Avril 3516
Le son des verres de limonade à la fraise qui se cognent pour trinquer fait rire Sera, heureuse de fêter son entrée en première avec quelques amis. Rumi éclate de rire à son tour, comme si le fait de ne pas être dans la même classe qu'elle n'avait soudainement plus d'importance, après des jours à s'en plaindre.
Ils ne sont pas là à beaucoup, ils ne sont que quatre. Sera, Rumi, Seihō, et Eriko se connaissent depuis leur première rentrée dans ce lycée. Et aucun d'eux ne sera dans la même classe qu'un autre. Alors si la question dérange profondément Rumi, Eriko qui change de filière n'est pas tout à fait perturbée par la chose, qui semblait inévitable, et Seihō, le plus passif des trois, n'a pas vraiment envie d'extérioriser sa peine.
C'est pour cela qu'ils en profitent aujourd'hui. Dans ce petit café-restaurent, où ils viennent boire quelque chose pour se rafraichir l'été, ou réchauffer l'hiver, qu'ils se sont donnés rendez-vous. Pour le sol bleu pale, pour l'enseigne rouillée « La Tasse », et pour cette ambiance qui leur donne l'impression d'être chez eux, dans un endroit qu'ils ont l'air de connaître depuis toujours.
Les yeux de Sera sont soudain attirés par la petite télévision, dans le fond de la salle dont ils ne sont pas si loin, et qu'elle demande à Seihō :
- Tu entends de quoi ça parle ?
C'est une interview, à la quelle participent des héros. De ce qu'elle voit avec ses yeux qu'elle a transformés trop nets pour voir de près, mais très utiles pour voir de loin, ils sont devant un accident, qui est pris en charge, ou qui est terminé.
L'adolescent se tourne vers l'image mobile, et se racle la gorge, pour commencer :
- « Bien que nous soyons incapables de vous dire pourquoi l'immeuble est tombé, nous pouvons affirmer avec incertitude que les héros on encore fait, un sacré boulot. ».
Les filles se mettent à rire, et il change de voix pour parler à la place du héro, suraigüe :
- « Oh, oui, nous avons fait du bon travail ! ».
Elles rient aux éclats.
Ecouter Seihō raconter est bien mieux de d'écouter. Et la plaisanterie se poursuit tranquillement :
- « Si nous savons pourquoi l'immeuble est tombé ? Non, mais ce n'est pas comme si c'était notre boulot ! Ou que c'était important ! Nous sommes tellement préoccupés par notre capillarité... euh, efficacité... »
Eriko se demande comment un blasé de la bouteille pareille peut faire aussi bien l'idiot. Mais elle en rit tout autant que les autres. Après tout, ils sont jeunes, et ils doivent en profiter.
Seihō ne s'arrête pas, parti sur sa lancée, et leur singe toute l'interview, sans aucune gêne, pour se racler la gorge ensuite, la voix éraillée par les essais et les différences de tonalités utilisées. Les filles l'applaudissent.
Le garçon a la capacité altérique d'améliorer, avec un peu de concentration, presque tous ses sens, au point d'entendre quelque chose au loin, ou de suivre quelqu'un à la trace, par l'odeur. Mais ce ne sont pas seulement ses sens qu'il peut améliorer, c'est aussi sa perception, et à une autre échelle, sa force physique, ou sa vitesse. Pas assez pour être un as en tout, mais suffisamment pour être au-dessus de la moyenne dans la plupart des disciplines. Un peu de tout, mais trop peu de précis.
C'est quelque chose que Sera apprécie, chez lui. Son alter s'est tellement retranscrit dans son caractère, qu'il peut être simple, comme il peut être tout autre chose. Et sa manière de s'adapter à une situation force l'admiration.
Peut-être que c'est pour cette raison, qu'ils sont amis. Parce qu'elle l'admire, qu'elle les admire tous pour quelque chose, et qu'ils l'admirent en retour. La métamorphe. La fille géniale qui peut être tout ce qu'elle veut, du moment qu'elle y pense très fort.
Cette pensée la fait sourire amèrement. Mais elle est forcée de reconnaître que son alter ne la dessert pas toujours, finalement. Après tout, son groupe est plutôt soudé.
Elle frissonne, et se reconnecte à la conversation :
- Mais je vais être toute seule ! se plaint encore Rumi.
L'adolescente aux cheveux rouges rit doucement, comme d'un ricanement de fond de gorge :
- Tu ne devrais pas te plaindre autant. On sera tous éparpillés dans tout le Japon, quand on sera diplômés, tu le sais, non ? Et puis, nous sommes dans le même lycée, ce n'est pas suffisant ?
A peine ses mots prononcés, Sera comprend rapidement qu'elle est la seule à mettre les choses à plat de cette façon, et se force à maintenir son rouge de confiance, alors qu'elle s'inquiète de l'absence de réaction des autres.
Un long silence flotte dans le boxe, et tandis que Seihō baisse les yeux en secouant la tête, l'une des filles rend la parole :
- Tu n'as pas besoin de voir les gens pour être liée à eux, répond finalement Eriko. Mais pour moi, ça joue beaucoup. Je ne sais pas si je serais encore aussi proche de vous l'année qui vient si je ne suis plus avec vous. Et je ne peux pas perdre l'opportunité de me faire des amis dans mon nouvelle filière.
Sa déclaration jette un froid dans le groupe, et Sera se mord la lèvre. Elle voudrait leur dire qu'elle n'a pas trop le choix. Que si elle devait espérer se faire de véritables amis à chaque fois qu'elle allait quelque part, elle se sentirait vite seule, et mal de laisser les autres derrière elle. Surtout quand elle leur doit autant qu'elle doit à Kelly ou à Seal.
Elle ne dit rien. Ses cheveux ne virent qu'à peine au pâle, pourtant. Elle maîtrise. Elle ne peut pas contrôler sa vie, ou ceux qu'elle considère comme ses amis, mais ses métamorphoses... sont la seule chose qu'elle se doit de contrôler.
- Qu'est ce qui peut être pire ? Une mauvaise transformation, ou la destruction de mon cercle d'amis ?
Elle n'a pas le temps de réfléchir. Parce qu'elle connait déjà la réponse. Elle n'est pas assez proche des gens assis près d'elle pour ne pas les sacrifier pour son alter. Ce pouvoir qui la ronge quand elle ne le surveille pas, et qui l'empêche de respirer la nuit, quand elle cauchemarde. Maintenir les apparences est plus simple pour elle pour survivre en société. Ne pas montrer à ceux qu'elle ne connait pas son pouvoir est mieux. Elle ne peut pas devenir rose de peur au beau milieu du restaurent, ou bleue de tristesse. Elle ne peut être que ce rouge de confiance. Parce que c'est la couleur qu'elle porte tous les jours où elle sort de chez elle.
Sera serre pourtant les mains autour de son verre, et au regarde de Rumi, elle comprend que la couleur de ses iris, elles, ont changé. Elle ferme rapidement les yeux, détourne la tête vers le bas, et revient aux autres :
- Mais ce n'est pas pour ça qu'on n'est plus amis, pas vrai ? tente Rumi pour apaiser les choses.
Eriko baisse la tête :
- Je vais changer de filière. Parce que je n'ai pas l'étoffe d'un héros.
Elle marque une courte pause.
- Je n'ai pas vraiment envie que tout le monde vienne me voir parce que je suis l'amie d'une métamorphe, laisse-t-elle finalement échapper.
Cette fois, sous le regard inquiet de son amie face à elle, Sera ne bronche pas. Elle regarde tranquillement sa limonade se solidifier brusquement dans son verre, et répond calmement :
- Je comprends.
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Métamorphe
FanfictionCycle I, Livre II D'un côté, il y a Taeko, et de l'autre, Sera, visages de l'apprentissage héroïque semé d'embuches et au cruel point commun d'un alter aux conséquences désastreuses : la métamorphose. Parce qu'il peut être si dur d'être soi quand on...