14.2. Ce qu'on laisse derrière soi

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Octobre 3513


C'est son dernier carton. Elle le referme avec peine, tassant le plus possible les vêtements dans le fond, tout en pensant que si elle avait accepté l'offre de sa mère, elle n'aurait même pas eu à faire ces cartons elle-même. Mais Sera secoue la tête. Elle n'a pas vraiment envie de laisser des inconnus toucher à ses affaires. Combien même elle n'a rien à voler, elles lui restent tout de même précieuses.

Précieuses... les affaires, les vêtements, même les cahiers qu'elle aura bientôt seront plus précieux que tout ce qu'elle vient d'emballer. Elle avait essayé de ne pas trop y penser. C'est dur.

Sa mère passe la tête dans l'encadrement de la porte.

- Tu es prête ? On part devant. Ne t'en fais pas, personne ne touchera à tes affaires. C'est une société de déménagement. Ils sont professionnels.

Si elle n'avait pas assisté au mariage de sa mère et de son beau-père une semaine avant, elle n'aurait pas cru que cette fois, elles n'auraient pas à pousser les meubles elles-mêmes, et à ranger les cartons selon un jeu de casse-tête dans la voiture pour n'avoir qu'un seul voyage à faire.

- Je n'ai pas envie de partir, lâche l'adolescente.

Les sourcils froncés, Yuka s'approche d'elle.

- On en a longuement parlé, toutes les deux. On ne va pas rester ici, alors que Ryūtarō nous offre une vie meilleure un peu plus loin. Il faut évoluer. Nous évoluer. Tu pourras avoir de bonnes écoles, et faire tout ce que tu veux de ta vie.

Sera repense à ses vœux de lycées, rendu deux mois plus tôt.

- C'est pour ça que tu l'as épousé ? se permet-elle de demander. Parce qu'il est riche ?

Sa mère rit doucement, et la serre dans ses bras.

- Non. Je l'ai épousé parce que c'est quelqu'un de bien, et que je l'aime. Mais je ne vais pas me priver de sa richesse pour t'offrir un meilleur avenir. Tu sais, parfois, tout se passe bien, sans qu'on sache pourquoi. On est à ce moment de ma vie. Le tien viendra un peu plus tard, mais rien ne t'empêche de profiter un peu de mon bonheur, tu ne crois pas ?

Silencieuse, l'adolescente ne prévoit pas de répondre. Elle ne saurait pas quoi dire, de toute façon. Mais quand même...

- Tu ne change plus tes cheveux de couleur ?s'étonne sa mère en caressant doucement sa tête.

Mal à l'aise, Sera se dégage, et recule.

- Je ne vais pas jouer avec mon alter toute ma vie, réplique-t-elle en se détournant, faisant mine de rassembler encore quelques affaires déjà rangées.

La femme à la robe bleue ne répond pas. Depuis quelques temps, elle a l'impression de s'éloigner de sa fille, lentement, et la couleur de ses cheveux atteste de cet éloignement. Parce que la jeune métamorphe ne montre plus ses émotions par couleurs, et que les mèches brunes poussent à vue d'œil. Si elle ne les transforme pas elle-même, il faudra sûrement qu'elle aille chez le coiffeur pour s'occuper des petites fourches aux pointes. Ce serait bien la première fois en plusieurs années qu'il faudrait qu'elle s'y rende, mais....

Yuka retient un soupir.

- Je vois. Je descends, tu me rejoints ? Prends ton temps pour dire au revoir à l'appartement.

- Ce n'est pas à l'appartement, que je veux dire au revoir, marmonne-t-elle sans la regarder.

Déjà sortie, sa mère ne l'entend pas, et elle se retrouve dans la pièce à moitié vide. Elle n'a pas vécu tant d'années que ça ici. Et ce n'est pas comme si elle avait beaucoup de bons souvenirs à garder de cet endroit. Néanmoins, Sera s'approche de la fenêtre, et regarde les immeubles dépassant le bâtiment en face d'elle, un soupir désespéré pendu au cœur.

Il y a encore quelques jours, elle pouvait aller au bar, voir Kelly et Seal. Maintenant, elle peut s'asseoir sur ses deux seuls amis, aussi adultes soient-ils.

Cette pensée la peine.

Sa mère lui impose une nouvelle vie au moment où elle n'en n'avait plus besoin. Au moment où tout commençait à aller pour le mieux pour elle. En faite, c'est plutôt une forme d'exaspération, qui la ronge doucement. Elle considère que sur ce coup là, sa mère n'a pas pensé à elle. Pas assez. De meilleurs moyens matériels ne veut pas dire qu'elle retrouvera les mêmes moyens sociaux.

« Je te vois bouder de ta fenêtre », lit-elle sur son téléphone. Elle le cherche du regard, et le voit tracer sans s'arrêter, ni même regarder vers elle. Sera sourit, sans répondre pour autant. De toute façon, ce n'est pas comme si c'était un message qui appelait une réponse.

Elle se redresse, se détourne de la fenêtre, et sort fièrement de sa chambre. Ses affaires la suivront, elle n'a pas à s'en préoccuper, pas vrai ? Elle referme la porte de la pièce, enfile ses chaussures dans l'entrée, jette un regard appuyé à l'appartement presque vide, et sort de l'endroit.

Tout ce qu'il y a autour d'elle jusqu'à ce qu'elle monte dans la voiture, puis tout ce qu'il y a autour du véhicule lui rappelle que le décor ne sera finalement qu'un souvenir, et qu'elle ne reviendra jamais ici.

- Tu es prête ? On y va ! Tu vas adorer ta chambre. Tu verras, ton père l'a faite décorer comme tu aimes.

- Mes affaires ne sont pas encore dedans.

- Ne t'en fais pas, réplique-t-elle, tu pourras faire absolument tout ce que tu veux dedans, ne t'en fais pas. Et si la déco ne te plait pas, on pourra la refaire aussi, il y a d'autres chambres que tu pourras avoir en attendant.

- Ouais... répond Sera peu convaincue. Mais c'est ma chambre, que je veux.

Yuka lui propose joyeusement d'aller au restaurent pour fêter el déménagement toutes les deux, ou d'aller au cinéma, et la tête appuyée contre la vitre, faisant face au paysage défilant, la jeune métamorphe se met à pleurer en silence.

Le téléphone sonne et la mère répond, appuyant sur le bouton de la console.

- Coucou ! On part de l'appartement !

- Pas trop fatiguée pour conduire ? Tu veux que je t'envoie quelqu'un ? demande-t-il inquiet.

- Ne t'en fais pas, j'en ai vu d'autres ! On ne rentre pas tout de suite, on va se faire une sortie entre fille avant, ne nous attends pas avant ce soir.

Il soupire de soulagement.

- Tu ne sais pas à quel point ça tombe bien, ma réunion a deux heures de retard, j'aurais de la chance si je rentre pour dîner.

- D'accord, ne t'en fais pas, on ne regardera pas l'heure, alors !

Il rit doucement.

- Super, à ce soir, les filles.

- A ce soir ! chantonne Yuka en souriant.

Elle tourne la tête vers sa fille qui lui lance, sans la regarder, la voix métamorphosée :

- On peut aller chez le coiffeur en premier ? J'ai envie de voir ce que qu'on pourrait faire pour changer ça, dit-elle en attrapant une mèche.

Elle fait son possible pour sécher ses larmes, tandis que la femme change le volant de couleur par plaisir :

- Faisons ça !

- Faisons ça !

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