6.1. Ce qui brille aujourd'hui

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Avril 3517


Taeko met un pied dans le gymnase à une heure où les autres dorment déjà. Deux semaines ont passé après la rentrée, et elle estime maintenant avoir suffisamment pris ses marques pour s'éclipser du dortoir le soir, avec l'accord de son professeur référent, pour s'entrainer. Elle croise une autre étudiante, qui la salue en passant en sens inverse, pressée, et de petites mains de couleurs peinturées sur son t-shirt.

L'adolescente l'aurait sûrement bien plus regardée, détaillant son air fatigué mais souriant, son expression préoccupée, mais le sourire serein, ses cheveux noirs et blancs en bataille dans une tresse pourtant encore impeccable. Mais la fille en question passe bien vite, et elle n'a pas le temps d'en regarder plus. Elle préfère resserrer ses doigts sur la serviette de toilette qu'elle a prise pour s'éponger, et faire crisser sa bouteille d'eau en plastique dans son autre main.

En y pensant, elle desserre sa poigne, grognant intérieurement pour cette bouteille en verre disparue depuis trois jours, et que personne n'a vu, et elle appuie sur la poignée. Les lumières sont encore allumées dans le gymnase, plus petit que les autres, dans lequel elle a pour habitude de passer ses entraînements de renforcement.

Elle pose sa bouteille, sa serviette sur le banc juste à côté, et commence ses étirements.

Pas moins d'une minute plus tard, son regard croise celui cerné de Shinso, qui la détaille sans gêne, bandages aux mains. Elle croit tout d'abord qu'il s'est blessé, avant de reconnaitre les bandes d'entrainement, que l'on met pour se protéger la peau des coups que l'on donne. Il s'entrainait sûrement à un sport de combat.

- Tu es là depuis longtemps ? demande-t-il d'un air morne.

- Je viens d'arriver, répond-elle les mains sur les hanches. Je ne savais pas que tu étais là aussi.

Il acquiesce doucement, fait demi-tour, et reprend un entrainement qu'il a interrompu, semble-t-il, le temps de se passer la tête sous l'eau. Ses cheveux mauves lui font perdre quelques centimètres, alourdies et assombries par le liquide froid, gouttant encore à leurs pointes.

Et tandis qu'ils s'ignorent, l'entrainement de Taeko commence rythmé par les coups de poings dans le sac de frappe. Paf Paf Paf Paf-paf. Paf Paf Paf Paf-paf. Elle lève le poing, le projette devant elle, ramène ses jambes, s'accroupit. Paf Paf Paf Paf-paf. Elle saute soudain, tourne sur elle-même, envoie sa jambe en l'air, la ramène, frappe l'air du coude. Paf Paf Paf Paf-paf. Elle change de côté, d'appuis, et reprend son combat contre cet ennemi invisible qu'elle s'est crée le temps de cet entraînement.

Elle ne reste pas plus de deux heures et demies à l'intérieur. Quand elle s'arrête, c'est que les coups réguliers, après avoir changé plusieurs fois de fréquence, se sont arrêtés, et qu'elle n'a plus la force de continuer sans rythme.

Elle s'éponge le visage, devant la porte ouverte, profitant du frais de l'air extérieur. Son entraînement de demain sera sur de la mise en pratique de théorie. Elle va devoir trouver en un temps donné toutes les métamorphoses possibles dans des cas particuliers. Toujours toute seule. Dans ce gymnase. Elle devra s'inventer des situations, les modéliser dans son esprit, et utiliser le matériel de gymnastique qui est à sa disposition pour se plonger dans un chaos à gérer.

Shinso passe près d'elle avec un signe de tête, chassant ses pensées au passage et demandant silencieusement si c'est elle qui referme la porte. Elle acquiesce, et il lui donne les clefs, avant de partir devant. Toujours sans un mot.

Cette situation se répète sur plusieurs jours. Ils se retrouvent logiquement tous les deux à l'intérieur les jours où leur emploi du temps est le moins chargé, ou les jours où ils n'ont pas de pratique sportive, et elle commence à s'entraîner lorsqu'il commence à frapper le sac, ou à faire tout autre chose en lien avec de la boxe, rythmant l'air de la salle. Chacun dos à l'autre, à un bout de la pièce, ils ne s'adressent pas la parole. Simplement un regard, en arrivant, et un deuxième en repartant.

Et quand arrive la fin du mois, le professeur principal la convoque dans son bureau, entre deux cours.

- Alors. Euh... est-ce-que tu t'intègre bien ? demande-t-il mal à l'aise.

Le grand Vlad King n'a pas l'habitude de ce genre de choses, bien que les étudiants transférés ne soient pas une denrée rare, mais la demande vient tout droit du directeur, qui a fortement insisté pour avoir de ses nouvelles.

- Oui, je pense que oui, répond-elle en hochant la tête. Je m'entends bien avec tout le monde, et je n'ai pas de soucis à rattraper les cours que vous avez déjà étudiés. S'est-on plaint de mon comportement ? s'enquit Taeko ensuite.

Elle se doute que non, mais la question lui traverse tout de même l'esprit. Ne sait-on jamais.

Le professeur en jaune secoue la tête, l'air de ne pas avoir pensé à cette possibilité une seule seconde.

- Pas du tout, nous voulions juste savoir si tu étais bien ici.

- Je suis bien. Les sites d'entraînement sont agréables, ma chambre est confortable, on mange bien à la cantine, et il y a une bonne ambiance de classe. Je pense que ça va.

L'homme assit acquiesce, rangeant ses papiers et se lève :

- Alors c'est que tout va bien. On devrait y aller avant d'être en retard. Tu vas travailler avec nous aujourd'hui. On a un exercice en commun avec la Terminale A. tu les as déjà rencontrés ?

Elle réfléchit un moment.

- Ce n'est pas après eux que Neito hurle de temps à autres dans le réfectoire ?

- Si, soupire-t-il avec lassitude.

Elle se souvient alors de cette fille aux cheveux noirs, qu'elle avait vue l'autre soir, sans se souvenir d'où elle la connaissait jusqu'à maintenant. Mais avec un effort de mémoire supplémentaire, elle se rappelle l'avoir déjà vue avec les élèves de l'autre classe.

- De loin. Je ne les connais pas personnellement. Si je me souviens bien, nous sommes les deux seules classes héroïques de notre niveau, c'est ça ?

- C'est ça.

Ils marchent dans le couloir en silence, et si Vlad King est quelque peu mal à l'aise de ne rien dire, ça ne semble pas gêner Taeko, qui marche tranquillement en regardant autour d'elle.

Le temps a semblé passer lentement, à cause de la chaleur écrasant des derniers jours, trop chauds pour un printemps habituel. Sans ennuyer la métamorphe, qui ne transpire pas, dans son uniforme d'hiver, et qui n'a pas l'impression que sa chemise la colle comme une seconde peau, grâce à un ajustement du thermostat interne. Les étudiants qui sont déjà en tenue lorsqu'ils arrivent, en revanche, en débardeurs et les vestes nouées à la taille, semblent avoir chaud pour elle.

- Je ne vais pas en avoir pour longtemps, dit-elle en entrant dans le vestiaire vide à grandes enjambées.

Elle se déshabille rapidement, jetant ses vêtements en boule dans le fond du premier casier vide, et ressort de la pièce presque aussi vite qu'elle y était rentrée.

Au groupe d'élèves de sa classe, a pourtant eu le temps de s'ajouter d'autres adolescents, aux cheveux plus colorés les uns que les autres, et pour certains, au sourire éclatant.

Taeko ravale son impression d'agression positive, et regarde les autres la regarder :

- Bonjour ?

- Bonjour ?

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MétamorpheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant