La mort à en perdre l'esprit I/IV

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Mandréline enjamba les sièges et les corps de ceux qui n'avaient pu être réanimés. En escaladant le train, elle s'était aperçue que son pendentif, qui constituait les derniers vestiges de son ancienne vie, avait disparu. Elle avait beau ne placer que peu d'espoirs en ces parents qui l'avaient lâchement abandonnée, qui s'étaient débarrassés d'elle comme d'un animal indésirable... Elle n'avait jamais été au fait des véritables raisons qui les avaient poussés à faire ça, et il y avait peu de risques qu'ils soient pires que Rachel et Bertrand. Il était même probable qu'ils aient eu de très bonnes raisons d'agir de la sorte. Ils avaient pu perdre leur emploi, devoir combattre la maladie. Ou peut-être étaient-ils simplement trop jeunes à cette époque ? Il restait une chance infime pour que leurs motivations aient été louables. Pour qu'ils aient seulement souhaité lui offrir un avenir plus favorable. Même s'ils avaient lamentablement échoué.

Elle scruta les alentours. Sa besace n'était plus à sa place. Rien d'étonnant. Le wagon était sens dessus dessous. Elle frissonna en essayant de se dérober aux yeux restés ouverts qu'elle enjambait. Les sacs et les valises en vrac avaient vomi leur contenu, disséminé comme du sable par une tempête.

Et tout à coup elle le vit. Deux passagers, les membres disloqués pendant de part et d'autre d'un accoudoir, la fixaient de leurs yeux vitreux. Entre eux, discrètement, la pierre de lune de son pendentif étincelait.

Avec hésitation et retenant un haut-le-cœur, Mandréline empoigna la chaîne d'un coup sec. Mais reculant avec empressement, elle trébucha, tombant sur le siège opposé et piétinant un visage. Elle se redressa aussitôt, bouclant la fermeture du pendentif autour de son cou avant de risquer de le perdre à nouveau. Se saisissant des paquets de biscuits dont elle avait dépouillé quelques voyageurs, elle reconnut son sac et le cala sur son épaule, franchissant à toute vitesse la porte coulissante qui ne fermait plus.

Néanmoins, le même spectacle s'offrit à elle dans le suivant. Des yeux vidés de leur essence la scrutaient avec insistance. Les jambes flageolantes, Mandréline entendit de loin quelqu'un qui l'appelait, et autour d'elle, tout chancela. Elle laissa retomber son chargement afin de mieux se tenir contre la paroi de la voiture. Une voix prononçait son nom sans relâche, martelait dans sa tête.

Une voix féminine, douce, urgente.

Mandréline !

Comme frappée par un énième coup de marteau, elle se recroquevilla, les mains sur les tempes. Son nom résonnait et les images s'emmêlaient dans son esprit, indéfinissables et sinistres. Des formes humaines vacillaient dans sa tête, et la voix continuait de crier, appelant au secours.

— Mandréline ! Qu'est-ce que tu as ?

Liam posa d'abord une main sur son épaule puis, comme il n'arrivait à rien, releva délicatement son menton.

— Hé, oh ? Mandréline ? C'est Liam !

Elle était sonnée. Son regard était figé, concentré sur un point qu'elle seule semblait voir.

— Mandréline, il n'y a rien, par-là...

Mais elle ne réagissait pas, et ses mains, glacées, frémissaient de terreur.

— Viens, je vais te sortir d'ici.

Il accrocha son sac sur son épaule et hissa Mandréline sur son dos, titubant légèrement à son tour. Il n'était pas beaucoup plus costaud qu'elle.

*

Caleb s'était assis dans un coin du sous-sol en attendant que le temps se calme. Les murs de la chaumière tremblaient et le feu s'était déclenché sur un arbre voisin. Les volets claquaient contre les vitres avec une telle violence que Caleb se demanda comment elles n'avaient pas encore volé en éclats.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant