4.2. Ce que l'on sait

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Novembre 3516


Sera ne sait pas depuis combien de temps elle nage. Elle se contente de suivre le courant, se fiant à un instinct habitué à la terre plus qu'à la mer dans laquelle elle s'est jetée pour aller chercher de l'aide. Et elle est affolée.

- Plus vite. Je dois aller plus vite.

Elle a conscience que pour devenir un héro professionnel, elle ne devrait pas paniquer comme ça, prendre le chemin le plus court, et aller simplement chercher les secours. Peut-être même qu'elle aurait dû se transformer en oiseau. Mais la connaissance des vents qu'elle a est trop limitée et sa connaissance des oiseaux de haute mer aussi. Elle a préféré devenir une sorte de poisson à demi humain, ses écailles la protégeant du froid, et sa queue grise palmée se secouant de droite à gauche.

- Plus vite. Je...

Les animaux marins ne sont pas son point fort. Elle les a trop peu travaillés. Et ses cheveux oscillent entre le bleu marine et le noir, tant elle est inquiète. La forme de ses épaules anormalement tombantes pour une meilleure vitesse, et par une plus mauvaise prise au courant, frissonnent. Elle semble glisser dans l'eau avec sa nouvelle forme de visage, plus fine, qui l'empêche pourtant de regarder devant elle, si elle veut la mettre à profit.

- Voilà pourquoi les yeux des poissons sont sur les côtés de leur visage... se dit-elle dans un moment d'égarement.

Sera ferme brièvement les yeux, se concentrant sur son ouïe pour tenter de suivre le son de la ville, ressentant les vibrations dans l'eau, déterminant rapidement qu'elle s'éloigne du bateau. Elle rouvre les yeux, sa vision s'assombrit un moment, et elle peine soudain à regarder devant elle, nauséeuse. Comme si elle pleurait des larmes telles que celles que les poissons ne peuvent pas pleurer.

Elle ne reprend ses esprits que lorsqu'elle entend un long et strident hurlement. La sensation râpeuse du sable sous ses genoux ou plutôt de ce qui est l'équivalent de ses genoux à cet instant la réveille comme dans un sursaut. Elle se débat, pose les mains à plat sur le sol malléable, et redresse la tête, pour la sortir de sous l'eau.

Sera ne voit d'abord pas vraiment ce qu'il y a autour d'elle, parce que sa vue n'est pas adaptée à l'environnement terrestre, et lorsqu'il l'est, elle remarque soudain qu'elle est sur la plage, et tend la main vers la première personne qui s'approche d'elle en courant : une jeune femme. Elle leur pousse un cri étranglé, ne réussissant pas à penser à ses cordes vocales avant de sortir un son. L'adolescente doit s'y reprendre à plusieurs fois pour sortir un mot, la voix terriblement rauque :

- On a besoin d'aide. S'il-vous-plaît...

Elle pleure plus qu'elle ne parle, mais elle tente d'expliquer, et s'étouffe.

La femme aux cheveux arc-en-ciel tente de lui répondre quelque chose, mais dans sa panique, Sera n'en comprends pas le moindre mot. Elle peine à respirer, tousse, crache, panique, et un homme s'approche à grandes enjambées, l'attrape par les aisselles, et l'entraine à nouveau dans l'eau. Elle comprend soudain que ses branchies, sur sa gorge, palpitent. Elle ne peut pas vraiment respirer ici. Sera ne fait pas grand-chose avant de sentir à nouveau l'eau l'enrober.

Les deux adultes tentent de lui faire reprendre sa respiration, et de la calmer, sans vraiment y parvenir. Sa crainte redouble même à la seconde où elle tente de transformer ses poumons, pour respirer à nouveau normalement, se rendant compte qu'elle a oublié comment faire en l'espace d'un instant.

Sera se débat jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle ne peut pas sortir de l'eau, répétant encore et encore :

- On a besoin d'aide !

Elle s'essouffle, s'inquiète, pleure, et panique, sans avoir la moindre idée de quoi métamorphoser en premier, ni de comment le faire. Elle n'arrive même plus à se souvenir de ce à quoi elle ressemble. C'est la dernière chose dont elle se souvient. Ce saut en pleine mer, pour se noyer dans une terreur sans nom.

Elle entend la sonnerie stridente de l'ambulance, les deux adultes répondre au téléphone, des curieux s'attrouper, des médecins s'approcher d'elle après avoir traversé la foule, et le déclic des appareils photos. Sera se sent nauséeuse, tente de se redresser, et d'expliquer qu'elle n'est pas celle qui a le plus besoin d'aide, sans réussir à se faire écouter.

- Reculez, s'il-vous-plaît ! Reculez !

Rien ne sort de sa bouche. Elle n'est ni capable de se rendre utile, ni de répondre à la moindre de leurs questions. Et c'est avec inquiétude qu'elle les écoute parler d'un alter qu'elle ne possède pas, d'une classe aquatique. Et la tension monte encore quand elle doit s'expliquer, sans y parvenir.

- Ecoute, petite, je ne peux pas m'occuper de toi si tu ne dis rien, tu comprends ?

- Ils ont besoin d'aide. Je vous en prie, ils sont sur le bateau...

- Quel bateau ? demande l'homme en blouse.

Elle remarque sa blouse d'urgentiste, et se demande vaguement pourquoi il s'est retrouvé dans cette ambulance avec les autres, alors que l'uniforme n'est pas le même. Elle hésite à lui dire ce qu'il en est. Mais elle ne le fait finalement pas. Non, elle ne peut pas dire à quelqu'un en qui elle n'a pas confiance qu'elle est métamorphe. Elle ne veut pas que ça se sache. Et cette question la prend suffisamment pour qu'elle en oublie pourquoi elle est dans cette situation.

Les métamorphes ont beau être rare, chaque humain est rare à sa façon. Elle ne peut pas les laisser s'occuper d'elle en priorité, quand d'autres de ses camarades sont coincés sur un bateau sans pilote.

- Les autres sont tous seuls sur le bateau, en mer. On voulait aller sur l'île... parvient-elle à dire, soudainement lucide.

Le visage de plusieurs personnes proches perd leurs couleurs, et elle sent enfin un changement d'atmosphère. Ce que la présence de cette jeune fille induit, c'est que si le reste de ses amis est toujours en vie, ils doivent avoir besoin d'une aide nécessaire et immédiate. L'urgence se fait enfin ressentir, et Sera semble respirer à nouveau.

- Combien de personnes sur ce bateau ? Quel âge ?

- Six. Seize ans. Sauvez-les... je vous en prie...

La couleur de ses cheveux change sans lui demander son avis, et elle soupire enfin, soulagée. Elle a réussi. Elle a fait tout ce qu'elle pouvait. Elle a peut-être pu les sauver. Mais l'a-t-elle vraiment fait ?

Sans attendre, Sera ferme les yeux, et se laisse couler dans les petites vagues de la mer.

- J'ai besoin de Kelly.

- J'ai besoin de Kelly

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MétamorpheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant