13.2. Ce qu'elle ose

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Décembre 3513


Sera se lève à la première sonnerie de son téléphone. Il est l'heure pour elle de commencer son échauffement, elle n'a pas de temps à perdre. Alors elle sort de son lit, le refait rapidement, comme si elle était dans un hôtel d'abord, bordant chaque coin, chronomètre en main, et tirant le tout une fois que c'est terminé. Cette fois, elle le met en place comme si elle venait de se lever, remettant les plis de la couverture comme elle les a déplacés quand elle se levée.

Elle regarde son téléphone, éteint la deuxième sonnerie avant qu'elle ne retentisse, et se lance dans la suite, son discours devant le miroir. Elle met en route le premier dialogue de film, et imite tour à tour les voix, les expressions faciales, et puis finalement, les manies et mimiques, levant les mains, en même temps que ses mots, les baissant, les posant sur ses hanches, sur ses épaules, et ainsi de suite.

C'est une routine qu'elle s'est installée depuis plusieurs mois, maintenant. Trois, si elle se souvient bien. Et elle peut voir ses progrès. Elle les sent avec un soulagement fou. Elle ne s'était pas modélisée comme ça pour progresser depuis... son expression se fige à peine dans le miroir. Ça aussi, elle doit s'entraîner à le faire : ne pas montrer ce qu'elle ressent vraiment quand elle incarne quelqu'un. Ce n'est pas le plus difficile, elle a de l'expérience, là-dedans, mais bon. Ce n'est pas la nouveauté. La nouveauté, c'est d'élargir son panel d'expressions faciales et de ton. Après tout, pour ce qu'elle en avait besoin, ce n'était pas tout à fait ce qu'elle recherchait avant.

Elle ne s'arrête que lorsque la dernière sonnerie lui signale l'heure d'aller manger. Alors elle s'habille, métamorphosant son pyjama en uniforme d'école, se vérifiant sous toutes les coutures, et descend. Elle croise au passage sa mère, qui lui fait un grand sourire.

- Bonjour ma chérie.

- Bonjour, maman.

- Tu es enrouée ? s'étonne-t-elle en regardant par la fenêtre.

Sera secoue la tête, et se racle la gorge, ajustant le timbre de ses cordes vocales :

- Non, du tout, c'est juste le matin. Tu n'as jamais la voix grave, le matin ?

Elle mord dans sa tartine, s'ajustant encore un peu, et avale son thé d'une traite, mettant entièrement dans sa bouche l'œuf au plat qui est dans son assiette, laissant le jaune couler par-dessus la pate visqueuse. Elle le mâche rapidement, avant de lancer :

- Je vais à l'école.

- Déjà ?

- Oui, oui.

- Mais tu n'as pas dit bonjour Ryūtaro...

- Je pense qu'il comprendra, je dois aller au collège plus tôt que prévu, aujourd'hui.

- Tu dois tous les jours, aller plut tôt au collège, rétorque sa mère inquiète. On ne t'embête à l'école, au moins ?

- Maman, je veux juste aller à l'école. Je vais bien, d'accord ?

- Bonjour mesdames ! les salue Ryūtaro en souriant, son nœud de cravate dans les mains.

- Bonjour, lance la plus jeune avant de se sauver : A ce soir !

Sa mère n'a pas le temps de protester que Sera est sortie. Elle avance le plus possible, et monte dans le premier bus en direction du collège. Là, elle soupire de soulagement en arrivant constatant que le portail ouvert lui permettra de courir sur le terrain de sport. Ce n'est pas toujours le cas. Mais dès qu'elle le peut, elle s'en sert pour courir.

D'une nouvelle métamorphose, ses vêtements sont un survêtement noir, et elle peut se mettre à l'œuvre. Elle courre d'abord doucement, puis prend de plus grandes impulsions pour allonger ses enjambées, jusqu'à avoir l'impression de bondir. Ses muscles s'adaptent par habitude, se transformant en ce qui l'aidera à tenir sa longue heure de course intensive, et ses poumons prennent de la place, s'ouvrant d'un mouvement peu naturel, mais terriblement confortable.

Quand elle s'arrête, elle n'est pas essoufflée. Elle vérifie son pouls, et constate fièrement que son cœur tient le coup. C'est peut-être la seule chose de son corps auquel elle ne touche pas, sauf pour en augmenter ou rétrécir la taille. Ce n'est pas comme si elle se changeait en autre chose qu'un humain à chaque fois, de toute façon.

- Oh ! C'est ça, que je devrais faire.

Elle regarde autour d'elle pour s'assurer que personne ne l'a entendue parler toute seule, tout en se reconnectant sur son idée. Elle devrait apprendre à devenir quelqu'un d'autre le plus vite possible. Ça pourrait être un point supplémentaire pour demander une école de héros. Avec une bourse, qui plus est. Puisqu'elle ne porte pas le nom de son beau-père, on ne devrait pas lui refuser... si ?

Elle ne se change pas tout de suite, elle réfléchit encore, prend des notes, et planifie. Ce n'est pas facile d'être son propre entraîneur, mais elle tient bon. Elle a son objectif, elle va s'y tenir.

Du haut des gradins, quelqu'un la regarde, un léger sourire aux lèvres. Il avait laissé la barrière ouverte par accident, un matin, et depuis, pour le plaisir de la voir s'entraîner, il rouvre dès qu'il le peut. Il sourit, la regarde courir encore un peu, et pour être sûr de ne pas se faire prendre, il refermera la grille juste derrière elle, avant de se faufiler entre les barreaux.

Il n'est pas du collège. Il ne va pas vraiment au collège. De toute façon, il est légèrement plus vieux qu'elle, ça se voit. Mais venir ici pour se rappeler de vieux souvenirs, c'est quelque chose qui lui tient à cœur, même si pour ça, il doit ouvrir la grille, alors qu'il pourrait passer entre les mailles du grillage.

Comme à son habitude, la jeune métamorphe prend des notes, s'étire, plus par mécanisme que par besoin, de ce qu'il devine, et elle passe les minutes suivantes à renifler son odeur, le bras levé devant le nez, avant que sa manche de survêtement ne redevienne sa manche d'uniforme, et que tout, ou presque, ne reprenne une forme normale.

- Elle est tellement douée...

Peut-être que si elle n'avait pas un alter pareil, et n'allait pas encore au collège, elle pourrait s'intéresser à lui. Enfin, il ne lui faudrait attendre que quelques années, et voir si elle n'était pas devenue plus jolie encore. A moins que là aussi, ce ne soit qu'une transformation.

Sera s'en va enfin. Elle met son sac sur son épaule, vérifie l'heure sur son téléphone, le change de couleur pour un noir d'encre, et repasse le portail dans l'autre sens. Il se demande tellement de choses sur elle. Pourquoi se donner autant de mal ? Aime-t-elle aller à l'école ? Comment fait-elle ses miraculeux tours de magie ? Quelles sont ses attentes de la vie... ?

Il finit par secouer la tête. Il doit refermer la grille avant l'arrivée de la première équipe sportive. Ce serait bête de ne plus avoir la clef. Dire que son frère et lui venaient ici souvent, il y a plusieurs années...

Il finit par sourire, et au moment de partir, ne laisse derrière lui que quelques petits grains de sable.

Il finit par sourire, et au moment de partir, ne laisse derrière lui que quelques petits grains de sable

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MétamorpheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant