulant. Reprendre son apparence de panthère n'aurait fait qu'attiser le sentiment de peur et de révolte des citoyens. Son propre sang essuyé, Mandréline s'agenouilla devant la plaie de Caleb. Enrobé dans les poils denses de sa grand-mère, il avait perdu connaissance, mais avait déjà commencé à cicatriser. A bout de nerfs, la jeune fille se redressa pour s'adresser aux citoyens.

— Il vous ment ! clama-t-elle à pleins poumons. Armin... C'est un monstre, un wendigo qui se nourrit des habitants de cette ville ! Il n'y a jamais eu de porc ! expliqua-t-elle. Il vous oblige à vous entre-dévorer !

Elle leur expliqua tout en un seul souffle. La viande humaine. Les enlèvements. La maltraitance. Les viols. Les meurtres. Le cannibalisme et la malédiction.

Derrière elle, Armin riait sans plus se ravoir.

Mandréline ne mit pas longtemps à comprendre l'origine de son hilarité.

— Pourquoi vous faites ça ! s'indigna une femme dans la foule.

— Comment vais-je nourrir ma famille ? demanda l'un des rares hommes qui avait encore du ventre.

— Pauvre folle, vous venez de tous nous condamner !

— Les monstres n'existent pas !

— Il vous suffit d'arrêter de manger ce qu'il..., commença Mandréline.

— Et que veux-tu qu'on mange, pauvre idiote !

— Elle ment !

Le chaos s'empara de l'assemblée de laquelle s'élevaient pleurs et cris de colère. Mandréline ravala sa salive, coupable. Maintenant qu'ils savaient qu'ils mangeaient de la chair humaine, le prochain repas leur serait fatal. Elle leur avait imposé la vérité, ne leur laissant que deux choix possibles : muter ou mourir. 

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant