28.2. Ce qui lui plait vraiment

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Juin 3512


De la musique dans les oreilles, Taeko passe en revue toutes les couleurs qu'elle a en verni à ongles, avec un sourire mi-fier, mi-amusé.

- Qu'est-ce que je vais bien pouvoir mettre...

Elle pouffe amusée par sa propre plaisanterie, et en tendant la main en avant, doigts écartés, elle verni l'ongle par métamorphose, sa dernière trouvaille de la semaine. Ce n'était pas difficile, pour les couleurs pâles, mais les vives, ou les métallisées, comme ce bleu électrique, c'est une question de bidouillage. Elle ne savait au départ que colorer son ongle. Elle en est à présent au niveau où elle peut se faire retirer ce verni par la prothésiste ongulaire, avec des filles de sa classe, pour en faire poser un autre, à l'occasion.

- Si ça ne coûtait pas aussi cher, je n'aurais pas besoin de tricher comme ça.

C'est peut-être l'une des seules métamorphoses qu'elle ne montre pas aux autres. Ou le moins possible. De ce que les autres pensent, elle peut changer la couleur de ses vêtements, de son verni, mais pas leur forme. Et c'est mieux comme ça. Elle n'imagine pas les problèmes qu'elle pourrait avoir avec sa mère si elle essayait de produire des imitations. Et en même temps, elle n'a pas envie de lui demander de l'argent pour ça, imaginant déjà la gêne qu'elle aurait à refuser une dépense pareille pour sa fille.

Elle soupire, et se laisse tomber sur sa chaise, avisant la couleur d'un autre tube.

- Je pourrais faire un ongle sur deux, se dit-elle en essayant d'insérer un ongle orange foncé sur l'un des doigts déjà peint.

Mais elle s'arrête en plein milieu et l'ongle reste bi-couleur. Cette nouvelle pose lui arrache un sourire satisfait, comme celui que les enfants font, lorsqu'ils réussissent à faire une bêtise.

- Non, comme ça, c'est génial.

Elle passe tous ses ongles de l'orange au bleu, avant d'arriver à la peau. L'adolescente sourit de plus belle, d'humeur joyeuse. Comme quoi, les efforts payent toujours, avec un alter comme le sien.

Elle sort tout de même sa lime, pour s'entraîner à faire ce geste, que toutes font dans sa classe : la passer sur le bout de ses ongles. La question est de ne pas abîmer le verni, ni de trop tailler l'ongle, mais ce que Taeko veut faire surtout, c'est avoir l'air de faire ça toute la journée, d'être douée à ça. C'est le principal, pour elle. Il n'y a rien de plus important. Si, peut-être quelque chose : qu'on la complimente sur sa technique.

Parce que dans une version du monde où avoir un pouvoir comme celui de la métamorphose ne semble rien coûter à son porteur, seul les petites choses du quotidien, celles pour lesquelles on doit faire semblant d'être naturel ont l'air de compter. Elle s'est déjà dit que c'était stupide, mais tant pis.

L'adolescente y passe son après-midi, laissant tomber ses devoirs un peu trop encombrants. Le rangement de sa chambre aussi, et celui de son linge, qui s'empile sur son bureau. Si elle avait voulu travailler, elle n'aurait de toute manière pas été dans de bonnes conditions pour le faire.

Et puis, avoir l'air trop intelligent, de ce qu'elle en a vu, ça isole. Les filles de sa classe s'intéressaient bien moins à elle quand elle était bonne en classe.

- Pff, c'est presque mathématique, marmonne-t-elle en faisant défiler les images sur son écran de téléphone portable, en se rappelant les questions de proportionnalité qu'elle a étudiées en début d'année.

La porte d'entrée claque, et l'adolescente soupire. Sa mère vient de rentrer du travail, et la première chose qu'elle fera, c'est frapper à sa porte dans trois, deux, un...

MétamorpheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant