Voleurs III

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— Aby ! rugissait Caleb dont la pilosité s'accentuait.

La grand-mère en chemise de coton, qui n'avait pas attendu le bon vouloir de Katharina, avait dévalé les marches avec Olive, Liam et Matthieu.

— Prenez tout ce que vous trouvez d'inflammable, avait énoncé Aby en ouvrant tous les placards.

A l'autre bout du rez-de-chaussée, Luna ne suffisait plus à freiner les créatures, et bientôt elles laisseraient déferler leur colère sur Mandréline. Les poils qui avaient discrètement poussé sur les bras et les jambes de Caleb se muèrent en fourrure, le recouvrant d'une seconde peau. Ses ongles devinrent griffes d'argent. Son dos se courba, jusqu'à ce que ses mains, déjà pattes massives, touchent le sol. Le Loup releva ses yeux mordorés vers Mandréline qui le dévisageait autant que les autres personnes présentes, à l'exception d'Aby.

Il coucha les oreilles puis dévoila des dents acérées, et chargea les monstres décharnés. Dénué de toute pitié, il planta crocs et griffes, défigurant un peu plus les choses qui leur faisaient face, faisant tomber une tête avant de se retrouver assailli par une autre créature.

— Distribuez les bouteilles, pressait Aby.

— Ça n'inquiète que moi que tout le monde se transforme en je-ne-sais-quoi ? marmonna Liam dont les genoux tremblaient, les bras chargés d'alcool, courant vers Katharina qui ne lâchait pas des yeux l'énorme loup qui se débattait dans le hall.

— Ferme-la et grouille, Jensen ! répondit Olive qui le suivait avec Matthieu, tout aussi encombrés.

— Vous n'avez pas encore compris que parler me détend ?

— C'est pas le moment de se détendre ! hurlèrent en chœur Olive et Katharina.

Au milieu de l'escalier, Katharina s'empara de la bouteille de whisky qui surplombait les autres et la jeta violemment pour la faire éclater aux pieds des monstres, qui lui adressèrent aussitôt un regard bestial.

— Euh, si votre but est de les énerver, je vais attendre gentiment plus loin, avertit Liam, anémique, en faisant mine de remonter.

— Tu restes ici, l'attrapa Olive.

— Vraiment ? Parce que je ne suis pas très costaud et...

Elle posa son chargement, s'empara d'une bouteille, et la lança à son tour, la brisant au sol. L'homme à proximité, qui n'en était plus vraiment un, poussa un cri étrange, strident, indubitablement contrarié. Le Loup et la panthère les retenaient tant bien que mal en bas, mais les bris de verre agaçaient les créatures qui essayaient de monter l'escalier.

— Mitraillez-les, conclut Katharina en attrapant une deuxième bouteille.

— Où sont les allumettes ? cria Aby de la cuisine.

— Est-ce que j'ai l'air de quelqu'un qui utilise des allumettes ? cria Katharina entre deux lancers.

— Ce sera plus efficace d'en haut, dit Olive en remontant les marches jusqu'au palier.

Liam, heureux de pouvoir reculer, la suivit avec les autres. Vodka, rhum, gin, tequila, porto, vin et champagne, tout y passa. Les bouteilles explosaient à la figure comme aux pieds des créatures, les excitant plus encore, des bouts de verres recouvrant le sol et éraflant les costumes.

En bas, les deux métamorphes trempés d'alcool s'étaient écartés autant que possible, mais les monstres revenaient sans cesse à la charge, de plus en plus laids. Luna saignait, ses rugissements se perdant en gémissements. Caleb n'avait pas plus fière allure, des dizaines de demi-cercles en profonds pointillés blessant sa chair. Derrière eux, Mandréline se sentait aussi vulnérable qu'inutile et coupable.

Aby émergea enfin de la cuisine pour lui lancer un petit carton. Elle resta à fixer le paquet durant une seconde, puis tira sur une allumette. Dont aucune flamme ne jaillit.

Nerveusement, elle frotta encore le côté de la boîte. Une fois, deux fois... Luna couina en atterrissant violemment et pour la énième fois contre un mur, et le Loup, bien que rugissant de toutes ses forces, n'avait plus que trois pattes valides pour se battre. Les créatures se rapprochant inexorablement, le feu se répandit enfin sur la tige en bois que Mandréline jeta aux créatures.

Qui ne s'en soucièrent pas le moins du monde.

Les iris dorés croisèrent les siens un instant avant que le Loup projeté par une des créatures n'atterrisse à son tour flanc contre sol.

— Caleb ! hurla-t-elle devant la violence de l'impact.

Les mains tremblantes, Mandréline obéit à ce qu'elle avait cru lire dans ses yeux et recommença, tirant sur les allumettes avant de les lancer, encore, et encore, visant les bras, les torses, les jambes, et surtout les pieds. Mais il ne se relevait pas, contrairement aux flammes naissantes.

Les deux métamorphes assommés, les créatures rongées par les flammes se jetèrent sur Mandréline, faisant couler son sang malgré les efforts de Luna qui se redressait déjà pour faire bouclier de son corps. Le feu montait, de plus en plus fou, de plus en plus incontrôlable et meurtrier.

Aby fonça au milieu des créatures, attrapant le Loup par la nuque avant de l'envoyer du côté opposé. Dans un dernier effort, la panthère noire qui avait entouré Mandréline de son corps prit son col dans sa gueule pour la traîner au galop. En quelques coups ciblés étonnement souples pour son âge, la grand-mère s'éloigna du groupe monstrueux juste avant que les flammes ne les engloutissent.

Enfin ralenties, puis immobilisées, les créatures fondirent comme de la glace, avec tant de terreur que de fureur ou de stupéfaction.

Luna reprit sa taille habituelle ainsi que la couleur violette de ses prunelles. Des hommes en rouge qui avaient conservé la tête sur les épaules ne restaient que leurs uniformes, baignant dans les flaques visqueuses et encore crépitantes de leurs corps fondus.

— Quelqu'un va m'aider ? fit Katharina, un extincteur à la main, déjà en train de répartir la poudre blanche pour éteindre l'incendie.

Les garçons partirent faire couler l'eau dans des seaux.

L'extincteur toujours en main, elle tourna la tête pour voir ce qu'ils fabriquaient dans la cuisine.

— Mais pas de l'eau sur le parquet ! eut-elle envie de se taper la tête. Prenez des essuie-tout !

— Hein ? Pourquoi ? demanda Matthieu.

— Est-ce que vous pouvez juste faire ce que je vous demande sans contester ?

Pendant qu'ils s'armaient de rouleaux de papier sans comprendre le problème, ceux qui s'étaient retrouvés au milieu des créatures reprenaient leur souffle. Mandréline s'était immédiatement tournée vers Luna et Caleb, inquiète de la gravité de leurs blessures. Mais celles-ci s'étaient déjà résorbées. Secouée par l'événement, elle ne se posa pas davantage de questions. Tout le monde allait bien, c'était le plus important. Elle-même n'avait été que superficiellement griffée, même si elle mettrait plus de temps à cicatriser.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant